Paul Santelmann, Afpa : “{La loi de 1971 a dérégulé le système de formation" }

Par - Le 16 novembre 2011.

Paul Santelmann, responsable de la prospective à la direction générale de l'Afpa, revient sur les répercutions de la loi de 1971 sur l'offre de formation revient ici sur les répercussions de la loi de 1971 sur l'offre de formation.

La loi de 1971 ne part pas des acquis de l'appareil de formation préexistant : elle ouvre la voie à un nouveau système de financement géré par les partenaires sociaux alors que l'État assurait jusque là quasiment la totalité du financement de la formation des adultes.

En instaurant une obligation de financement du système par les entreprises, l'État crée un marché administré qui va mettre en porte à faux l'appareil de formation préexistant. Celui-ci était déjà composite et rassemblait aussi bien les réseaux de l'éducation populaire que des organismes de la sphère publique comme le Cnam et l'Afpa qui qualifiait alors 60 000 personnes par an ou des organismes de formation privés comme Pigier. Il y avait également des écoles d'entreprises.

La loi de 1971 va élargir ce paysage à la fois à travers les organismes de branche (les associations de formation (Asfo) créées en 1968-69) et l'émergence de nouveaux et nombreux organismes privés. Ce développement va relativiser le poids mais aussi les objectifs des opérateurs publics et associatifs préexistants. Ainsi les organismes privés vont s'organiser sur les segments rentables de ce nouveau marché comme les formations de cadres ou d'ingénieurs au détriment des salariés les moins qualifiés.

La crise économique et le chômage de masse vont accentuer une fragmentation de l'appareil de formation. Les politiques dirigées vers les jeunes et les chômeurs (pacte pour l'emploi de 1977, programmes 16/18-18/25 ans de 1982, programmes pour les chômeurs de longue durée de 1983, les contrats en alternance en 1984, etc.) une nouvelle vague d'organismes de formation et d'insertion va s'ajouter aux organismes existants ! À partir des années 80 on a une sorte de fuite en avant qui génère des milliers de petits organismes associatifs ou privés qui témoignent d'une absence de régulation de l'offre de formation pourtant impliquée dans des politiques et des financements publics.

A côté des opérateurs plus anciens comme l'Afpa ou de nouveaux réseaux parapublics comme les Gréta dont les vocations sont plurielles, cette prolifération va accentuer la spécialisation de l'offre de formation par type de publics, par niveaux, par territoires, par secteurs d'activité alors même qu'il s'agit d'intervenir sur des parcours qui suppose pour un opérateur de maîtriser toutes ces dimensions ! Si dans les années 70 on comptait 1 500 organismes de formation pour d'adultes, aujourd'hui on est arrivé à 50 000 (opérateurs, prestataires, etc. ). Cette segmentation a affaibli le professionnalisme des opérateurs et les fonctions nécessaires à la qualité de la formation (orientation, ingénierie, recherche appliquée, expérimentation, etc.).

En fait, il n'y a pas de régulation du système du point de vue des finalités d'intérêt général car il n'y a pas de débat sur la nature des organismes de formation ou la valeur ajoutée d'une telle segmentation de l'appareil de formation. Il n'y a pas non plus d'évaluation de l'efficacité intrinsèque des organismes de formation. Par exemple on ne sait pas combien de jeunes réussissent aux examens qui finalisent les contrats en alternance... Les tentative de l'État de labelliser les organismes de formation dans les années 90 ou d'inciter à l'organisation du secteur d'activité des organismes privés, n'ont pas donné les résultats attendus. Il y a toujours une précarisation tendancielle des formateurs, une prolifération et une spécialisation des organismes. Les objectifs des lois successives se sont diversifiés et complexifiés alors même que les modalités de la commande se sont standardisés dans une logique de prescription qui réduit les capacités d'innovation des opérateurs de formation.

La loi de 1971 a initié un processus inattendu d'affaiblissement des acquis conceptuels et pratiques des années 50 et 60 dans un contexte qui était à l'époque plutôt défavorable à l'investissement éducatif et formatif. Cette évolution n'a pas contribué à améliorer le rapport au savoir des adultes les moins qualifiés. Alors que l'appareil de formation des adultes, dans toutes ses composantes, avant la loi de 1971 avait le souci prioritaire de s'occuper des moins qualifiés, aujourd'hui ceux qui tiennent le marché, ne sont pas du tout sur cette ligne.

Pourtant les moyens financiers consacrés à la formation continue (plus de 32 milliards d'euros) ont explosé ! Le paradoxe est donc sérieux : avec un tel niveau de financement, un appareil de formation haut de gamme pourrait à la fois répondre aux publics les plus en difficulté sur le marché et aux besoins des entreprises en matière d'accompagnement des transformations du travail. L'appareil de formation a baissé en qualité, en moyens : il y a beaucoup d'organismes de formation qui ne sont pas à la hauteur des enjeux alors même que le rapport aux savoirs connaît des mutations lourdes comme l'apparition des réseaux sociaux du web et d'opérateurs géants comme Google.