Le Dossier inffo flash

Débusquer les discriminations liées aux “origines"

Alors que vient de s'achever l'Année européenne de l'égalité des chances, la France a su mettre un “coup d'accélérateur" à la lutte contre les discriminations liées à l'origine dans l'emploi et la formation. Si notre pays tâtonne encore sur les outils de mesure et accuse une certaine timidité conventionnelle, les expériences se multiplient, avec un œil sur la façon de s'y prendre de nos voisins européens.

Les discriminations à l'emploi et à la formation liées aux “origines" sont certes “palpables", mais encore peu mesurées. L'appareil juridique et conventionnel commence à s'étoffer pour lutter efficacement contre ce fléau, alors que le nombre de personnes en activité demeure insuffisant en France.

Par - Le 16 février 2008.

Le 30 novembre dernier, l'Organisation internationale du travail (OIT) lançait une campagne d'information au sujet des discriminations au travail. À cette occasion, l'institution genevoise rappelait que selon l'enquête de mars 2007 de son Bureau international du travail (BIT), “près de quatre fois sur cinq, un employeur français préfère embaucher un candidat d'origine hexagonale ancienne plutôt qu'un autre d'origine maghrébine ou noire africaine".
Un constat accablant, qui renvoie aux troubles sociaux surgis en novembre 2005 dans les quartiers concentrant ces populations.

Comme en réponse à ce coup de semonce, Xavier Bertrand, ministre en charge du Travail, a présenté au conseil des ministres du 19 décembre dernier un projet de loi visant à transposer dans le droit français trois directives européennes visant à lutter contre les discriminations dans l'emploi et la formation “liées à l'appartenance ou à la non appartenance, vraie ou supposée à une ethnie, race ou religion".

Ce projet de loi précise la liste des discriminations tombant sous le coup de loi, la distinction entre discrimination directe et indirecte. Mais qu'en est-il du terrain ?

Le rapport 2006 de la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations) confirme le malaise dans le domaine de l'emploi : il constitue la première cause des quelque 5 000 réclamations (49 %) envoyées en 2006 à la Halde, loin devant la seconde, le fonctionnement des services publics (12 %).

Et pourtant : alors que les discriminations à l'embauche tiennent le devant de la scène médiatique et des accords entre partenaires sociaux, elle ne représente qu'une réclamation sur dix devant la Halde, soit trois fois moins que les plaintes portant sur le déroulement de carrière : rémunération, formation, promotion, affectation.

Le premier critère de discrimination dans l'emploi, mesuré grâce au testing (voir l'encadré “outils"), ne touche pas aux origines, mais à l'âge, une personne de plus de 48 ans ayant 3,1 fois moins de chance que l'on réponde à sa candidature par rapport au “candidat de référence" : l'homme français dit “de souche" ayant la trentaine.

Il reste que cette forme de discrimination est talonnée par celles liées à l'origine (2,7 fois moins de convocations, voir le graphique page 16). L'enquête révèle que sur un emploi de cadre, la discrimination liée à l'origine est encore plus forte : six fois moins de chances d'être convoqué. Le diplôme ne protège pas de cette forme de discrimination.

À l'heure ou le taux d'emploi européen s'avère très insuffisant (63,8 %), Bruxelles a été la première a tirer la sonnette d'alarme avec une série de directives instituant une lutte contre les discriminations à l'embauche et un programme d'intervention communautaire sur ce terrain spécifique, Equal.

En France, depuis 2001, une loi relative à la lutte contre les discriminations permet aux victimes de saisir le conseil des prud'hommes ou le tribunal correctionnel. La Halde a été créée en 2005 (loi du 30 décembre 2004, voir encadré) qui peut être saisie directement par les victimes. Mais l'appareil législatif et réglementaire ne peut finalement pas grand-chose sans une volonté réelle des entreprises.

De ce point de vue, nombre d'efforts restent à faire, seules quelques grandes entreprises à vocation internationale, soucieuses de leur image sur les marchés étrangers, sont passées à l'action : organisation de testing en interne, anonymat des CV pour certaines catégories de personnel, mesures de la diversité en interne chez Axa et Casino, nomination de responsables de la diversité comme chez Total ou Adecco.

Leurs tâches sont multiples : favoriser l'égalité de traitement, notamment à l'embauche et dans le déroulement de carrière, mise en place d'observatoires dédiés en interne, sessions de sensibilisation des managers, partenariat avec des associations de lutte contre les discriminations ethniques ou sociales pour l'insertion professionnelle des plus défavorisés.

Des accords d'entreprise et de branche ont été passés à la suite d'un Ani conclu en 2006, mais seules six entreprises ont passé des accords globaux (voir encadré) concernant tous types de discriminations.

Ces initiatives qui vont à contre-courant de tendances lourdes ne sont pas prises seulement par générosité. Le choix de la diversité peut s'avérer payant pour les entreprises produisant des biens de consommation de masse. Il permet aussi de faire face à des pénuries de compétences dans les secteurs ou métiers en tension : hôtellerie-restauration, bâtiments, fonctions télé-commerciales, etc. Enfin, il améliore globalement l'image des entreprises.

Que l'on songe aux effets désastreux qu'ont pu avoir certaines de leurs pratiques de GRH sur de grandes entreprises de cosmétiques ou de vêtements de sport, très populaires au sein d'une jeunesse grande consommatrice et hyper-sensible à la question des discriminations.

Reste que 80 % de l'emploi est fourni en France par les PME dont les pratiques de recrutement sont basées, on le sait, sur la proximité. La Halde leur propose un outil de lutte contre les discriminations téléchargeable sur son site.

Ce module d'e-learning intitulé “La promotion de l'égalité en entreprise" permet aux recruteurs de se poser les bonnes questions, du recrutement à l'évolution de carrière. Pour le moment, cet outil à été consulté un millier de fois, et téléchargé deux cents fois. Du chemin à parcourir, quand on sait que la France compte deux millions de PME.