Le Dossier inffo flash

Louis Schweitzer : “La recherche de l'égalité est aussi le signe d'une capacité d'innovation"

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) a pour mission de “lutter contre les discriminations prohibées par la loi", de fournir toute l'information nécessaire, d'accompagner les victimes, d'identifier et de promouvoir les “bonnes pratiques"[[www.halde.fr]]. Elle dispose de pouvoirs d'investigation. Son président, Louis Schweitzer, ex-PDG de Renault, répond à nos questions.

Par - Le 16 février 2008.

Inffo Flash - La discrimination face à l'emploi est la première des causes des plaintes enregistrées par la Halde en 2007 (49 %), loin devant le fonctionnement des services publics (12 %). Pourquoi, selon vous ?

L.S - L'emploi est la préoccupation première des Français, et les discriminations à l'embauche ou dans le parcours professionnel sont vécues comme intolérables.

IF - D'après certaines études, notamment basées sur la méthode du testing, les discriminations touchant à l'origine ethnique et à l'âge semblent être plus fréquentes que celles affectant les femmes ou les personnes handicapées. Pourquoi ?

L. S. - Il faut nuancer ce type de constat. En ce qui concerne les femmes, par exemple, les discriminations au recrutement sont peu nombreuses, mais les discriminations dans le déroulement de carrière, et notamment dans le traitement salarial, sont nombreuses, même si la Halde reçoit relativement peu de réclamations à ce sujet. Nous nous réjouissons d'ailleurs que le sujet de l'égalité salariale soit actuellement à l'agenda politique.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les femmes subissent souvent des discriminations multicritères (qui touchent par exemple souvent les femmes d'origine étrangère).
D'autre part, en ce qui concerne le handicap, c'est un critère de discrimination auquel les recruteurs, notamment, sont plus sensibilisés, grâce au quota légal, mais aussi, par exemple, au rôle d'associations très actives en ce domaine. Il reste toutefois beaucoup à faire, en particulier s'agissant du refus de certains employeurs à procéder à ce qu'on appelle l'“aménagement raisonnable", pour permettre aux personnes handicapées de travailler dans des conditions normales.

IF - Les discriminations à l'embauche tiennent le devant de la scène, mais les plaintes (10 % des saisines) sont moins nombreuses que celles affectant les progressions de carrière (30 %). Pourquoi un tel paradoxe ?

L. S. - Les discriminations à l'embauche sont en effet sur le devant de la scène, car on en parle plus. Se voir refuser un emploi malgré des compétences confirmées provoque une blessure, ajoutée au fait de ne pas avoir d'emploi. Elles sont plus difficiles à prouver que les discriminations dans les progressions de carrière.
La Halde vient de proposer un engagement aux intermédiaires de l'emploi dont le métier est de recruter.
Leurs organisations professionnelles et quatre-vingt dix d'entre eux ont signé l'engagement de ne pas accepter de traiter une demande qui serait discriminante. Cet engagement collectif va permettre aux acteurs de l'emploi de garantir que le critère de recrutement soit effectivement les compétences de la personne.

IF - La majorité des accords d'entreprise portent sur l'égalité des chances pour les femmes et les personnes handicapées, pas sur les questions touchant à l'âge ou à l'origine, qui sont les causes les plus fréquentes de discrimination. Est-ce un problème de législation ?

L. S. - Si la législation suffisait à résoudre le problème, il y aurait beaucoup moins de femmes et de personnes han-dicapées discriminées. Pour autant, elle permet de faire prendre conscience de la nécessité d'agir et de passer des accords. La Halde a saisi le parquet en juillet 2005 concernant des offres d'emploi qui présentaient des limites d'âge. Cette discrimination était jusqu'alors banalisée. Aujourd'hui, elle est devenue un sujet d'actualité. Il faut maintenant que les actions suivent pour éviter ce type de discriminations.

IF - Pourquoi y a-t-il encore peu d'accords globaux d'entreprise, alors que les causes et les remèdes des discriminations sont souvent semblables ?

L. S. - L'apport des politiques globales de lutte contre les discriminations est indéniable. Il y en a encore peu, mais des progrès notables ont été réalisés en la matière, comme nous avons pu le constater dans le guide des bonnes pratiques dans les entreprises que nous avons publié en octobre.
La conclusion de ce type d'accords repose en grande partie sur le chef d'entreprise, qui doit avoir la volonté de sortir des sentiers battus et le faire savoir à l'ensemble de ses collaborateurs. Très souvent, la discrimination résulte simplement du maintien d'habitudes et non pas de la volonté de discriminer. La recherche de cette égalité, de cette diversité, est aussi le signe d'une capacité d'innovation.

IF - S'agissant de la mesure statistique des discriminations, la récente position de la Cnil, qui rejette tout recensement “ethnique", vous semble-t-elle favoriser la lutte contre les discriminations touchant les minorités dites “visibles" ?

L. S. - La Cnil a en effet rendu un très bon avis sur ce sujet, disant qu'il ne faut pas classer les individus selon des critères “ethno-raciaux", critères réducteurs qui n'ont pas de réalité scientifique. L'expérience prouve que ce n'est pas parce qu'on dispose des statistiques ethniques que la discrimination recule. On a même constaté que l'écart tendait à s'aggraver plutôt qu'à décroître dans les pays qui les pratiquent comme les États-Unis.

IF - Les PME représentent près de 80 % de l'emploi en France, et l'emploi de proximité qu'elles privilégient peut induire des discriminations. Quels moyens de lutte la Halde leur offre-t-elle ?

L. S. - Toutes les entreprises, et notamment les PME, ont tout à gagner de la diversité en termes de créativité et d'innovation. C'est pourquoi la Halde a mis en place un échange d'informations entre les très grandes entreprises d'abord, qui a été élargi à l'ensemble des entreprises. Les méthodes utilisées pour lutter contre la discrimination et promouvoir l'égalité des chances ont été recensées. Ces “bonnes pratiques" sont diffusées sur le site de la Halde, afin que chaque entreprise puisse s'informer des méthodes mises en œuvre ailleurs.
Par ailleurs, un groupe de travail avec les PME a été constitué dans la région Paca, et des groupes comparables seront constitués prochainement en région parisienne, puis dans d'autres régions. Ils formuleront des propositions, et identifieront des outils légers pour lutter contre la discrimination dans les PME.
Une étude comparative au niveau européen sur les PME et leurs outils de lutte contre la discrimination est disponible depuis fin décembre, elle est publiée sur le site internet de la Halde. Enfin, une brochure à destination des PME est en cours d'élaboration.

[(

La boîte à outils législative et conventionnelle

En 2004 paraissait le rapport “Les oubliés de l'égalité des chances", suivi de la Charte de la diversité lancée par la président d'Axa, Claude Bébéar. Cette dernière visait à faire respecter la non-discrimination à l'embauche, à encourager les entreprises à refléter les diverses composantes de la société française. Elle a été signée par environ 2 000 entreprises, parmi lesquelles celles du Cac 40.

Créée la même année (loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004) et opérationnelle depuis le printemps 2005, la Halde peut être saisie directement de toute plainte pour tous les types de discriminations touchant à l'emploi, au logement, à l'accès aux services ou à la culture. Elle est dotée par l'État d'un budget de 10,7 millions d'euros, et compte 50 salariés à temps plein, dont une majorité de juristes. Elle joue un rôle de médiation, mais aussi d'instruction de dossiers transmis au procureur de la République lorsque les faits relèvent de délits ou de crimes.

Les partenaires sociaux ne sont pas restés inactifs en signant l'accord interprofessionnel sur la diversité et la lutte contre les discriminations, en octobre 2006. Toutes les entreprises de plus de 50 salariés sont tenues de mettre en place des Commissions de la diversité, un poste de “correspondant égalité des chances" est créé pour garantir la non discrimination en termes de recrutement, d'affectation, de rémunération, de formation et de déroulement de carrière. Le “CV anonyme" est néanmoins resté expérimental, les partenaires sociaux n'ayant pas souhaité l'application stricte de cette disposition.
)]