Les enjeux de la réforme

Des liens renforcés entre formation, emploi et compétitivité, un système centré sur les besoins de l'individu et des entreprises, des parcours professionnels sécurisés, un accès à la formation facilité pour les moins qualifiés, une montée en compétences pour tous. Un consensus existe sur les résultats attendus de la réforme de la formation. Mais les itinéraires proposés divergent.

Par - Le 01 mai 2008.

La formation ne bénéficie pas à ceux qui en ont le plus besoin et va à ceux qui sont déjà les plus formés. C'est le premier reproche fait au système actuel. Autre point faible relevé, les sommes dépensées sont importantes – 24 à 26 milliards d'euros selon les sources – et leur utilisation ne fait pas l'objet d'une réelle évaluation. Enfin, la complexité de la gouvernance et des financements de la formation lui fait perdre une grande part de sa cohérence et de son efficacité. D'où la volonté du gouvernement de lancer une réforme qui résoudrait l'ensemble de ces problèmes. Et quelques autres, comme l'adaptation de l'offre de formation, ou l'articulation entre formation initiale et formation continue.

La gouvernance

Trois catégories principales d'acteurs participent à la gouvernance du système : l'État, les Régions et les partenaires sociaux. Chacune a son propre champ d'intervention, et par des liens contractuels, elles peuvent décider de conduire des actions communes. Cependant, si au niveau national, il existe plusieurs lieux de concertation – CNFPTLV, Conseil d'orientation pour l'emploi, par exemple – l'articulation entre les politiques de branche et celles des Conseils régionaux semble insuffisamment développée. Une clarification des compétences entre l'État, les Régions et les partenaires sociaux est d'actualité.
Les partenaires sociaux négocient l'organisation générale du dispositif, concourent à sa mise en œuvre et à la gestion des contributions des entreprises, collectées par les organismes paritaires créés à leur initiative. Les dispositions adoptées sont ensuite traduites par l'État dans des textes juridiques et réglementaires. Exemple, l'Ani du 5 décembre 2003, dont l'essentiel a été repris dans la loi du 4 mai 2004. Les Conseils régionaux financent et organisent des dispositifs en direction des jeunes âgés de 16 à 25 ans et des adultes correspondant à leurs priorités, et bâtissent ainsi leur plan régional de développement de la formation professionnelle (PRDF). L'État finance des actions pour les demandeurs d'emploi ainsi que leurs rémunérations, des actions de formation en direction de publics spécifiques (handicapés, travailleurs immigrés, détenus, illettrés, etc.), des actions d'information sur la formation, etc. Mais les croisements entre ces trois acteurs sont multiples : les Régions reçoivent des dotations financières de l'État, des contrats de projets sont conclus entre l'État et les Régions pour sept ans (2007-2013), en fonction d'objectifs prioritaires établis en commun et cofinancés. Les branches professionnelles passent des contrats avec les Régions (les contrats d'objectifs territoriaux, par exemple) ou avec l'État pour obtenir un soutien dans des filières particulières, notamment. Les PRDF sont élaborés par les Régions en concertation avec l'État et les partenaires sociaux. Les possibilités de
cofinancement sont nombreuses et cette architecture produit de multiples contractualisations, le plus souvent indépendantes les unes des autres, sans réelle coordination entre elles.

> La difficile articulation branche-Région
Des lieux de coordination sont bien prévus au niveau régional. La loi du 17 janvier 2002 relative à la modernisation sociale a mis en place les CCREFP (Comités de coordination régionale de l'emploi et de la formation professionnelle), sous la coprésidence du préfet de région et du président du Conseil régional. L'accord national interprofessionnel du 10 février 1969 a créé les Copire (Commissions paritaires interprofessionnelles régionales de l'emploi)  dont le rôle a été précisé dans cinq Ani depuis – comme lieux de dialogue social paritaire régional. Mais celles-ci ont des difficultés pour être reconnues. Parmi les branches, certaines n'ont pas d'organisation régionale, d'autres, surtout les grandes, préfèrent le niveau infrarégional et la question de l'articulation branche-Région reste posée.

La mission sénatoriale et le COE considèrent que la Région est le bon échelon pour piloter le système de formation. Dans cette perspective, ils préconisent un regroupement des Opca – dans une logique interbranche et interprofessionnelle en relevant le seuil de collecte fixé actuellement à 15 millions d'euros à une fourchette comprise entre 50 et 100 millions d'euros. Le COE recommande l'émergence d'un “pôle paritaire de concertation régionale" (Opca, Opacif, Agefiph, etc.) qui pourrait être intégré aux Copire. Il propose aussi que soit créée une structure pérenne de contractualisation régionale “qui pourrait trouver sa place au sein du CCREFP". Mais les Opca craignent que leur offre de services de proximité ne pâtisse d'un regroupement... Par ailleurs, pour améliorer la coordination à l'échelon régional, la mission sénatoriale a proposé des PRDF prescriptifs, ou, à tout le moins, contractuels, c'est-à-dire qui engagent, y compris financièrement, chacune des parties prenantes.

Les financements

Les sources et les circuits de financement constituent un autre des points clefs de la réforme engagée. L'État et les Régions participent fortement au financement de la formation, mais la part des entreprises est de loin la plus importante (10,5 milliards d'euros en 2005). Toutes les entreprises sont tenues de verser 1 % de la masse salariale de leurs CDD à un organisme collecteur agréé à ce titre. Ensuite, les taux de participation varient avec la taille de l'entreprise (voir encadré).

> Faut-il revoir la répartition de la contribution des entreprises ?
Une des grandes questions de la réforme concerne la partie réservée au plan de formation (0,9 %). Cette contribution doit-elle rester obligatoire, devenir conventionnelle, ou être supprimée ?

Les partenaires sociaux avaient évoqué la possibilité d'une contribution conventionnelle dans l'Ani du 5 décembre 2003. Mais celle-ci pose problème : chaque branche pourrait fixer son propre taux, et si l'entreprise ne demandait pas d'aide à son Opca, rien ne l'obligerait à lui verser une contribution. C'est sans doute pourquoi le COE se prononce pour ce système, mais en préconisant de déterminer au niveau national interprofessionnel un seuil minimum de collecte. Quant à la suppression du 0,9 %, elle suscite des inquiétudes sur ses effets dans les plus petites entreprises, déjà peu formatrices. Elle pourrait aussi conduire dans certains Opca à une forte baisse de la collecte, où la part du 0,9 % est importante. Le COE considère également que le système actuel n'encourage pas de manière suffisante les entreprises à former et il propose de les faire bénéficier d'une fiscalité plus incitative.

D'autres pistes sont ouvertes sur les autres contributions des entreprises. La première est une mutualisation renforcée au niveau national, pour les Opca de branche. Concernant la professionnalisation et le congé individuel de formation, le COE rappelle la mutualisation déjà réalisée par le Fup (Fonds unique de péréquation) et propose de centraliser la collecte relative au Cif au niveau national par une autorité de gestion nationale, paritaire, qui procéderait à des dotations régionales avec chaque Fongecif. Dans chaque région, le Fongecif pourrait contracter avec le Conseil régional et définir un plan d'actions concerté avec le service public de l'emploi. Cette approche, souligne le COE, aurait l'avantage de renforcer l'articulation du Dif et du Cif, sans remettre en cause l'existence propre de chaque dispositif.

Vers la création d'un “compte épargne formation" ?
Une multitude de dispositifs coexistent dans le système actuel, et l'entrée dans chacun d'entre eux se fait essentiellement par statut ou par financeur. Une des pistes explorée est la création d'un “compte épargne", que chacun pourrait utiliser tout au long de la vie.

Le Dif a ouvert la voie, en plaçant la personne au centre du système, avec d'autres mesures concourant à la sécurisation des parcours professionnels : entretien professionnel, bilans de compétences, etc. L'Ani conclu le 11 février 2008 élargit la portabilité du Dif. En effet, en cas de rupture du contrat de travail ouvrant droit à prise en charge par l'assurance chômage, les personnes pourront, à leur initiative, mobiliser le solde de leurs heures acquises au titre du Dif, afin d'abonder notamment le financement d'actions de formation. L'Opca dont relève l'entreprise dans laquelle le salarié a acquis ses droits abondera le financement des actions mises en œuvre pendant la durée de la prise en charge par l'assurance chômage. Celui dont relève l'entreprise dans laquelle le salarié est embauché abondera le financement des actions mises en œuvre dans la nouvelle entreprise. Le Fonds unique de péréquation pourra, en cas de besoin, abonder les ressources des Opca pour la mise en œuvre des dispositions.
Alors faut-il rendre le Dif entièrement transférable ?, s'interroge le COE. L'impact financier pour les entreprises d'une telle mesure pourrait poser problème, explique-t-il.

Le “compte épargne" a aussi été préconisé par la mission sénatoriale.
Il s'adresserait à tous, éviterait les ruptures de parcours, et son importance serait proportionnelle aux besoins des personnes. Son financement pourrait être assuré par la création d'un fonds régional alimenté, notamment, par la monétarisation des Dif non utilisés, des contributions de l'État, des Régions et des partenaires sociaux, via les Opca.

Ce qui risquerait d'aboutir à un copilotage de ces fonds régionaux, et affaiblirait le rôle des Conseils régionaux, relèvent ceux-ci. Le COE évoque aussi la piste d'un “compte épargne formation", mais note qu'il ne fait pas consensus.

[(La participation des entreprises

Celles de 20 salariés et plus doivent consacrer tous les ans une contribution minimale à la formation égale à 1,6 % de leur masse salariale. 0,7 % sont obligatoirement versés à des organismes paritaires collecteurs agréés au titre de la contribution concernée : 0,2 % pour le congé individuel de formation, 0,5 % pour la professionnalisation et le Dif prioritaire. Le 0,9 % restant est affecté au plan de formation et au Dif non pris en charge par les Opca. Il peut être utilisé directement par l'entreprise, ou versé, lui aussi, à un Opca.
Celles qui comptent entre 10 et 19 salariés contribuent à hauteur de 1,05 % de la masse salariale (0,15 % pour la professionnalisation et le Dif prioritaire ; 0,9 % affecté au plan et également au Dif). Globalement, les entreprises dépensent plus que l'obligation légale pour la formation (près de 3 % en 2005, dont 2,3 % au titre du 0,9 % minimum), mais avec de grandes variations, en particulier selon la taille et le secteur d'activité.
Les entreprises de moins de 10 salariés contribuent à la formation pour 0,55 %, obligatoirement versé à un Opca.)] [(La péréquation et la mutualisation réalisées par le Fup

Le Fonds unique de péréquation (Fup) reçoit les disponibilités excédentaires des Opca agréés au titre de la professionnalisation (contrats ou périodes de professionnalisation), du Dif et du Cif, ainsi qu'un pourcentage compris entre 5 et 10 % du montant des contributions collectées par les Opca au titre de la professionnalisation et du Dif. Ces versements permettent au Fup de redistribuer des crédits aux Opca et aux Fongecif déficitaires.)] [(L'évaluation des actions de formation

Dans son avis récemment rendu public, le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) a mis l'accent sur la nécessité d'accroître l'efficacité de l'activité des organismes de formation, en faisant évoluer les critères de rémunération des opérateurs, pour rompre avec la simple dimension “volumique" de la fixation des tarifs. La rémunération offerte pourrait inclure une part variable, déterminée en fonction du respect d'un cahier des charges et des résultats obtenus. De plus, la rémunération proposée pourrait être modulée en fonction des besoins en formation des bénéficiaires. Même si le COE a conscience que l'évaluation des actions de formation est délicate, l'introduction d'une relation entre la rémunération et les objectifs poursuivis peut, estime-t-il, contribuer à une meilleure efficacité des organismes concernés. Le Conseil considère également qu'il est primordial d'enrichir le suivi statistique des formations réalisées, afin d'étudier les parcours professionnels individuels, et d'évaluer les actions de formation de l'ensemble des financeurs (État, Conseils régionaux et partenaires sociaux). Il souhaite que le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV) accroisse son action dans le domaine de l'évaluation. Et, d'une manière plus générale, il considère qu'il faut promouvoir la culture de l'évaluation “scientifique", afin de pouvoir identifier les dispositifs les plus performants et les publics pour lesquels la formation s'avère la plus efficace.)]