Entretien avec Philippe Caïla, directeur général : “L'Afpa n'est pas une entreprise de formation comme les autres"

Par - Le 01 juin 2010.

Dorénavant tenue de répondre aux appels d'offres, au même titre que les autres organismes de formation, l'Afpa se repositionne sur le marché de la formation professionnelle. Et ceci alors même qu'elle a été amputée d'une de ses “pierres angulaires", avec le transfert de plus de 900 collaborateurs de son service orientation vers Pôle emploi le 1er avril dernier, et qu'elle doit gérer son parc immobilier. Son directeur général Philippe Caïla explique les évolutions induites par ces changements.

Quelles évolutions de votre offre envisagez-vous ?

L'Afpa doit se révolutionner, non pas pour elle même, mais pour ses clients : les stagiaires. Nous devons dépasser notre spécialisation sur la formation des seuls demandeurs d'emploi. Cette orientation correspondait au souhait de l'État, notre principal commanditaire. La vocation de l'Afpa aujourd'hui est de travailler pour les actifs les moins qualifiés : demandeurs d'emploi ou salariés voulant améliorer leur situation professionnelle. Nous n'avons pas vocation à former les cadres, car ces besoins-là sont couverts par l'offre de formation actuelle.
L'Afpa n'est pas une entreprise de formation comme les autres. Nous nous intéressons plus aux parcours professionnels, car nous devons être capables d'accompagner un individu dans les différentes étapes de sa carrière professionnelle, tant dans ses phases d'emploi que de non-emploi. Notre offre comprend deux volets : la formation proprement dite et l'accompagnement du parcours.

Nous proposons un plus qui nous distingue des autres organismes : c'est l'accompagnement, ce que nous appelons le “service intégré". Un service qui va de l'hébergement à la restauration des stagiaires qui en ont besoin, à l'accompagnement pédagogique voire social, nécessaire pour sécuriser le parcours et le projet de formation. Ainsi, le stagiaire est pris en charge à côté de ses apprentissages dans son projet pour l'accompagner vers la réussite au titre professionnel et dans six cas sur dix à l'emploi durable.

Comment l'Afpa se positionne-t-elle aujourd'hui sur le marché de la formation ?

L'Afpa a aujourd'hui l'ambition d'occuper sa place, celle de “numéro 1". Notre grande force, c'est d'être une entreprise d'intérêt général avec une offre large à plus 300 métiers et 10 000 collaborateurs. En face de nous, il y a des organismes sectoriels de moindre taille, parfois de niche, alors que nous, nous supportons les charges liées à nos 180 sites et certaines de nos formations qui exigent parfois du matériel coûteux, comme celles pour les travaux publics, par exemple.

Il y a deux sujets autour de notre compétitivité : la question de nos prix et celle de nos coûts. Nous devons bien entendu faire des efforts pour maîtriser nos charges maintenant que nous sommes inscrits dans un système concurrentiel. C'est l'objet des nouvelles organisations mises en place par “R-Évolutions 2014", notre plan stratégique.

L'autre aspect, c'est le prix. Nous constatons que les modes d'achat actuels des prescripteurs ont un effet “dépressif" sur les prix et tirent le marché vers le bas. Pour ce qui nous concerne, nous ne vendons pas des places de formation, mais des parcours de qualification qui conduisent à l'emploi. Nous ne facturons pas seulement de la formation, mais aussi de l'accompagnement. C'est une des garanties du succès de nos stagiaires et c'est la valeur de cette offre que nous voulons préserver. Nous devons donc à la fois maîtriser nos coûts et expliquer au marché ce qu'il achète, et pourquoi.

Vis-à-vis des Conseils régionaux, nous avons l'ambition d'être plus qu'un simple prestataire. Ils attendent autre chose. Ils nous le disent et ils ont raison. Nous devons les accompagner dans la politique de développement social et économique de leurs territoires. Cette attitude va au-delà du positionnement de l'Afpa sur le marché, elle est au cœur de nos missions d'intérêt général.

Comment l'Afpa s'est-elle préparée à affronter la concurrence ?

Être sur le marché de la formation professionnelle représente, certes, un enjeu pour l'Afpa, mais c'est aussi un défi pour le marché. En effet, l'Afpa, ce sont, je l'ai dit, 10 000 salariés, dont 5 000 formateurs, 300 ingénieurs de formation, sur 180 sites, des formations à 300 métiers, face à une offre atomisée.

Alors qu'auparavant, à peu prés dix personnes à la direction de l'Afpa conventionnaient 60 % de notre chiffre d'affaires, en négociant avec l'État, nous devons à présent travailler avec 22 Conseils régionaux, entre autres, qui nous mettent en concurrence. C'est pourquoi, notre plan stratégique prévoit de nous faire passer d'une logique de développeurs à une logique de force de vente.

Cela passe par la mise en place d'une force commerciale régionalisée d'environ 300 commerciaux qui sera animée au niveau national par un directeur commercial déjà recruté, qui devrait prendre ses fonctions en juillet. Elle pourrait d'ailleurs à terme, être intéressée aux résultats. De même, nous avons installé partout des cellules de réponse aux appels d'offres.
Nous avons conscience que nous sommes un acteur pivot et structurant du marché, ce qui nous confère aussi des responsabilités qui vont au-delà de nos intérêts particuliers en tant qu'entreprise. Cela signifie que le marché va devoir lui aussi évoluer.

L'Afpa est sortie de son splendide isolement et nous sommes désormais ouverts à nouer des relations partenariales constructives avec d'autres acteurs de la formation professionnelle (organismes de formation, Opca, etc.) pour conduire nos missions d'intérêt général. Mais l'Afpa a également décidé d'être exigeante en termes de respect des règles de la concurrence par l'ensemble des acteurs qu'elle doit affronter : les mêmes règles qui s'appliquent à nous avec rigueur doivent s'appliquer à tous.

Qu'est devenue l'orientation à l'Afpa ?

Après le transfert de 917 personnes vers Pôle emploi, nous avons refondé une filière orientation autour d'Afpa Transitions. Ce service gérera toutes nos activités et métiers liés à l'accompagnement des stagiaires, des entreprises ou des collectivités, notamment les contrats de transition professionnelle (CTP), la convention de reclassement personnalisé (CRP), la mise en place de bilan de compétences, la programmation de VAE, entre autres.
Il s'agit d'un service national assuré par un peu moins de 200 personnes, appelé à développer son activité et son chiffre d'affaires.

Notre ambition est de devenir un des quatre grands opérateurs dans l'accompagnement des personnes et des collectivités dans les qualifications et des mutations.
Pour cela, nous avons créé des équipes de professionnels dans six agences interrégionales d'Afpa Transitions. Elles comprennent des personnels issus de la filière orientation, qui s'appuieront sur Afpa Ingénierie, notre bureau d'études. Celui-ci conçoit les parcours et les offres d'accompagnement avec l'aide de nos ingénieurs de formation et des trois départements sectoriels dont nous disposons (un pour le BTP, un pour les secteurs industriels et un pour tout le tertiaire).


Quelle nouvelle organisation de vos sites envisagez-vous ?

Selon la loi, le transfert de l'immobilier à l'Afpa aurait dû se faire le 1er avril 2010. Pour l'heure, ce n'est pas encore fait, et c'est l'État qui a la responsabilité de mener ce transfert et la procédure de notification vis-à-vis de la Commission européenne. Je n'ai aucun doute sur ses intentions de mener à bien ce projet jusqu'au bout. Il ne faut pas non plus oublier que les locaux d'hébergement et de restauration font partie des missions de l'Afpa : pour accueillir les stagiaires, il nous faut des bâtiments, des ateliers, des lieux d'hébergement…
Je voudrais préciser que c'est le bien le foncier qui sera dévolu à l'Afpa, pas l'immobilier, puisque celui-ci est déjà sa propriété. Nous sommes propriétaires de nos bâtiments sur sol d'autrui, soit 2 millions de mètres carrés de bâti posés sur 9 millions de mètres carrés de foncier. Le bâti représente 545 millions d'euros, en valeur nette comptable à l'actif de notre bilan.

Derrière la question du transfert, le principal enjeu est donc celui de la proximité de l'Afpa avec ses clients en fonction des besoins des bassins d'emploi et des territoires. Dans le cadre du projet de notre plan stratégique 2010-2014, nous avons intégré les charges inhérentes à la gestion de ce patrimoine mais aucun produit de cession. Nous allons structurer en interne une fonction “gestion immobilière" pour s'occuper de tout ce qui a trait au patrimoine foncier ou immobilier.