« Former les citoyens tunisiens au monde futur » (Chroniques tunisienne n°1)

Par - Le 01 avril 2012.

Centre Inffo et le Centre national de formation de formateurs et d'ingénierie de formation (Cenaffif) tunisien ayant entamé une récente coopération sur le développement d'un dispositif multimodal au Cenafiff, L'Inffo Formation propose désormais une chronique mensuelle à l'évolution de ce programme. Cette première chronique sera donc consacrée au système de formation professionnelle tunisien tel qu'il existe depuis 1991 ainsi qu'à ses aspirations sociales dans la Tunisie de l'immédiat après-Ben Ali.

« Former des professionnels, mais aussi préparer les citoyens de la Tunisie de demain ! » Près d'un an et demi après les évènements de la "Révolution de Jasmin", Mounir Grami, directeur de la coopération du Cenaffif tient à insister sur l'importance du rôle social de la formation professionnelle dans ce pays en pleine mutation. Notamment en prenant en compte les aspirations des territoires décentralisés à gérer les besoins en formation de leurs populations dans une Tunisie où 80 % de l'activité économique se situe sur la côte et dont toute politique était décidée à Tunis. « Avant 1990 », se souvient Mounir Grami, « la formation professionnelle relevait du ministère des Affaires sociales et sa vocation consistait uniquement à lutter contre l'abandon scolaire et à limiter la délinquance. Les politiques de formation ne se préoccupaient pas de qualification à l'époque. » C'est en 1991 qu'une réforme réinvente le dispositif au travers de la création d'un ministère dédié à la formation professionnelle et à l'emploi. « Dès lors, la formation fut conçue comme une fenêtre vers l'emploi », explique le directeur du Cenaffif.

Un Cenaffif, justement, qui voit le jour deux ans plus tard avec la mission de professionnaliser les formateurs au plan national, mais aussi de développer des programmes pédagogiques adaptés aux besoins des entreprises tunisiennes ainsi que du contenu didactique à destination des formateurs. Un contenu développé sous forme d'une série de modules et dispensé dans les quelque cinquante centres de formation publics que comptait alors le pays. « Au vu de l'ampleur de la réforme, nous ne pouvions pas tout faire à la fois », se rappelle Mounir Grami, « aussi, nous avons fait le choix de débuter par une approche des compétences couvrant toutes les spécialités susceptibles d'être déclinées en programmes de formation. » Originalité du dispositif: si le Cenafiff a créé plusieurs modules standards destinés à initier les futurs formateurs, ce sont les usagers (entreprises, ministères, offices de tourisme, etc.) qui pilotent les dispositifs en fonction de leurs besoins en main-d'œuvre. « Un programme basé sur l'alternance. En premier lieu, le futur formateur se rend dans l'un des centres de formation ou se voit tutoré par un formateur expérimenté, puis il est envoyé au sein d'une entreprise pour y apprendre ses techniques particulières, tout en étant, là aussi, coaché par un collaborateur. » Est-ce à dire que ces formateurs sont attachés à l'entreprise au sein de laquelle ils ont effectué une partie de leur formation, sans pouvoir nécessairement transposer les connaissances apprises dans une autre? « Chaque système a ses atouts et ses inconvénients », confesse Mounir Grami, « pour notre part, nous avons fait le choix de former des formateurs qui se verront imprégnés de la culture d'une entreprise spécifique. »

A partir de 1998, le Cenaffif commence à développer davantage de contenus pédagogiques et techniques afin d'élever le niveau des formations proposées dans le but de répondre à une demande croissante et fonctionne avec un budget annuel oscillant autour des 7 millions de dinars (environ 3,5 millions d'euros), essentiellement pour produire des contenus immatériels (pédagogies, méthodes, etc.). Dans le même temps, le nombre de centres de formation sur le territoire tunisien s'accroît, de même que les partenariats avec des partenaires étrangers : France (Centre Inffo ou l'Afpa), Québec, Belgique, Angleterre ou encore, Allemagne. « Un partenaire de poids en matière d'alternance ! », estime Mounir Grami.

Depuis le changement de régime, survenu en 2011, le ministère de la Formation professionnelle et de l'Emploi a entamé une réflexion portant en premier lieu sur une régionalisation de la formation. « Aujourd'hui, les territoires revendiquent des modèles de croissance qui leur soient propres. Les gens de l'arrière-pays ont aussi droit au dynamisme économique: il s'agissait d'une exigence de la Révolution », explique le directeur de la coopération du Cenaffif. Car si la Tunisie compte vingt-quatre départements, il n'y existe aucune Région au sens administratif du thème en dépit des identités fortes de certains territoires. Quant à la deuxième problématique au cœur des réflexions tunisiennes, elle concerne la place du citoyen dans la Tunisie post-Ben Ali. « La formation était jusqu'alors considérée comme un facteur de production et d'accès à l'emploi. Nous réfléchissons désormais à la façon de la repenser afin qu'elle serve aussi au progrès social et citoyen. » Et, précisément, au cœur du projet de développement d'un dispositif multimodal entamé en partenariat avec Centre Inffo se trouve l'ambition « de former les citoyens au monde futur », comme le souligne Mounir Grami. Un « monde futur » basé, notamment, sur les nouvelles technologies et l'utilisation des réseaux sociaux dans les dispositifs de formation. « Cette approche multimodale permettra de régénérer le processus de la formation des formateurs en continuant à les former sur leur métier, mais en intégrant un style de vie technologique à leur cursus afin, qu'à leur tour, ils puissent naturellement le transmettre à leurs futurs stagiaires. » Une volonté qui se traduit notamment par l'apparition de dispositifs de blended-learning dans les processus de formation.

Aujourd'hui, la Tunisie compte cent trente-cinq centres de formation publics sur son sol et quatre mille formateurs relèvent des différentes agences dépendantes du ministère de la Formation professionnelle et de l'Emploi. Reste la question budgétaire pour financer les nouveaux programmes du Cenafiff. « l'Assemblée constituante qui a fonction de Parlement nous a, pour l'instant, alloué le budget correspondant au premier semestre de l'année », annonce Mounir Grami, « les trois restants devront attendre le vote de la prochaine loi de finances. Nous sommes au mois de mars, elle ne devrait donc plus tarder. »