Les fondations d'entreprise, de la “responsabilité sociale" au “parrainage de compétences"
Pourquoi les entreprises choisissent-elles de financer l'emploi et l'insertion professionnelle ? Exemple de deux fondations tournées – comme le leur prescrit la loi – vers une “œuvre d'intérêt général".
Par Sandrine Guédon - Le 01 novembre 2012.
Les deux tiers des fondations créées en France ont le statut de fondation d'entreprise. Les grandes entreprises y voient un outil permettant de servir plus efficacement l'intérêt général. “La fondation d'entreprise apporte de la cohérence et donne plus de force à l'engagement sociétal de l'entreprise, par ses moyens propres et par le sens qu'elle lui confère", peut-on lire dans le panorama Ernst and Young des fondations d'entreprise (édition 2010).
Instaurées par la loi du 4 juillet 1990, ces fondations, rattachées le plus souvent à la direction générale, se caractérisent par la réalisation d'une “œuvre d'intérêt général". Elles sont créées pour cinq ans à partir d'un programme pluriannuel d'action dont le montant minimum est fixé légalement à 150 000 euros. Elles ne peuvent pas recevoir de dons ou de legs et faire appel à la générosité du public. Les entreprises qui choisissent de créer une telle structure y voient un moyen de valoriser leur image, mais aussi de servir leur stratégie générale, y compris auprès de leurs salariés. En effet, elle peut être vue comme un vecteur de cohésion sociale interne, qui fédère les collaborateurs autour d'un projet.
Le boom des fondations
Nombre de grandes entreprises ont créé leur fondation : SFR, BNP-Paribas, Monoprix, Société générale, HSBC, RTAP, SNCF, et bien d'autres encore, ont choisi de financer des projets ayant trait à la culture, l'éducation, l'environnement. En dix ans, de 2001 à 2011, leur nombre a été multiplié par quatre, selon le baromètre IMS-
Entreprendre pour la cité, publié en mars 2012. Il existe quatre grandes tendances communes à toutes ces fondations : la majorité sert l'intérêt général en agissant dans des domaines liés à leur métier, les jeunes sont les plus grands bénéficiaires, au détriment des seniors et des populations rurales, huit fondations d'entreprise sur dix impliquent leurs collaborateurs, les causes soutenues sont en priorité l'éducation (59 %), l'action sociale (58 %), l'insertion (52 %).
Ce boom des fondations représente pour les associations et les structures d'insertion un complément de financement important. Certaines bénéficient en effet du soutien de plusieurs fondations − jusqu'à 18 pour Unis-Cité, par exemple. Nombreuses sont celles qui encouragent leurs collaborateurs à s'impliquer dans leurs programmes de soutien à travers le parrainage ou de tutorat, mettant ainsi en place un véritable “mécénat de compétences". Autre conséquence non négligeable pour les structures d'insertion : il arrive que les entreprises qui les financent passent commande auprès d'elles pour la fourniture de matériel ou de prestations.
Question de philosophie...
Le groupe français WFS (Worldwide flight services), leader européen de l'assistante aéroportuaire, a inauguré sa fondation d'entreprise le 27 septembre dernier. Cette fondation soutient des projets de formation, d'intégration et d'insertion professionnelle et se situe en droite ligne des actions menées par l'entreprise en faveur de l'insertion des jeunes des banlieues.
“Qualification et insertion professionnelle ont toujours constitué une priorité pour le groupe. La philosophie de WFS est basée sur le principe « aucun laissé-pour-compte »", explique
Zahia Gandolfo, directrice générale de la Fondation WFS.
“Bien avant la création de la fondation, nous avons toujours favorisé l'égalité dans chacune de nos actions d'insertion professionnelle, notamment en faveur des jeunes." WFS en effet a créé sa propre école, “Airport college", pour répondre à la demande de professionnalisation des métiers des aéroports, anticiper les besoins et répondre aux exigences réglementaires de ce secteur. “Ce qui va dans le sens de la promotion sociale", souligne Zahia Gandolfo.
“La fondation est l'aboutissement de tout ce qui a été fait pour l'entreprise. Je suis convaincue que dans un monde de plus en plus global, c'est dans la proximité que nous pouvons agir. En soutenant des projets, nous nous demandons en quoi cela peut changer la vie d'une association ou d'un individu". Et elle ajoute : “Nous avons le souci de notre responsabilité par rapport aux générations futures."
Si elle reconnaît que cela va permettre de faire connaître l'entreprise, elle insiste sur le fait que la démarche “ne se limite pas à l'aspect économique. Il y a dans notre action une dimension sociétale, environnementale et humaine". WFS finance en effet le développement d'actions dans plusieurs domaines, tels que la formation, l'éducation, la culture ou le sport. L'une de ces actions porte sur le suivi de lycéens de la classe de seconde jusqu'à leur premier emploi, grâce à un soutien financier et du “parrainage de compétences".
“Notre fondation cherchera à soutenir des projets ambitieux et innovants, poursuit Zahia Gandolfo. Nous réfléchissons actuellement au développement de formations professionnalisantes et diplômantes avec un Rectorat et une Université. Notre objectif est de favoriser une meilleure qualification dans le monde du travail."
L'entrée dans la vie active
Autre exemple de fondation d'entreprise : celle de la Société générale qui depuis six ans intervient en faveur de l'insertion professionnelle autour de deux axes : l'aide à l'entrée des jeunes dans la vie active et la lutte contre l'illettrisme. D'autres thèmes sont aussi favorisés comme l'insertion des plus précaires. Avec un budget de deux millions d'euros elle s'investit également sur des projets qui permettent aux personnes les plus précaires à trouver un emploi.
Citons également la Fondation SFR, la Fondation Safran pour l'insertion, la Fondation KPMG France, entre autres, qui s'investissent elles aussi dans l'insertion professionnelle. La Fondation TF1, par exemple, intervient sur le champ de l'insertion professionnelle dans les métiers de l'audiovisuel et fait appel aux candidats issus des quartiers fragiles, en mettant en place chaque année un programme d'action leur donnant une première expérience dans l'entreprise.
_ “Une centaine de cofinancements chaque année"
Pourquoi avoir choisi l'insertion professionnelle comme “œuvre d'intérêt général" ?
Nous considérons que l'accès à l'emploi est une priorité. Beaucoup de choses restent à faire pour les populations les plus éloignées du marché du travail. Leur situation peut être comparée à un handicap, qui est un frein pour trouver un emploi, ces personnes doivent être accompagnées par des structures particulières. Nous avons choisi d'aider ces structures. L'emploi est au cœur des préoccupations de nos dirigeants qui le voient comme vecteur de réinsertion sociale. De même en ce qui concerne l'emploi des jeunes. Certains n'ont pas les mêmes chances que les autres de trouver un emploi, même s'ils sont diplômés, tout simplement parce qu'ils sont en dehors des réseaux.
Comment choisissez-vous les structures que vous aidez ?
Aujourd'hui, après six ans d'existence, la Fondation est connue du monde de l'insertion. Nous sommes en permanence sollicités par les structures. Le seul critère déterminant est le caractère non lucratif de leur activité. Vient ensuite l'examen des pièces du dossier, sa viabilité, le sérieux des actions, le nombre de bénéficiaires, le caractère concret du projet. Environ 500 projets par an nous sont adressés et nous soutenons entre 95 et 110 d'entre eux chaque année, pour des budgets très divers et avec de grandes amplitudes financières. La règle est que nous ne soutenons jamais la réalisation totale du projet, mais 30 % au maximum, afin de ne pas mettre la structure dans un état de dépendance financière. Les projets sont donc financés par plusieurs Fondations. Nous sommes peu nombreux à travailler sur l'insertion.
Quel soutien apportez-vous à ces structures quand vous les avez choisies ?
C'est la structure qui choisit de nous demander ce dont elle a besoin. Le financement que nous apportons peut concerner des dépenses de fonctionnement, l'achat de matériel, même les salaires des encadrants. Nous ne délimitons pas l'utilisation des fonds, mais nous demandons un bilan de la réalisation du projet, dans un souci de transparence. Bien sûr nous sommes aussi en contact régulier avec les structures qui nous informent des difficultés et des réussites du projet.
Quels projets avez-vous soutenus récemment ?
Nous soutenons depuis plusieurs années la structure le réseau Tissons la solidarité. Fondé par le Secours catholique, Tissons la solidarité a pour objectif l'insertion professionnelle de personnes (essentiellement des femmes) par le recyclage et la création de vêtements. Aujourd'hui, le réseau anime et fédère plus de 70 structures. Autre exemple, Emmaüs Défi, structure d'insertion qui a quatre ans et qui a créé le système de contrats à l'heure, pour les personnes les plus éloignées de l'emploi. Nous lui avons apporté un soutien financier dans le cadre de la rénovation du marché Riquet à Paris, qui sert, depuis début septembre, de lieu de vente d'objets de la vie courante pour les plus démunis.