La formation professionnelle aux États-Unis
Alors que le second mandat de Barack Obama va officiellement commencer dans quelques jours, qu'en est-il de la politique sociale, en termes d'emploi et de formation, dans ce pays où la légitimité même de l'intervention publique est facilement mise en cause ? Panorama.
Par Monique Chatard - Le 16 janvier 2013.
Avec 7,8 % de demandeurs d'emploi en décembre 2012, le taux de chômage le plus bas depuis décembre 2008, les États-Unis commencent 2013 dans un climat beaucoup plus optimiste que nombre de leurs partenaires économiques. En effet, tenant compte de la baisse continue du nombre des demandeurs d'emploi depuis septembre 2012, le Comité de politique monétaire (la Federal open market committee, FOMC) de la Réserve fédérale (The Federal reserve system, Fed), a indiqué, en décembre, que celui-ci serait compris entre 7,4 et 7,7 % en moyenne sur les trois derniers mois de 2013.
“Redynamiser l'industrie"
Fort de plus de trente mois de croissance depuis sa première élection à la présidence de la “première puissance économique mondiale", Barack Obama a promis de poursuivre les initiatives en faveur de la reprise économique et de la reconquête du plein emploi. Avec le “made in America", il vise à encourager les entreprises à produire sur le sol américain et au contraire à réduire (voire supprimer) les avantages fiscaux de celles qui délocalisent leur production à l'étranger. “L'ambition de Barack Obama et de son administration est de redynamiser l'industrie américaine et la création d'emplois manufacturiers", précise Catherine Sauviat, chercheuse spécialiste des États-Unis à l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires).
Les résultats se font d'ores et déjà sentir, quoique leur ampleur reste limitée : “Plusieurs entreprises commencent à rapatrier leurs productions au pays." Selon une étude rendue publique en mars 2012 par le Boston Consulting group (BCG) sur la renaissance industrielle des États-Unis, “la forte croissance des exportations américaines, combinée au rapatriement d'une partie de la production (reshoring) pourrait se traduire par la création de 2,5 à 5 millions d'emplois d'ici 2020".
Pas de politique globale d'emploi et de formation
La relance de l'économie américaine est donc l'une des préoccupations majeures du président réélu. Comme dans la plupart des pays industrialisés, la capacité de développement et de compétitivité des entreprises passe par la mise à disposition de main-d'œuvre qualifiée. _ Les acteurs politiques et économiques étant convaincus de l'importance de la formation tout au long de la vie dans le maintien de la compétitivité des entreprises. Mais, selon Coralie Perez, chercheuse au Centre d'économie de la Sorbonne (Université de Paris-I - CNRS), contrairement aux pays européens, les États-Unis ne disposent pas, “à proprement parler, d'une politique globale d'emploi et de formation". C'est “le libre jeu des forces du marché" qui prime.
Répondre aux besoins immédiats
Le système américain de formation date de l'après-Première Guerre mondiale. Une loi de 1917 (Smith-Hughes act) visait à promouvoir l'éducation professionnelle dans les lycées par des incitations financières. Mais la mise en place de ce système dual a été contestée, la formation professionnelle étant considérée comme une “voie de garage" à côté d'“un système éducatif plutôt réservé aux privilégiés", précise Catherine Sauviat. D'autre part, elle posait “la question de savoir si la formation doit servir aux besoins et aspirations des salariés ou au contraire répondre aux besoins des entreprises. Faut-il prôner un système de formation qui réponde avant tout et sur-le-champ aux besoins des employeurs ? Ou bien la formation doit-elle permettre aux salariés de s'épanouir, d'améliorer leurs capacités personnelles ?" En optant principalement pour la formation “just in time", les entreprises américaines ont tranché. Car, pour ces acteurs économiques, l'objectif de la formation est avant tout de répondre aux besoins immédiats des entreprises et des secteurs d'activité. Surtout en ces temps de crise !
Former pour l'emploi
Depuis sa création, la formation professionnelle n'a donc jamais constitué une préoccupation majeure aux États-Unis. “Les programmes d'emploi et de formation n'ont jamais représenté plus de 2 % du budget fédéral, même lorsque les États-Unis connaissaient des taux de chômage supérieurs aux taux européens", indique Coralie Perez, qui a consacré de nombreuses études aux politiques d'emploi et de formation dans ce pays. Selon elle, les programmes publics d'emploi et de formation “sont traditionnellement destinés aux “désavantagés économiques" (economically disadvantaged). Ils ont toujours été utilisés comme adjuvants de la politique de lutte contre la pauvreté", relevant ainsi davantage de la politique sociale que de la politique économique. Ce sont, pour la plupart, des programmes très ciblés sur les travailleurs en difficulté (souvent victimes de restructurations et n'arrivant pas à trouver un emploi équivalent à celui qu'ils occupaient), les jeunes ou les chômeurs de longue durée.
Le “client" au cœur du système
Les programmes actuels s'inscrivent dans le cadre du WIA (Workforce investment act) voté en août 1998 [ 1 ]Le Workforce investment act (WIA) de 1998 a remplacé le Job training and partnership act (JTPA) de 1982 et le Comprehensive employment and training act (CETA) de 1973. Cette réforme du système d'aides fédérales à l'emploi et la formation vise à mieux rationaliser et intégrer les services fournis. Il s'agit, précise Coralie Perez, de placer le “client" des services publics d'emploi au cœur du système (customer-focused), “en créant un guichet unique (le one stop career center) et des chèques formation favorisant l'initiative individuelle dans le choix des formations".
Mais les objectifs affichés du WIA confirment, selon la chercheuse, le choix des autorités américaines pour le placement rapide dans l'emploi (work first) au détriment de la formation professionnelle. “Une insertion rapide dans un emploi peu rémunérateur est-elle économiquement plus efficace à long terme qu'une participation à des actions de formation ?" En attendant, et face à la montée du chômage, l'administration Obama a signé en 2009 une mesure d'urgence, l'American recovery and reinvestment act (ARRA). Outre l'extension de la durée d'allocation chômage (de vingt-six à trente-trois semaines), l'ARRA a doublé les sommes allouées à la formation des travailleurs et dispensée par les programmes du WIA. Des aides spécifiques ont ciblé les travailleurs du secteur automobile durement touché par la crise. Selon Coralie Perez, le WIA “n'est pas le vecteur d'un projet politique faisant de l'élévation des qualifications ou de la réduction du sous-emploi un objectif mobilisateur". Alors, “si le ralentissement de l'activité économique se prolonge aux États-Unis, les débats sur l'opportunité de renouer avec les programmes de subventions à l'embauche pour les moins qualifiés, et les créations d'emplois publics pour amortir le chômage, trouveront-ils peut-être un écho plus favorable ?"
Un pays où l'évaluation systématique est une culture
Des programmes d'évaluation renforcée permettraient de savoir l'impact des dispositifs publics d'emploi et de formation. “Dans ce pays où l'évaluation systématique est une culture, le General accounting office (l'équivalent de la Cour des comptes) a regretté, dans un rapport récent, que les dispositifs publics de formation professionnelle soient peu évalués. Il est difficile, ont estimé les rapporteurs, de connaître l'efficacité exacte de ces dispositifs, notamment dans l'aide à la réinsertion professionnelle des bénéficiaires", relève Catherine Sauviat. Qui explique cette situation par l'organisation du système américain. En effet, dans le cadre du WIA, si les lignes directrices (guidelines) des dispositifs publics d'emploi et de formation sont déterminées par l'État fédéral (notamment le Department of Labor, DOL), la coordination et les modalités pratiques relèvent de la gestion des États. Ce sont les agences locales (one stop centers) qui déterminent l'utilisation des fonds fédéraux alloués à ces dispositifs. Et celles-ci diffèrent d'un État de l'Union à l'autre.
_ Y aurait-il quelques points communs entre les systèmes de formation français et américain ?
Il n'y a pas grand-chose de commun entre les systèmes de formation professionnelle en France et aux États-Unis, si ce n'est le caractère inégalitaire de l'accès à ces dispositifs. Alors que le système de formation professionnelle est considéré en France comme “le jardin du paritarisme", avec néanmoins une régulation partagée entre l'État et les partenaires sociaux, ni le gouvernement fédéral ni l'AFL-CIO [ 2 ]American federation of labor - Congress of industrial organizations
(principal regroupement syndical). et encore moins les associations d'employeurs aux États-Unis, n'ont de pouvoir régulateur en la matière. Ce pouvoir a été délégué aux États, lesquels gèrent les fonds de la formation professionnelle, fixent les standards de qualification à leur échelle, etc.
En France, le système de formation professionnelle est marqué par une forte implication des syndicats de salariés et d'employeurs au niveau national, même si les Régions sont montées en puissance depuis les années 1990. Aux États-Unis, il est plus fragmenté et moins développé, du fait de la faible implication des organisations patronales, hormis dans quelques secteurs, comme celui de la construction, qui attire 80 % des jeunes en formation par apprentissage. Il faut rappeler qu'ici, il n'y a pas d'organisation qui fédère (et négocie au nom de) tous les employeurs au niveau national, comme c'est le cas en France, avec le Medef, la CGPME ou l'UPA. Paritaire, le système français de formation professionnelle est piloté par les organisations syndicales et patronales qui adoptent des accords interprofessionnels, repris par la loi, collectent et gèrent une partie des fonds qui lui sont destinés. Aux États-Unis, ce sont les États et les entreprises qui ont la capacité d'initiative, du fait du caractère très décentralisé du système.
La mutualisation des coûts de la formation n'est donc pas
une préoccupation des acteurs ?
Les employeurs américains n'ont pas opté, à l'instar de leurs homologues français, pour une mutualisation du financement de la formation professionnelle (obligation de financement de l'entreprise, variable selon la taille). Face à un taux élevé de turn-over, les entreprises ont privilégié plutôt une politique de formation “just in time" (juste à temps), qui leur permet d'acquérir les compétences adaptées aux besoins des postes de travail, et en attendent un retour immédiat sur investissement. C'est le “chacun pour soi". Difficile pour un employeur d'envisager de financer la formation d'un salarié dont les compétences profiteraient à un autre (free rider). L'entreprise donne les moyens au salarié de travailler pour elle et rien que pour elle seule. Le système de formation aux États-Unis est donc à l'image du pays : très libéral.
Si les dispositifs fédéraux permettent à tous les citoyens de se former en vue d'une réinsertion professionnelle, les entreprises américaines n'investissent donc que pour la formation exclusive de leurs collaborateurs.
Même dans le cadre d'une réflexion de “réindustrialisation"
et de création de nouveaux emplois industriels ?
Quand bien même les entreprises participent au financement de la formation de leur main-d'œuvre, elles le font avec parcimonie. Ainsi par exemple, bien que les entreprises de haute technologie (informatique, logiciels, etc.) se disent confrontées à un déficit de main-d'œuvre, elles préfèrent recourir à des travailleurs qualifiés étrangers (ingénieurs, notamment), dans le cadre d'une immigration de travail (visas temporaires ou H-1B visas), en faisant pression auprès du Congrès en faveur d'une hausse de leur quota [ 3 ]Environ 65 000 par an., plutôt que d'œuvrer à l'amélioration du système d'éducation et de formation professionnelle.
Un des avantages, pour elles, étant l'accès à un réservoir mondial de main-d'œuvre qualifiée dont ni elles ni le gouvernement fédéral ou les États n'ont à supporter le coût de l'éducation ou de la formation. Cette situation est d'ailleurs vivement critiquée par les syndicats, qui prônent un engagement renforcé des entreprises dans la formation des salariés.
Barack Obama a-t-il annoncé une action sur ces questions ?
On peut s'attendre à des initiatives de la part du président réélu pour un second mandat sur les questions de l'immigration (visas temporaires notamment) et de la formation professionnelle. Sa volonté de redynamiser l'industrie américaine devrait logiquement le conduire en effet à s'attaquer au problème de la pénurie de main-d'œuvre qualifiée, donc à renforcer les dispositifs de formation professionnelle.
Il devrait donc continuer d'œuvrer au rapprochement des programmes de formation professionnelle du ministère du Travail (Department of Labor), et de ceux mis en œuvre par le ministère de l'Éducation, comme il a tenté de le faire ces dernières années, malgré l'opposition systématique des républicains.
L'“American jobs act" proposé précédemment ne visait-il pas
le même objectif ?
Dans ce programme, Barack Obama souhaitait le développement
des compétences et des emplois : construction de routes, d'aéroports
et de voies ferrées, retour à l'emploi des vétérans (anciens combattants) et des chômeurs, modernisation des établissements de formation, etc. Mais il faut reconnaître que très peu de dispositions de ce programme ont été adoptées, du fait d'un blocage de toutes ces initiatives par un Congrès plus divisé idéologiquement que jamais.
L'ambition du gouvernement Obama de relancer l'économie américaine, donc l'emploi, en s'appuyant sur la formation professionnelle, s'illustre notamment dans sa proposition de loi budgétaire 2013. Celle-ci vise à renforcer les moyens financiers des community colleges, établissements de formation technique et professionnelle qui constituent la première marche du système éducatif pour des publics défavorisés (en échec scolaire ou à bas revenus). L'objectif est clairement de renforcer les liens de ces établissements avec les entreprises et les secteurs d'activité demandeurs d'emploi, notamment l'“industrie manufacturière avancée" (haute technologie, etc.). Il s'agit aussi de renforcer les moyens d'action de ces établissements, de les inciter à adopter une culture de résultats, en les encourageant à accompagner efficacement vers l'emploi ces publics très fragilisés. La création d'un fonds spécifique destiné à renforcer les liens entre les community colleges et les entreprises participe clairement de cette politique.
20 janvier, inauguration day
Aux États-Unis, les citoyens élisent début novembre le collège électoral de grands électeurs, qui eux-mêmes se réunissent en décembre pour élire formellement le président. Les résultats ne sont officiellement proclamés par le Congrès qu'en janvier, et le nouveau président entre en fonction à une date traditionnellement fixée au 20 janvier (Inauguration Day, “jour d'investiture").
Notes
1. | ↑ | Le Workforce investment act (WIA) de 1998 a remplacé le Job training and partnership act (JTPA) de 1982 et le Comprehensive employment and training act (CETA) de 1973 |
2. | ↑ | American federation of labor - Congress of industrial organizations (principal regroupement syndical). |
3. | ↑ | Environ 65 000 par an. |