Comment améliorer l'intégration des personnes sourdes en entreprise ?

Accueillir une personne sourde en entreprise, ce n'est pas si compliqué... à la condition d'essayer. Tel est le message qui ressort de la table ronde “Entreprises et sourds : tous à l'écoute !", organisée le 22 mai à Paris par l'Institut national de jeunes sourds (INJS).

Par - Le 01 juin 2008.

Témoignant de son parcours chez Air France où il officie comme technicien de maintenance depuis le 1er décembre 2005, Amine Ben Saber a rappelé les conditions de son embauche. D'abord, les difficultés pour trouver un accueil adapté[ 1 ]La mairie de Paris propose une “Permanence emploi pour les personnes sourdes et malentendantes". emploi.sourds@paris.fr , ensuite l'arrivée à Air France au terme d'un concours qui l'a opposé à une soixantaine de candidats affectés de handicaps différents, pour seulement... trois postes à pourvoir. Six heures d'examen soldées par la signature d'un CDI. Sur les conditions de son intégration, Amine Ben Saber a expliqué avoir bénéficié d'un interprète lors de l'entretien d'évaluation, mais avoir dû ensuite s'en passer, et ce “dès le premier jour". Une plongée en milieu ordinaire, difficile en raison de l'extrême concentration qu'elle requiert, mais justifiée, selon Caroline Millous, chef de projet Handicap et RH chez Air France, “par l'impossibilité de mettre un interprète derrière chaque salarié handicapé" et par un certain souci de procéder à une véritable intégration. Celle-ci étant par ailleurs facilitée par une “sensibilisation de l'équipe au handicap" du nouvel embauché. Si Amine Ben Saber ne s'est aucunement plaint d'un mauvais accueil, il s'est en revanche exprimé sur la difficulté de passer d'un milieu protégé à un milieu d'entreprise doté d'une forte culture de productivité. “J'ai d'abord été formé avec des anciens qui prenaient leur temps, et cela n'était pas du goût de la hiérarchie qui exigeait plus de productivité de ma part. On m'a fait comprendre que je ne pouvais pas partir en pause à tout moment, et j'ai dû apprendre la culture d'entreprise."
À noter que l'Institut national de jeunes sourds (INJS) édite en partenariat avec le Centre de promotion sociale des adultes sourds (CPAS) une plaquette d'accompagnement à l'accueil des sourds en entreprise. Vingt-six pages pour délivrer, avec humour et clarté, le “B A Ba" de l'information à connaître pour bien communiquer avec une personne sourde, et rappeler les bonnes raisons d'embaucher. Au-delà des arguments qui valent également pour les entendants (qualité intrinsèque de la personne, expérience, etc.), le handicap peut paradoxalement entraîner pour l'entreprise des avantages spécifiques qui, c'est un fait, ne laissent pas indifférents les DRH et doivent donc être rappelées : faible turn-over des employés handicapés, avantages économiques liées aux subventions, impact positif sur l'image sociale de l'entreprise, etc. “Pour réussir l'intégration de personnes handicapées, explique Geneviève Dewasmes, chef de mission handicap à la mairie de Paris, il faut faire très attention, lors de la passation des consignes de travail, car les personnes sourdes ont l'habitude de composer quand elles ne les comprennent pas". De manière un peu surprenante pour l'observateur externe, les formations proposées par l'INJS (voir encadré) ne font pas forcément le plein, à l'image de l'atelier de menuiserie dont la session en cours n'accueille que deux élèves. Plusieurs explications à cela, selon Dominique Albinhac, directeur des enseignements. “Premièrement et comme nous l'a confirmé le Conseil régional d'Île-de-France, nos filières font face aux mêmes tendances que les filières des entendants et la menuiserie attire peu les jeunes en ce moment en dépit de débouchés certains. Il y a ensuite une concurrence forte de l'« intégration » qui relève, selon nous, d'un déni du handicap de la part des parents, qui préfèrent orienter leurs enfants en milieu ordinaire pour ne pas rajouter au sentiment d'exclusion." Une situation qui pourrait peut-être être modifiée si l'INJS venait à s'ouvrir à une certaine mixité en accueillant des entendants, mais qui n'est pas à l'ordre du jour. À l'étude en revanche, la mise en œuvre de formations en alternance qui fait actuellement l'objet de concertations avec le Conseil régional. D'où le recrutement en octobre 2007 de Jérôme Beslon, chargé de mission Handicap et reconversion, dont le rôle est d'accompagner et de suivre l'intégration des personnels sourds[ 2 ]La mairie de Paris emploie 2 300 travailleurs handicapés, dont environ 80 personnes sourdes. de la ville de Paris (service d'interprétariat et de médiation, aménagement des postes, cours de français à destination des sourds, cours de langues des signes pour les entendants, etc.). S'agissant des emplois occupés, Geneviève Dewasmes précise que “beaucoup sont recrutés en catégorie A, notamment dans les services juridiques", mais plutôt sur des “postes de dossiers qu'à des fonctions d'encadrement", notamment en début de parcours.

  • Contact
    http://www.injs-paris.fr
[(L'offre de formation professionnelle de l'INJS

Établissement public d'enseignement spécialisé placé sous la tutelle du ministère chargé des personnes handicapées, l'Institut national de jeunes sourds (INJS) est une création de la Révolution française qui fait suite à la première école gratuite au monde pour les enfants sourds créée par l'abbé de l'Épée en 1760. Installé depuis 1794 sur le site exceptionnel d'un ancien couvent situé rue Saint-Jacques à Paris (Ve), l'INJS dispose aujourd'hui de huit ateliers de formation (coiffure, communication graphique, couture, horticulture, installation sanitaire, menuiserie, prothèse dentaire, serrurerie-métallerie). Chacun bénéficiant d'un équipement récent et de qualité, de manière à favoriser l'intégration des apprentis en milieu ordinaire une fois diplômés. La visite des ateliers permet de constater que le matériel n'a rien de spécifique, à l'exception de quelques aménagements destinés à garantir la sécurité. En centre de formation comme en entreprise, l'ajout d'un signal lumineux destiné à indiquer le fonctionnement des machines suffit et le surcoût est donc négligeable, d'autant plus que l'employeur bénéficie de primes d'adaptation.
L'INJS forme du BEP au BTS, en partenariat avec des écoles externes. Compte tenu des difficultés souvent rencontrées par les populations sourdes dans l'acquisition des compétences de base, des aménagements sont proposés, et le CAP est ainsi réalisé en trois ans.)]

Notes   [ + ]

1. La mairie de Paris propose une “Permanence emploi pour les personnes sourdes et malentendantes". emploi.sourds@paris.fr
2. La mairie de Paris emploie 2 300 travailleurs handicapés, dont environ 80 personnes sourdes.