Le pari des entreprises sur les personnels du ministère de la Défense
Par Claire Padych - Le 01 septembre 2013.
Souvent jeune, le personnel militaire peut être dans une logique de carrière courte
au sein des armées. Le service des ressources humaines de la
Défense organise, chaque année, le retour à la vie civile de
16 500 militaires ayant été formés à plus de 400 métiers. Les entreprises sont intéressées par ces profils “pertinents" et multiples.
Trois militaires sur quatre ayant quitté les armées en 2012, accompagnés par l'agence Défense Mobilité, ont trouvé un emploi dans les six mois suivant leur départ. En amont, l'agence propose à chaque candidat un suivi individuel et personnalisé jusqu'à trois ans après son départ. L'objectif est de définir avec lui un projet professionnel ; les étapes du parcours de transition sont coordonnées par un conseiller en emploi référent.
Le dispositif a été conçu pour que le candidat au départ prenne contact avec le personnel de Défense Mobilité au moins dix-huit mois avant la fin de son contrat militaire. Puis il bénéficie de prestations d'orientation individuelle ou collective selon ses besoins, d'un bilan de compétences individualisé (aspirations, contraintes géographiques…) pour établir le projet professionnel. À toutes les étapes, des conseils et des informations précises lui sont données, ainsi que des aides à la création d'un CV, aux lettres de motivation, à la conduite d'entretien de recrutement. La mise en place d'un réseau pour rencontrer des professionnels ou d'une stratégie d'accès à l'emploi sont également des outils qu'utilisent fréquemment les professionnels de
Défense Mobilité.
Une “antenne cadres supérieurs"
L'agence dispose d'un centre de formation, le Centre militaire de formation professionnelle (CMFP) de Fontenay-le-Comte (Pays de la Loire) hébergeant un centre Afpa (Association nationale pour la formation professionnelle des adultes). Il a pour objectif d'apprendre aux personnels un nouveau métier lorsque celui exercé dans la Défense n'existe pas dans le civil.
Ils étaient 500 en 2012 à y avoir reçu une formation adaptée à leur projet professionnel à partir de sept secteurs : sécurité et réseaux ; industrie ; maintenance des véhicules ; restauration ; administratif tertiaire (agent d'accueil touristique, agent magasinier, assistant de vie aux familles, comptable assistant, ouvrier du paysage…) ; froid et électricité (électricien d'équipement, technicien d'intervention en froid commercial et climatisation…) et bâtiment (carreleur, maçon, installateur en thermique et sanitaire, menuisier d'agencement, peintre…).
Ces secteurs donnent accès à 36 spécialités réparties dans 35 ateliers de formation. Les formations sont sanctionnées par un titre professionnel
délivré par le ministère du Travail et de l'Emploi.
Autre possibilité : la validation des acquis de l'expérience. Tout militaire ou civil de la Défense ou son conjoint, ayant exercé une activité durant au moins trois ans sans avoir le diplôme lié à cette activité, peut mettre à profit cette expérience pour demander à bénéficier de la VAE.
Enfin, une “antenne cadres supérieurs" (ACS) s'adresse aux candidats qui présentent un profil et un projet professionnel de cadre supérieur, afin de leur proposer un suivi adapté et personnalisé en vue de les accompagner vers un emploi en France ou à l'étranger.
Keolis : “Un bon maillage sur le territoire"
“Le personnel issu des armées a souvent des activités proches des nôtres… La rigueur, le sang-froid, la capacité à gérer l'imprévu et à s'adapter rapidement sont des qualités reconnues aux militaires et recherchées", indique Michel Lamboley, directeur général du groupe et membre du directoire de Keolis (opérateur du transport public en France et en Europe). Ils ont “un sens de la loyauté, une excellence technique", a renchéri Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, lors de la signature d'un partenariat, le 3 juillet 2013, entre le ministère et Keolis, reconduisant, pour trois ans celui signé en 2009 et qui a déjà permis le recrutement de 335 militaires.
Aujourd'hui, ce sont surtout des conducteurs qui sont recherchés dans une entreprise qui affiche + 12,5 % de croissance annuelle en moyenne depuis 2007, avec un chiffre d'affaires de 4 980 millions d'euros en 2012 (contre 2 765 millions d'euros cinq ans plus tôt). La formation complémentaire suivra dans ce groupe qui consacre 3,46 % de sa masse salariale à la formation en France (3,52 % en 2011
et 3,41 % en 2010), 633 406 heures annuelles (contre 589 998 heures l'année précédente), représentant une moyenne de 19,2 heures annuelles de formation par salarié – chiffre stable par rapport à 2011.
“Notre entreprise possède un bon maillage sur le territoire qui peut intéresser ceux qui quittent la vie militaire. Nous avons le même ADN : le service public et l'ancrage territorial. Nous ne nous sommes pas trompés : l'alchimie s'est faite !", lance Michel Lamboley. Or, le groupe qu'il a en charge réalise un chiffre d'affaires annuel de près de 5 milliards d'euros et emploie 53 000 personnes dans 90 villes en France. C'est donc précisément cette organisation décentralisée qui offre des “solutions de proximité" aux postulants dans le groupe, “des postes au plus près des endroits où ils vivent". D'autres peuvent rejoindre la direction en raison de leur capacité “à diriger des hommes, des équipes". Quant aux femmes qui ont travaillé dans l'armée ou qui sont les conjointes de personnels inscrits à Défense Mobilité, elles ont maintenant toutes leurs chances dans un groupe “qui a désormais une démarche de féminisation", selon le
directeur général, avec notamment “de plus en plus de conductrices" (18,02 % en 2012 contre 17,66 % en 2011).
Apave : “Personne n'imagine la palette de métiers dans l'armée !"
Autre groupe à avoir misé sur les candidats issus du ministère de la Défense : Apave, avec 9 800 collaborateurs en France et à l'étranger et dont l'activité est d'accompagner ses clients dans la maîtrise de leurs risques techniques, environnementaux et humains. “Nous avons une offre complète de prestations autour de cinq métiers assurés par des ingénieurs et techniciens : l'inspection, qui consiste à évaluer la conformité des installations et équipements ; la formation professionnelle ; le bâtiment, avec le contrôle technique de construction, la sécurité sur les chantiers ; les essais et mesures sur site ou en laboratoire, du conseil pour concilier maîtrise des risques et performance des organisations", résume Isabelle Gozdowski, responsable de la communication et du recrutement du groupe Apave et directrice des ressources humaines d'une des entités du groupe.
“Nous voulons recruter 700 collaborateurs cette année, en CDI, poursuit-elle. Nous en avons intégré près de 600 en 2012 et souhaitons poursuivre sur ce rythme jusqu'en 2016. Nous recherchons environ 10 % de jeunes diplômés, 30 % de personnes ayant de un à cinq ans d'expérience et 60 % de candidats expérimentés. Nous recherchons principalement des techniciens chargés d'inspection de niveau bac à bac + 3 avec des compétences en électricité, mécanique, énergie-thermique et appareils à pression. Nous recherchons aussi des ingénieurs chargés d'affaires, qui peuvent analyser puis chiffrer les besoins clients, assurer la prestation en mode projet, notamment dans le bâtiment, dans la métallurgie, le suivi de constructions soudées. Une connaissance du marché du nucléaire est appréciée."
L'entreprise a signé un partenariat avec le ministère de la Défense le 4 juillet 2013 pour faciliter la transition professionnelle des personnels des armées. “Ils ont des profils pertinents. Personne n'imagine la palette de métiers dans l'armée !", s'enthousiasme Isabelle Gozdowski, qui souligne que, chaque année, le groupe recrute une vingtaine de personnes issues des armées qui ont notamment des compétences dans les métiers “de la pression", comme les sous-mariniers. “Aujourd'hui, nous aimerions augmenter cette moyenne de recrutements. Nous recherchons surtout des experts en électricité, en énergie, des spécialistes en prévention des risques… Deux points nous intéressent particulièrement dans ces profils : la maîtrise des risques et des valeurs humaines comme l'intégrité. L'expertise technique des militaires est transférable, ils ont l'habitude de la mobilité géographique. Nous avons
130 agences en France : le maillage territorial est important et il nous est facile de rencontrer localement les représentants de Défense mobilité pour permettre la reconversion du personnel qui quitte l'armée."
Aujourd'hui, le personnel formé dans les armées a une cote montante auprès des entreprises. Rigoureux, disciplinés et particulièrement respectueux de la hiérarchie : ces qualités souvent communes aux ex-militaires ou personnels ayant travaillé au sein des armées sont très appréciées par les employeurs. En outre, Défense Mobilité leur a proposé plus de 620 formations différentes afin qu'ils puissent rapidement s'adapter à leurs nouvelles missions professionnelles. Les paramètres pour une intégration réussie dans le civil sont réunis.
DÉFENSE MOBILITÉ : LA BOTTE SECRÈTE !
Défense Mobilité est une structure unique, installée à Paris avec 6 pôles régionaux et avec une antenne dans les 51 bases de défense. Née du groupement de Terre Reconversion, Air Mobilité et Marine Mobilité en juin 2009 en vue de renforcer l'accompagnement des candidats à un emploi dans le secteur privé ou la fonction publique, elle est totalement opérationnelle depuis janvier 2011 et prend en charge la transition professionnelle des personnels travaillant pour l'armée. Ainsi, en 2012, 4 000 militaires ont bénéficié d'une formation et 8,19 millions d'euros ont été consacrés à la formation par ce dispositif. Il a signé un accord de collaboration avec Pôle emploi ainsi qu'avec plus de 50 entreprises, une dizaine de fédérations professionnelles et des milliers de PME pour que les personnels civils ou militaires ainsi que leurs conjoints puissent rapidement retrouver un emploi. Ces derniers ont été 5 876 à avoir bénéficié d'un accompagnement en 2012, avec un taux de placement de 53 %.
ENTRETIEN AVEC SÉBASTIEN LEGRAND, RESPONSABLE COMMERCIAL FORMATION
D'UNE DES ENTITÉS DU GROUPE APAVE
“95 % de nos formateurs sont salariés d'Apave, en CDI…"
Le département “formation" est-il important chez Apave ?
Nous sommes le deuxième organisme de formation du secteur privé après Cegos, et le premier dans le domaine de la formation à la prévention et à la maîtrise des risques, avec un CA annuel de 97 millions d'euros sur le plan national – sur un CA global de 760 millions d'euros. Nous disposons de 143 centres de formation, dont 20 centres techniques spécialisés accueillant des cursus de professionnalisation et de développement des compétences. En 2012, nous avons formé 300 000 stagiaires, soit un taux de croissance de plus de 15 % par rapport à 2011. Cette activité est un vecteur de croissance, d'opportunités et d'essor au niveau national et international.
Comment est organisé le département “formation professionnelle" ?
Il y a 900 modules de formation ventilés en 25 gammes. La gamme “électricité" représente 30 % du CA formation avec des modules développés tant sur le risque électrique (habilitation) que sur le développement des compétences en électricité. Avec 23 % du CA formation, la gamme “équipements mécaniques" est la deuxième en termes de volume d'affaires. D'autres gammes comme l'énergie, la “sécurité santé de l'homme au travail et l'incendie" sont des vecteurs de croissance et de développement.
À l'instar de vos concurrents,
les formateurs que vous employez sont-ils extérieurs à l'entreprise ?
Non ! 95 % de nos formateurs sont salariés d'Apave, en CDI. Il y en a 1 900 sur l'ensemble de la France. La particularité de notre organisation réside dans le fait que nos formateurs sont avant tout des inspecteurs, des contrôleurs, des conseillers techniques et ce, pour préserver leur expertise terrain et dispenser leur expérience dans les formations qu'ils animent. Devenir formateur est avant tout une démarche volontaire. À la suite de quoi, les personnes ayant des aptitudes pédagogiques suivent un cursus pour devenir formateur. Ils sont formés, suivis, tutorés tout au long de leur parcours pour être opérationnels et optimiser leur intégration dans leur autre métier.
Comment évoluent les formations ?
Apave fait émerger des parcours visant à développer des “compétences métiers" avec une attention particulière sur les nouvelles techniques ou les nouvelles technologies en vue de rester proche de la réalité rencontrée par nos stagiaires. L'objectif est de développer les modules de formation liés à la prévention et à la maîtrise des risques d'une part et les compétences via les parcours professionnels qualifiants d'autre part.
ENTRETIEN AVEC LE GÉNÉRAL DE DIVISION JEAN-PAUL MARTIAL,
DIRECTEUR DE L'AGENCE DE RECONVERSION DE LA DÉFENSE - DÉFENSE MOBILITÉ
“Après dix ans passés dans l'armée, les militaires sont encore jeunes, bien formés…"
La loi de programmation militaire pour 2014-2019 risque de se traduire par une importante réduction d'effectifs et de crédits budgétaires. Quels seront les impacts sur votre service ?
Avant 2009, chaque armée avait son service de reconversion. Dans le cadre de la RGPP [réforme générale des politiques publiques], le dispositif Défense Mobilité a été créé pour regrouper ces services. À titre d'exemple, les entreprises ont aujourd'hui un point de contact unique avec notre service, ce qui permet vraiment de fluidifier les relations. Pour l'action 2009-2014, la rationalisation a été menée en vue d'optimiser les ressources tout en générant des gains d'effectifs. Il n'y a pas eu d'impact défavorable puisque le taux de placement des militaires est de 74 %, contre 66 % en 2008. Et nous sommes dans un contexte très difficile, en période de crise de l'emploi. Pour la suite, nous affinerons tous les outils mis à notre disposition pour accompagner au mieux ces personnels qui quittent l'armée.
Quel est le profil du militaire qui parvient facilement à retrouver un emploi dans la vie civile ?
Lorsque leur première expérience professionnelle a été faite à l'armée, qu'ils ont signé deux contrats, de cinq ans en moyenne, ces personnels ont une trentaine d'années. Après dix ans passés dans l'armée, les militaires sont encore jeunes, bien formés. Ils ont acquis des compétences techniques qui sont généralement transposables. Mais nous n'échappons pas aux règles constatées sur le marché de l'emploi : les moins de 26 ans qui quittent l'armée n'ont pas forcément une bonne employabilité. Il en est de même pour les personnes de 50 ans et plus qui peuvent avoir des difficultés à se reconvertir. Aujourd'hui, les compétences techniques sont très recherchées. Les secteurs qui recrutent en priorité du personnel militaire sont le transport et la logistique, les installations et la maintenance, ainsi que les services aux personnes et aux collectivités. Mais au-delà des compétences, les entreprises qui recrutent des militaires sont également conquises par leurs qualités de “savoir-être", leur engagement…
La formation est-elle nécessaire pour les militaires qui ont fini leur contrat avec le ministère de la Défense ?
La formation est essentielle. Elle fait partie du projet professionnel qui est, par définition, un projet personnel. Tout est très cadré, nous vérifions les aspirations des candidats au départ en leur confiant des enquêtes métiers, par exemple. Ils peuvent aussi s'adapter à l'environnement de l'entreprise tout en étant encore rémunérés par l'armée. Il y a aussi des congés pour les créations ou reprises d'entreprise… Les formations validées sont achetées auprès des prestataires par la voie des marchés publics. Nous avons des conventions avec l'Afpa, des partenariats avec Pôle emploi, des relais avec les Régions, qui connaissent les besoins sur les bassins d'emploi. Nous sommes en permanence dans une démarche d'anticipation. L'objectif est de développer l'employabilité immédiate des militaires en reconversion pour leur éviter d'être au chômage. C'est également une nécessité budgétaire car leurs éventuelles allocations chômage sont imputables sur le budget de la Défense…
Certains militaires choisissent la voie du fonctionnariat en quittant la Défense…
Oui, il y en a 18 % environ qui rejoignent les fonctions publiques, notamment d'État et territoriale. Il existe différentes voies d'accès, sans nécessité de passer de concours pour les emplois réservés ou pour certains postes dans l'administration.
Que souhaiteriez-vous encore développer à Défense Mobilité ?
Aujourd'hui, nous sommes présents sur les réseaux sociaux. Nous avons des chargés de relations avec l'entreprise qui prospectent au quotidien sur l'ensemble du territoire. Nous aimerions être plus connus par les PME, les amener à s'adresser à nous pour leurs recrutements.
Et quels seront les emplois recherchés demain ?
Pour les années futures, nous ne savons pas quels seront les secteurs porteurs, même si l'aéronautique continuera probablement à offrir des carrières. Mais nous sommes à l'écoute des domaines qui recrutent, comme la géothermie ou… l'agriculture, secteur dans lequel Défense Mobilité n'était jusqu'alors pas très présent, mais qui offre actuellement des emplois.
À la tête de Défense Mobilité, le général Jean-Paul Martial veille au bon retour à la vie civile des personnels
des armées, contractuels, qui doivent un jour quitter
le ministère de la Défense. Gérant des flux humains qui doivent se reconvertir, il se félicite des partenariats qui se multiplient entre la Défense et les entreprises disposées
à recruter d'anciens militaires. Une convention est signée ce 3 septembre avec Areva. Autre motif de satisfaction
du directeur de l'agence : Défense Mobilité a adopté
le système de management par la qualité Iso 9001 (version 2008) et en a obtenu la certification en juin dernier.