Le compte épargne formation en Europe, entre individuel et collectif

Le “séminaire expert" des cabinets Circé et Jacques Barthélémy réuni le 26 mars au Sénat avait pour objectif de trouver une traduction juridique, financière et institutionnelle à la proposition du rapport Carle d'instituer un “compte épargne formation". Plusieurs exemples européens ont été apportés à la réflexion.

Par - Le 16 avril 2008.

Pour éclairer les acteurs français sur un “compte épargne formation" attaché à la personne et non à son statut dans l'emploi, plusieurs experts européens avaient été invités. Cadrant cette réflexion comparative, Jean-Marie Luttringer (expert pour Circé) a d'emblée déclaré : “On tourne en rond en réfléchissant en termes de dispositifs, mais ce serait une erreur absolue de faire reposer sur les seuls individus une mission de service public, même si celle-ci prend la forme d'un bien privé collectif."

Parallèlement, a observé Gre-gory Würzburg, de l'OCDE, chargé d'une mission d'observation des dispositifs de formation tout au long de la vie, “l'Europe est aujourd'hui placée face à un double problème de financement insuffisant et de fortes inégalités d'accès à la formation. Aujourd'hui, il est plus facile d'obtenir un prêt pour l'achat d'une voiture que pour se former".

Au Royaume-Uni

Une expérience britannique a été présentée par Nicholas Fox, directeur de l'Individual learning company. “Entre 1998 et 2001, a-t-il expliqué, des plans régionaux d'épargne formation ont été lancés avec la création de pas moins de 1,6 million de « comptes épargne formation » abondés par les salariés et les entreprises. Une expérience qui a tourné court, en raison de fraudes massives dans l'utilisation de ces comptes."

Fort des enseignements de cet échec, l'entrepreneur anglais a présenté une nouvelle expérience qu'il a suivie dans le Kent (sud-ouest de l'Angleterre, 1,3 million d'habitants) : “Pour le moment 40 000 comptes individuels de formation ont été ouverts à destination des publics peu qualifiés travaillant pour la plupart en PME et qui peuvent s'inscrire dans des formations de leur choix. Ceux-ci sont financés par les entreprises." Une première analyse des demandes a révélé que 68 % avaient été formulées par des femmes et 80 % par des personnes âgées entre 20 et 49 ans. Afin d'éviter les abus de certains centres de formation, ceux-ci se voient allouer un nombre fixe d'interventions, et sont fiscalement incités à répondre aux demandes de remise à niveau.

Aux Pays-Bas

Aux Pays-Bas, comme ailleurs en Europe, se fait sentir le besoin d'anticiper les besoins en formation d'une population vieillissante et insuffisamment qualifiée. Voici dix ans, a expliqué Barry Hake, professeur à l'Université de Leyde (Leiden), spécialiste de la formation tout au long de la vie, “le premier ministre, Wim Kok, a déclaré priorité nationale l'élévation du niveau de qualification de la population néerlandaise, grâce aux contributions croisées de l'État, des partenaires sociaux et des individus. Une première expérience de « compte épargne formation » a été tentée en 2000 avec des actifs peu qualifiés". Entreprises et syndicats de salariés se sont entendus sur le principe d'un “compte épargne formation" adossé à des comptes bancaires réels. Puis, le système qui garantissait l'accès à des actions de formation a été étendu aux demandeurs d'emploi. “Le premier bilan s'est révélé positif, avec un nombre important de personnes qui seraient autrement restées à l'écart de la formation continue".

Puis cette expérience a été arrêtée par le nouveau gouvernement, qui a mis en place en 2002 des “plans d'épargne personnels" pour assurer des congés non exclusivement destinés à la formation, et strictement financés par les individus (encouragés par des exonérations fiscales). “Au final, le système s'est révélé un échec, 5 % des salariés y ont eu recours, surtout les hauts revenus", a précisé Barry Hake, ajoutant : “Depuis, aucun plan national d'envergure en matière de FTLV n'a vu le jour, alors qu'il faudrait engager de véritables opérations de motivation des salariés à haut risque d'inemployabilité dans les entreprises, particulièrement auprès des travailleurs vieillissants."

En Allemagne

Dieter Dohmen, directeur du FIBS[ 1 ]Das Forschungsinstitut für Bildungs und Sozialökonomie. et co-auteur d'un projet de loi instituant une forme de “Cef" en Allemagne, en voie d'adoption par le Bundestag, a présenté une situation difficile dans son pays, où la formation continue est peu développée, surtout dans les PME. “Il nous a été demandé de mettre au point des chèques formation destinés à des personnes peu qualifiées dont les revenus annuels ne dépassent pas 35 800 euros, a-t-il expliqué. Des bonus de formation ont été conçus pour les personnes non imposables, pouvant s'élever à 154 euros maximum, à concurrence de 60 millions d'euros maximum pour le budget de l'opération, c'est-à-dire à budget constant pour l'État. Des prêts à faible taux d'intérêt sont également proposés." Des mesures modestes, mais assez révolutionnaires dans un pays où les entreprises renâclent à mutualiser des fonds qui ne servent pas directement à la formation de leurs propres salariés.

De fait, a remarqué en conclusion Gregory Würzburg, “les comptes d'épargne bancaires financés par les individus ne peuvent fonctionner que s'il s'agit de garantir les coûts pédagogiques et les salaires des personnes partant en formation de longue durée. C'est-à-dire des sommes importantes... S'agissant des personnes peu qualifiées, je ne vois que des accords collectifs pour couvrir les personnes peu qualifiées à fort risque d'inemployabilité en cas de licenciement".

Notes   [ + ]

1. Das Forschungsinstitut für Bildungs und Sozialökonomie.