Comment dynamiser la formation continue des enseignants ?
Par Claire Padych - Le 16 juin 2013.
Le rapport “Gérer les enseignants autrement" de la Cour des comptes, rendu public le 22 mai dernier, n'a pas seulement relevé les dysfonctionnements − quasi raison d'être de ce type de travaux − dans la formation continue des enseignants. Il a évoqué des pistes d'amélioration, notamment avec un exemple choisi dans le lointain Ontario. Un rappel, tout d'abord : la France emploie 837 000 enseignants (public et privé sous contrat), ce qui représente 49,9 milliards d'euros de masse salariale (chiffre 2011), soit 17 % du budget général de l'état. Ce qui entraîne ce constat tranché : “L'Éducation nationale ne souffre pas d'un manque de moyens ou d'un nombre trop faible d'enseignants, mais d'une utilisation défaillante des moyens existants." Avec “un défaut d'accompagnement des pratiques et des carrières". L'enquête a été conduite sur le terrain, auprès de cinq académies : Versailles, Lille, Nantes, Bordeaux et Limoges. Les enseignants rencontrés ont déclaré souffrir de ne pas bénéficier d'un appui pour enrichir leur pratique professionnelle. La formation continue qui leur est proposée ne permettrait pas d'assurer de façon satisfaisante l'amélioration de la qualité des pratiques. pourquoi ? Elle serait trop limitée en volume : selon le bilan national 2010-2011 de la Direction générale de l'enseignement scolaire [ 1 ]Les chiffres suivis par la Direction générale de l'enseignement scolaire dans son bilan n'incluent pas deux autres dispositifs de formation continue : le programme national de formation et le droit individuel à la formation., les formations mises en place dans les académies représentent une durée − moyenne − par enseignant de 1,9 jour dans le premier degré et de 2,1 jours dans le second degré.
La formation, outil d'accompagnement des réformes
Le rapport précise que l'inadaptation de la formation continue fait l'objet d'un diagnostic largement partagé, notamment par le Haut conseil de l'éducation (HCE), qui la décrit comme “sinistrée, et manquant autant d'une vision stratégique claire que de moyens", alors que les inspections générales du ministère notent l'“inadéquation croissante entre les attentes des enseignants et celles des décideurs" [ 2 ]Inspection générale de l'éducation nationale (Igen) et Inspection générale de l'administration et de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR), Rapport 2010-111 : “évaluation de la politique de formation continue des enseignants des premier et second degrés" (sur la période 1998-2009), octobre 2010.. La Cour des comptes relève que la formation continue est en fait utilisée comme outil d'accompagnement des réformes qui ne cessent de se succéder depuis des décennies, imposant des bouleversements de pratiques. Ceci au détriment d'actions visant au développement des compétences professionnelles.
Le rapport évoque un faible taux de présence et d'assiduité : en 2010-2011, 40 % des enseignants du premier degré et 15 % de ceux du second degré inscrits à une formation ne se sont pas présentés à leur convocation ; 57 % de ceux du premier degré et 62 % du second degré ont assisté aux deux tiers de leur formation. plusieurs explications sont avancées : simples dysfonctionnements d'organisation, difficultés à trouver un remplaçant, faiblesse des frais de remboursement, mais aussi la “déception des enseignants quant au contenu et à la qualité des stages".
Concevoir des parcours de formation continue
De son côté, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche rappelle que le projet de loi sur la refondation de l'école a prévu l'instauration des “écoles supérieures du professorat et de l'éducation" (Espé), qui seront pleinement intégrées à l'Université. Elles permettront une formation initiale aux étudiants se destinant aux carrières du professorat ou de l'éducation, y compris hors de l'éducation nationale : éducateurs et formateurs pour adultes.
pour ce qui est de la formation continue, ces ESPÉ seront chargées de construire, en partenariat avec les Rectorats, des parcours de formation continue à destination des enseignants, des formateurs et des personnels d'inspection et d'encadrement. selon le ministre de l'éducation nationale, dès la rentrée prochaine, ce sont près de 400 000 professeurs des écoles qui pourront bénéficier de modules de formation numérique adaptés à leurs besoins pédagogiques.
Le système des “qualifications additionnelles" de l'Ontario
Mais la Cour des comptes s'est donc également intéressée aux systèmes étrangers, afin de démontrer qu'“une organisation
beaucoup plus incitative de la formation continue est possible". Ainsi, au Canada, un “ordre des enseignantes et enseignants de l'Ontario" (OEEO), organisme indépendant du ministère, créé en 1997, se charge de leur formation continue. Le mécanisme est basé, en amont, sur la validation des formations offertes par des “fournisseurs" et, en aval, sur la délivrance aux enseignants en exercice de “cartes de compétences" reconnaissant des “qualifications additionnelles"
(QA) et des “qualifications de base additionnelles" (QBA). Les premières leur permettent d'approfondir leurs connaissances dans une matière ou un cycle d'enseignement pour lesquels ils sont déjà titulaires de la qualification, tandis que les secondes leur permettent d'envisager d'enseigner dans une autre matière ou un autre cycle. Les qualifications additionnelles obtenues par les enseignants sont validées par le “conseil de l'ordre" et intégrées au dossier de l'enseignant. Il faut en moyenne 125 heures pour obtenir une qualification additionnelle. En l'espèce, parmi les QA les plus recherchées par les enseignants de l'Ontario, figurent les modules “éducation de l'enfance en difficulté".
Libres de s'inscrire dans les formations de leur choix
Les enseignants sont libres de s'inscrire dans les formations de leur choix, à condition toutefois d'obtenir de leurs administrations locales (établissement et conseil scolaire) : l'autorisation de s'absenter, le financement de leur remplacement, et, éventuellement, le financement de l'action de formation visée. Mais l'administration peut demander à l'enseignant de financer lui-même sa participation.
Ces QA sont qualifiantes au sens français du terme, puisqu'elles donnent accès à un diplôme, validé par l'OEEO. Certaines permettent de progresser dans la grille de rémunération. Elles sont le moyen, pour
l'enseignant qui le souhaite, d'évoluer dans son parcours de carrière par l'accession à de nouvelles responsabilités. Les qualifications
additionnelles permettent par exemple d'accéder, au sein d'un établissement, aux fonctions de conseiller pédagogique dans une matière, de directeur d'école, ou encore, à l'échelle d'un conseil scolaire, aux fonctions de “coordonnateur de programme" ou d'“agent de supervision". Les qualifications obtenues sont donc intégrées au dossier de l'enseignant dans sa “carte de formation" individuelle, dont
l'OEEO est “le gardien". Le système a séduit les conseillers de la Cour des comptes, qui ont conclu qu'elles “permettent ainsi de
bâtir sur le long terme de véritables profils de compétences reconnues".
L'ORDRE DES ENSEIGNANTES ET ENSEIGNANTS DE L'ONTARIO
L'OEEO est administré par 37 membres, dont 23 représentants des enseignants élus par leurs pairs et 14 membres du public nommés par le gouvernement provincial.
Il compte 220 000 adhérents, sachant que l'adhésion est obligatoire pour tout enseignant souhaitant exercer en Ontario. Chacun dispose d'un dossier individuel avec le récapitulatif de son parcours professionnel : formation initiale, qualifications additionnelles, postes occupés, etc.
Notes
1. | ↑ | Les chiffres suivis par la Direction générale de l'enseignement scolaire dans son bilan n'incluent pas deux autres dispositifs de formation continue : le programme national de formation et le droit individuel à la formation. |
2. | ↑ | Inspection générale de l'éducation nationale (Igen) et Inspection générale de l'administration et de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR), Rapport 2010-111 : “évaluation de la politique de formation continue des enseignants des premier et second degrés" (sur la période 1998-2009), octobre 2010. |