Plan de formation : le “non-dialogue social", un risque pour les entreprises
“Risques et périls du non-dialogue social" était le thème d'une conférence-débat organisée le 29 novembre dernier par Opcalia Île-de-France. DRH et responsables de formation étaient invités à réfléchir aux enjeux de la négociation du plan de formation.
Par Sandrine Guédon - Le 16 décembre 2012.
“Quand nous évoquons avec les grandes entreprises les relations qu'elles entretiennent avec les IRP, elles répondent le plus souvent que... c'est compliqué", a observé Boris Boczkowski, directeur du pôle Grandes entreprises d'Opcalia Île-de-France. Cette matinée avait pour objectif de permettre aux entreprises de trouver des réponses à quelques questions-clés : quelles sont les conditions favorables au dialogue social, quel sens donner au plan de formation, selon quelles modalités, quelles postures adopter, et quelles sont les compétences pour aboutir à un dialogue constructif ? Un vaste programme, à l'heure où les budgets formation, victimes de la crise, sont revus à la baisse − et que les collaborateurs souhaitent voir renforcée leur employabilité.
“La consultation du comité d'entreprise participe de la qualité du plan de formation", a souligné Boris Boczkowski, mais surtout “l'entreprise ne doit pas oublier qu'elle prend un risque fiscal et pénal si elle ne respecte pas les modalités de consultations des élus". “Il est en effet nécessaire de sensibiliser les entreprises, car la formation est un enjeu financier", a complété Jacques Davezies, consultant en droit de la formation au sein du cabinet Boumendil et Consultants. “Une faiblesse du dialogue social et des délibérations peut conduire à des redressements très lourds financièrement, jusqu'à 50 % du 1,6 % de l'année."
L'absence de PV peut coûter cher
Le dialogue social dans le cadre du plan de formation a perdu de sa qualité lorsque la déclaration 2483 a été transformée et que les PV du comité d'entre n'ont plus été joints à la déclaration. “Aujourd'hui, on coche une case attestant que le dialogue social a été respecté !, a rappelé Jacques Davezies. Mais la grande surprise en matière de pratique du dialogue social, c'est que les entreprises ont réduit à deux le nombre de consultations du CE, au lieu des trois prévues par les textes, surtout en défaveur de la réunion sur les orientations de la formation. Ce qui n'est pas normal. Les entreprises doivent se montrer vigilantes, il y a des progrès à faire." Le consultant en a appelé également aux IRP, “démunis par rapport à la technicité du sujet, qui est redoutable". Jacques Davezies déplore par ailleurs “le peu de contentieux entre les acteurs de l'entreprise en la matière". Ajoutant : “Il y a bien les contrôles de l'administration, mais les élus ne se mobilisent pas [toujours] quand le dialogue dysfonctionne." Pourtant “il suffit qu'un point de la réglementation ne soit pas respecté pour qu'il y ait un redressement ! Quand il n'y a pas de PV de consultation par exemple, l'entreprise risque de le payer cher".
Former les IRP
Dans la plupart des cas, les IRP manqueraient donc de connaissances et de maîtrise sur les dispositifs de la formation professionnelle. Ce qui les empêche de mesurer le véritable enjeu de la politique de formation. “Catégoriser les actions de formation n'est pas simple, quand on sait qu'une action peut être du domaine du développement des compétences pour un salarié et du domaine de l'adaptation pour un autre, au sien de la même structure", a souligné Jacques Davezies. Les points de vigilance sont donc à rappeler : respect du formalisme, débat sur l'imputabilité et discussion des orientations de la politique de formation.
Oui, “les conséquences peuvent être douloureuses pour les entreprises", a insisté Marie-Christine Margeot, chef du Service régional du contrôle (SRC) de la formation professionnelle d'Île-de-France. “Nous contrôlons que les contributions ont bien été versées, que les dépenses sont bien réelles et imputables et que les IRP ont été consultés normalement. Sur ce dernier point, nous estimons que le droit de la formation professionnelle étant élaboré de manière paritaire, cela doit être aussi le cas au sein de l'entreprise." Elle a rappelé que “l'avis du CE est formalisé, il peut donc être contrôlé. Nous serons d'autant plus durs si nous constatons que le climat social est difficile de manière générale… Quand il existe des blocages sur la formation, il y en a souvent d'autres". Autrement dit, l'absence de dialogue social “est une circonstance aggravante en cas de contrôle. Au contraire, l'administration peut faire preuve de clémence si elle voit que des efforts sont faits en la matière".
“Il faut un pilotage stratégique de la formation"
Selon Jean-Paul Guillot, président de l'association Réalité du dialogue social (RDS), “la formation professionnelle est dans le champ des RH, mais les RH sont très rarement dans le champ stratégique des entreprises. En général, la chaîne des décisions part du haut pour redescendre vers les RH, qui appliquent les décisions". Rares sont les entreprises où il existe une ingénierie simultanée. “Nous constatons une vraie pauvreté en matière de dialogue social. Quant nous regardons les indicateurs, ils sont seulement quantitatifs", a-t-il déploré, ajoutant : “Il faudrait que les IRP et les employeurs suivent des formations communes sur les mécanismes de formation professionnelle, pour que le dialogue social soit un levier de performance collective en la matière."
Ce qu'a confirmé Boris Boczkowski : “Le dialogue social ouvre des opportunités dans les entreprises, les IRP ont un rôle à jouer dans la promotion de la formation professionnelle et dans l'appétence des salariés." Selon lui, “cela pose la question du développement “marketing" de la formation, qui réussirait à vendre et à donner du sens à la formation. Il faut un pilotage stratégique de la formation et du plan de formation". Beaucoup trop d'entreprises se contentent de donner une “enveloppe" au service formation, sans donner les grands axes de la politique formation. “Mais quand il n'y a pas de sens donné au plan de formation, il ne peut pas y avoir de conduite stratégique de la part du responsable formation." Et de conclure : “Il est étonnant de voir que les entreprises investissent autant dans la formation sans donner de sens et de lien par l'intermédiaire des responsables formation."
DCNS (leader mondial du naval de défense) a pourtant “réussi ce pari", a jugé Jean-Paul Guillot. “Cette entreprise est passé d'un statut d'administration à celui de société en engageant un processus de contractualisation sur un accord GPEC articulant le savoir-faire économique et le savoir-faire RH. Sa force est d'associer la direction et les organisations syndicales, ainsi que les équipes formation et les équipes opérationnelles."
La gestion du plan reste une compétence “dégradée"
Au final, Bernard Masingue, président d'Entreprise et personnel, a insisté sur la nécessité d'un dialogue social s'intéressant davantage à la formation professionnelle et se formant lui-même sur ces questions. “De même pour les responsables formation, qui aujourd'hui, du fait de la sophistication des budgets, gèrent principalement de l'administratif et du financier." Selon lui, “la gestion du plan de formation est une compétence relativement dégradée. La formation et son pilotage constituent un métier qui demande des qualifications. Il est possible d'envisager de sous-traiter la gestion administrative du plan, mais pas son pilotage, qui doit être assuré en interne, afin de le mettre en relation avec la stratégie de l'entreprise". À l'heure actuelle, “la politique des compétences est laissée en jachère au bénéfice de l'urgent", a-t-il déploré.