La SNCF délocalise partiellement sa formation professionnelle au Maroc

Par - Le 01 avril 2013.

Onde de choc, lors d'un récent comité central d'entreprise (CCE) de la SNCF : la direction annonce aux partenaires sociaux la création au Maroc d'un Institut de formation aux métiers ferroviaires. Les organisations syndicales dénoncent ce qu'elles considèrent comme un premier pas vers une délocalisation qui pourrait prendre plus d'ampleur à l'avenir, tandis que la SNCF minimise ce projet.

Un projet d'Institut de formation aux métiers ferroviaires (IFF) au Maroc vient d'être finalisé entre la SNCF et l'Office national des chemins de fer du Maroc (ONCF). En effet, la SNCF travaille à la construction de la ligne grande vitesse (LGV) entre Tanger et Kenitra (au nord de Casablanca).

Cette construction s'accompagne d'un “partenariat" entre les deux pays, qui s'est concrétisé par un protocole d'accord signé entre le président Nicolas Sarkozy et Mohamed VI le 22 octobre 2007 : assistance à la maîtrise d'ouvrage du projet par la SNCF et coopération technologique, économique et financière.

À la suite de cette première phase, Guillaume Pepy, président de la SNCF, et Karim Ghellab, ministre marocain des Transports, ont signé le 9 avril 2009 deux contrats fixant les conditions de réalisation des prestations d'assistance à la maîtrise d'ouvrage et les missions d'expertises relatives au projet.

Deux ans plus tard, la SNCF et l'ONCF travaillaient sur un projet d'accord pour la création d'un Institut de formation aux métiers ferroviaires (IFF) qui devrait voir le jour en septembre 2014.

L'institut sera basé au Maroc. La direction indique que les domaines de formation concerneront l'ensemble des compétences relatives aux transports ferroviaires : déplacements urbains, périurbains, inter-cités par ligne classique ou à grande vitesse.

Elle ajoute que trois domaines de formation sont prévus : industriel (maintenance de l'infrastructure et du matériel roulant, conduite de grands projets) ; services aux clients voyageurs et marchandises ;
exploitation ferro-viaire et notamment conduite des trains.

CGT Cheminots : “Une logique de moindre coût des formateurs"

Mais la direction précise également que dans la logique de partenariat entre SNCF et ONCF, il a été décidé d'un programme de formation commun aux cheminots marocains et français. La riposte de la CGT, syndicat majoritaire à la SNCF, est immédiate : “Cela part d'une très bonne intention. Nous sommes d'accord pour que des cheminots marocains soient formés au Maroc, mais nous sommes totalement opposés à la délocalisation ! " Éric Ferreres, secrétaire de la fédération CGT des cheminots, s'alarme des conséquences que pourrait entraîner le projet.

De son côté, la SNCF minore son impact : “30 000 jours de formation annuels seront dispensés par l'IFF, dont 10 000 jours de formation pour les agents SNCF. Sur ces derniers, 5 000 seront créés et 5 000 autres seront transférés au Maroc, soit un peu moins de 0,5 % de la totalité des jours dispensés" par la SNCF.

Mais l'argument ne convainc pas la CGT, qui dénonce une logique de moindre coût des formateurs qui, selon la direction, “seront Français et Marocains". Pour Éric Ferreres, en effet, “cela coûtera moins cher d'envoyer les gens se former au Maroc". Ce qui signifie que le droit du
travail qui leur sera applicable ne sera certainement pas le droit du travail français, entraînant un recul social pour les futurs formateurs
de l'IFF. formation étaient progressivement transférées de la
France au Maroc, certains centres qui travaillent régulièrement avec la SNCF pourraient être les victimes de cette stratégie.

Unsa Cheminots : le problème de la fuite de compétences

Comme leurs collègues des autres organisations syndicales, l'Unsa
Cheminots dénonce la décision de la direction. Roger Dillenseger, son secrétaire général adjoint, déplore la stratégie menée par la SNCF qui soulève, à ses yeux, deux problèmes : “En vendant la formation à l'étranger, la SNCF cède nos compétences à d'autres entreprises ferroviaires. Elle cède un outil qui marque notre différence."

Et sur le site officiel du projet, la conclusion est sans ambages : “Les experts français apportent tout leur savoir-faire dans les domaines de la conception, de la réalisation, de la mise en service, du déploiement de l'offre commerciale et l'exploitation des infrastructures de la ligne grande vitesse dans toutes ses composantes. Ce transfert de compétences, lié à l'osmose existant entre les experts marocains et français, sera le fruit de la réussite de ce projet."

Quelles contreparties pour obtenir le marché ?

Dans un monde très concurrentiel en effet, ce choix est à double tranchant. Il semble gagnant à court terme, puisque la France vend à la fois du matériel et les compétences qui vont avec. L'appel d'offres s'est révélé très favorable pour la SNCF et Alstom (voir encadré), ce qui n'est pas négligeable dans un contexte économique morose. La contrepartie est à la fois financière (le prêt est en partie français) et consiste dans le transfert de compétences.

Est-il aussi gagnant à long terme, s'il y a un risque pour la SNCF de ne plus être utile et de se voir dépossédée de ses technologies originales ? Le débat est ouvert. “On se sépare d'une maîtrise de connaissances, ce qui aboutira fatalement à une fuite de compétences", tranche le représentant de l'Unsa Cheminots, qui
estime également que “sur les volumes de formation professionnelle nous pourrions ne pas être inquiets, mais nous le sommes car nous entrons dans l'engrenage de la délocalisation".

Les syndicats se sont formellement opposés à la décision de la SNCF. Sans succès. La direction est bien décidée à poursuivre sa stratégie de formation professionnelle au Maroc.

LE PROJET DU PREMIER TGV DU MONDE ARABE

Le TGV au Maroc fera 200 km de double voie entre Tanger et Kenitra, conçu pour 350 km/h et exploité à 320 km/h.

Le financement du projet a été bouclé en novembre 2010 et coûtera 1,8 milliard d'euros ou 20 milliards de dirhams [ 1 ]Un collectif marocain “Stop TGV" s'oppose au projet et fait valoir que cette somme aurait pu servir à la construction de 25 000 écoles dans le monde rural, 16 000 bibliothèques, 10 000 médiathèques et 25 centres universitaires hospitaliers.

Il indique aussi que le Maroc est classé 130e selon l'indice mondial de développement humain et que de très nombreuses régions ne sont pas desservies par le rail “classique".
− financés par 13,36 milliards au titre d'un emprunt, 5,80 milliards de financement par le Maroc et 840 millions par des dons [ 2 ]Source : site officiel de la LGV du Maroc. D'autres sources indiquent un coût de 25 milliards de dirhams, soit 2,2 milliards d'euros, financés pour 60 % par la France et les pays du Golfe, sous forme de prêts.
L'une des conventions signées entre la France et le Maroc prévoit l'acquisition de 14 rames de TGV. Les travaux ont officiellement été lancés en septembre 2011. Ceux pour le génie civil devraient être terminés en février 2014, ceux relatifs aux équipements ferroviaires à la fin de l'année prochaine et les rames à grande vitesse (construites
par Alstom) devraient être livrées courant 2015 pour une mise en service fin 2015. Le projet finalisé mise sur une clientèle de 6 millions de personnes en 2016, contre 3,5 millions aujourd'hui.

Notes   [ + ]

1. Un collectif marocain “Stop TGV" s'oppose au projet et fait valoir que cette somme aurait pu servir à la construction de 25 000 écoles dans le monde rural, 16 000 bibliothèques, 10 000 médiathèques et 25 centres universitaires hospitaliers.

Il indique aussi que le Maroc est classé 130e selon l'indice mondial de développement humain et que de très nombreuses régions ne sont pas desservies par le rail “classique".
2. Source : site officiel de la LGV du Maroc. D'autres sources indiquent un coût de 25 milliards de dirhams, soit 2,2 milliards d'euros, financés pour 60 % par la France et les pays du Golfe, sous forme de prêts.