Consultations Pôle emploi : quand les opérateurs privés de placement se disputent les appels d'offres

Par - Le 16 avril 2012.

L'affaire commence début février avec un premier communiqué de l'Urof Île-de-France, intitulé “Consultation Pôle emploi : des résultats très choquants !", remplacé deux semaines plus tard par “Consultation Pôle emploi : constats inquiétants de l'Urof Île-de-France". Là où le premier communiqué pouvait laisser entendre que l'organisme refusait catégoriquement l'arrivée de nouveaux entrants sur le territoire francilien, le second nuance le propos. “Il ne s'agit pas d'empêcher qui que ce soit d'entrer en Île-de-France, mais de dénoncer les conditions de mise en œuvre des marchés publics et les dérives qu'elles entraînent", nous explique Benoît Bermond, président de l'Urof IdF. La charge est moins violente, mais le fond demeure : Pôle emploi aurait manqué de rigueur dans l'attribution des marchés et privilégié le moins-disant.

Des grilles d'analyse controversées

“Les offres d'emploi qui ont circulé suite à l'attribution des prestations le prouvent, estime Benoît Bermond : nous pensons que les modèles économiques de ces organismes font qu'ils vont essayer de sous-rémunérer leurs salariés, voire de sous-traiter les prestations à moindre coût ; d'ailleurs, les salaires proposés ne prévoient pas le minimum conventionnel pour des conseillers expérimentés tels qu'exigés par Pôle emploi."

Réponse de Patrick Bredin, chef du service Prestations orientation-formation à la direction Clients, services et partenariats de Pôle emploi : “Il est faux de dire que Pôle emploi prend des prestataires qui bradent les prix, ou qu'un mauvais dossier passera en raison d'un prix faible : le prix intervient pour 30 % dans la note finale, les 70 % restants relèvent de la note technique. Si les organismes retenus sont là, c'est aussi parce que la qualité de la prestation, telle qu'elle figurait dans le dossier, était notée favorablement." Et d'ajouter : “Tous les dossiers sont analysés selon des critères très précis, via une notation en double, voire en triple binôme. Je comprends le ressentiment de l'Urof IdF, mais nous sommes dans les règles du marché public telles que définies dans l'ordonnance de 2005, et nous ne pouvons pas éliminer un candidat au motif qu'il vient d'une autre région."
Si Benoît Bermond accepte cet argument, d'autant qu'il a lui même tenté de se développer hors Île-de-France, il n'en persiste pas moins à dénoncer les modes de consultation en vigueur, qui induisent, selon lui, “une logique de prise de part de marché extrêmement libérale qui ne nous semble pas en rapport avec la déontologie professionnelle qu'il faut avoir quand il est question de demandeurs d'emploi, déclare-t-il. Des organismes répondent à à peu près n'importe quoi et gagnent des marchés en s'engageant sur ce qu'ils n'ont pas. Par exemple, les locaux doivent être décrits tels qu'ils sont : s'il existe un accès handicapé, un parking, etc.. Quand vous n'en avez pas, vous pouvez prétendre que vous les aurez et cela vous fait plus de points pour obtenir le marché. C'est absurde, mais c'est ainsi que cela se passe !"

Des modes de recrutement contestés

Qu'en pensent les deux organismes de la région Paca ayant remporté à eux seuls un quart des prestations ? Le premier, l'Escomm, n'est plus là pour le dire, s'étant retiré du marché par suite des pénalités infligées par Pôle emploi pour non-respect des engagements.

Le second, le cabinet Initiative, qui a hérité des mandats du premier, conteste fortement les mises en cause de l'Urof IdF. “Je ne suis absolument pas d'accord avec leur manière de fonctionner et les invite à venir nous rencontrer dans nos différents locaux pour voir ce que nous avons mis en place", nous indique Franz Rubichon, gérant
d'Initiative. “Je rappelle à l'Urof qu'il s'agit d'un marché public, ouvert même au-delà des frontières, avec des grilles de notation précises." Alors que nos sources nous indiquent que le cabinet Initiative a envisagé de recruter certains conseillers en contrat de professionnalisation, Franz Rubichon dénie avec la plus grande fermeté, évoquant une confusion avec le processus de formation mis en place par son organisme : “Tous les salariés sont à ce jour recrutés en CDI selon les critères de la convention collective. Avec une formation obligatoire pour nos consultants, et un important système de formation continue en interne. Tout conseiller recruté suit une formation obligatoire, ce que nous trouvons d'ailleurs tout à fait légitime, puisque certaines prestations sont nouvelles." Pour Pôle emploi, qui ne nie pas l'existence de recrutements en contrat de professionnalisation sans pour autant citer de cas précis, la situation “interpelle", mais ne justifie pas de contrôle particulier, en ce sens que le choix du contrat de travail relève du “droit privé" et du “choix personnel" des candidats (voir l'interview de Patrick Bredin ci-dessous).

Précisant par ailleurs que le processus ne se cantonne pas aux formations d'intégration, Franz Rubichon assure également organiser “des regroupements réguliers de l'ensemble de [ses] consultants pour des échanges de pratiques professionnelles". Commentaire du gérant : “Je peux comprendre qu'ils soient énervés d'avoir perdu les marchés, mais je les laisse à leur accusation. C'est lancer des polémiques sans se remettre en question." Et il ajoute :

“Au vu des recrutements réalisés par les organismes de formation depuis des années, notamment avec les contrats aidés,
je les trouve vraiment mal placés pour venir critiquer ce genre de pratiques..." Confronté à un démarrage compliqué du fait de la reprise des mandats de l'Escomm, l'OPP de la région Paca ne se déclare pas moins satisfait de la procédure des marchés publics : “C'est très clair, surveillé et cadré : nous répondons à un appel d'offres sur des critères objectifs, avec l'obligation de mettre en place les marchés, sous peine de pénalités.

Le seul regret concerne les durées de marchés, peut-être un peu courtes, encore que cela nous oblige à une remise en question permanente !", conclut Franz Rubichon.

Des acteurs fragilisés ?

Reste que pour l'Urof IdF, les précédents issus du marché Pôle emploi 2009 devraient pourtant inciter à la plus grande prudence : mise en liquidation judiciaire d'Altanea Formation, cessation de paiements de Claf et d'Assofac entraînant dans sa chute une kyrielle de prestataires, les procédures d'attribution ne semblent pas loin de créer les conditions d'une victoire à la Pyrrhus. Ceci d'autant plus que, toujours selon l'Urof IdF, le retrait dans le cadre du présent marché de
l'Escomm, l'un des principaux attributaires, à peine les prestations commencées, ne fait que “valider presque point par point les alertes et inquiétudes".

Et de s'interroger : “Jusqu'à quand les donneurs d'ordres vont-ils continuer à attribuer des marchés publics de cette façon, sans tenir aucunement compte de la réalité du terrain ?"

De fait, attaqués lorsqu'ils maintiennent leurs subventions à des organismes publics ou parapublics (voir l'interview de Jean-Paul Denanot), contestés lorsqu'ils appliquent les règles de marché public, les donneurs d'ordres n'ont pas la partie facile. Source de tensions, l'évolution du financement du système de formation et d'accompagnement appelle de nouveaux modes de régulation qui restent à trouver. Au choix réactif de Pôle emploi d'adapter ses appels d'offres aux dérives constatées, à celui de la Région Limousin de tenter de poursuivre pour partie les logiques de
subvention, s'ajoutent les tentatives d'innover. Ainsi de la Région Basse-Normandie, qui réfléchit à la mise en place d'un dispositif de type SSIG.

Questions à Patrick Bredin, chef du service Prestations orientation-formation à la direction Clients, services et partenariats de Pôle emploi

“Nous avons un arsenal de pénalités qui nous permet
de contrôler l'exécution réelle des marchés"


Approuvez-vous les recrutements en contrat de professionnalisation sur des postes de conseillers ?

C'est effectivement quelque chose qui nous interpelle, sauf que Pôle emploi ne peut pas s'immiscer dans un contrat signé entre un employeur et un salarié. Il est demandé de façon très précise dans le cahier des charges que les personnes appelées à mener des prestations Pôle emploi aient une expérience suffisante (de trois ans, en général). Si certains consultants contactés arguent de leur expérience pour refuser de travailler sur un contrat de professionnalisation, il ne revient pas à Pôle emploi d'empêcher des intervenants qui ont besoin de travailler d'accepter ces missions avec l'espoir d'effectuer ensuite un parcours au sein de l'entreprise. Bien sûr qu'il existe un côté choquant, mais cela relève d'une part du droit privé, d'autre part du choix personnel d'une personne par rapport à une proposition d'offre d'emploi. Nous pouvons en revanche vérifier – et nous le faisons, puisque nous avons refusé plus d'un tiers des CV – que les personnes proposées détiennent l'expérience demandée : si l'organisme souhaite nous proposer une personne qui n'a qu'un an d'expérience en contrat de pro, nous refusons, considérant que le cahier des charges impose trois ans d'expérience.

Ne pensez-vous pas que les appels d'offres Pôle emploi pourraient inclure des clauses de “responsabilité sociale" ?

Des choses évoluent à chaque appel d'offres car, effectivement, certains essaient de repousser les limites. Des clauses de pénalité qui n'existaient pas dans les appels d'offres précédents figurent d'ailleurs dans l'appel d'offres concerné, de façon à prévenir les dérives constatées.

Et ces pénalités ont été mises en œuvre !

C'est-à-dire ?

Notamment des pénalités relatives à des locaux annoncés qui n'ont pas été ouverts – 250 euros par jour de retard et par lieu d'exécution –, ainsi que des pénalités de 1 000 euros pour des sessions qui se sont mal déroulées, avec des intervenants que nous n'avions pas habilités. Nous avons donc un arsenal de pénalités qui nous permet de contrôler l'exécution réelle du marché. À tel point que l'un des prestataires [ 1 ]L'Escomm. a préféré se retirer. Ceci pour dire que le marché est certes ouvert, mais contrôlé. Les titulaires doivent comprendre qu'ils se sont engagés sur des éléments précis et que nous les jugeons sur ces éléments.

Ils sont prévenus à l'avance des pénalités encourues et, ne serait-ce que pour les organismes qui n'ont pas été retenus, nous n'hésitons pas à réclamer que les attributaires appliquent strictement les engagements qui figuraient dans leur dossier. Il ne faut pas oublier non plus que, par ailleurs, beaucoup de prestations relatives à ce marché se déroulent parfaitement.

L'Urof IdF accuse les marchés publics d'être responsables de “dérives", qu'en pensez-vous ?

Nous avons une mission de service public qui relève, non pas strictement du Code des marchés publics, mais de l'ordonnance de juin 2005 [ 2 ]Ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics. et du décret de décembre 2005 [ 3 ]Décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 fixant les règles applicables aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs mentionnés à l'article 3 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics.. Au vu de la taille des marchés que nous passons, je vois mal comment nous pourrions échapper à des procédures qui sont, contraignantes certes, mais qui “bordent" les choses. Le système actuel garantit que tous les dossiers sont notés par les mêmes référents régionaux, dans les mêmes conditions. Si l'on commence à morceler les marchés,
je ne suis pas du tout sûr que les garanties seront les mêmes !

Notes   [ + ]

1. L'Escomm.
2. Ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics.
3. Décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 fixant les règles applicables aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs mentionnés à l'article 3 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics