La formation professionnelle des “assistants sexuels" : un binôme tabou ?

Par - Le 01 janvier 2014.

Reconnus dans plusieurs pays européens, les assistants sexuels aident les personnes handicapées à
découvrir ou à redécouvrir leur corps, le temps de séances tarifées. Leur intervention exige une formation
atypique aux contacts intimes, comme celle menée en Suisse entre 2008 et 2009. En France, l'aide
sexuelle se pratique, mais sans cadre juridique. Le sujet reste tabou, d'autant que le débat actuel sur la
prostitution anime les esprits.

La formation professionnelle peut-elle
légitimer une activité émergente en
France : l'assistance sexuelle destinée
aux personnes en situation de
handicap (physique, mental, sensoriel
ou plus exceptionnellement psychique) ?
Cette activité peut être définie
comme un service sexuel proposé
par des hommes et des femmes
spécifiquement formés aux
contacts intimes pour des adultes
handicapés, contre rémunération.
Cette formation atypique met en
valeur le fait qu'il faut des connaissances
et des adaptations que les
prestations habituelles des services
prostitutionnels ne souhaitent pas
forcément fournir.

Expérimentation en Suisse

En Suisse romande, l'association
Sexualité et handicaps pluriels
(SEHP) a mis en place la première
formation de langue française en
assistance sexuelle. Dans tous les
pays où elle est exercée, l'assistance
sexuelle est assimilée, du point de
vue de son statut juridique, à la
prostitution. À ce titre, en Suisse,
le recrutement et la formation de
personnes en vue de l'exercice de
l'assistance sexuelle sont légaux.

“Le corps d'une personne au service du corps
de l'autre, handicapé ou non, contre rémunération
relève de la définition de la prostitution.
Mais dans l'assistance sexuelle, il
ne s'agit pas, et de loin, de n'importe quelle
prostitution !", prévient Catherine Agthe-
Diserens, sexopédagogue, formatrice pour
adultes, coordinatrice de la formation en
assistance sexuelle, et présidente de l'association
SEHP. Sur le plan juridique, en
Suisse (pas de cadre juridique en France,
alors que l'aide sexuelle se pratique), le
statut de l'assistance sexuelle est assimilé
au statut de la prostitution, mais “la nature
des prestations diffère dans la qualité de la
relation à l'autre, la durée de la prestation, la
tarification, la formation...". Il s'agit donc
bien de distinguer diverses formes de
prostitution, celles engagées et assumées,
et “celles plus souterraines, exploitées et en
souffrance".

La nécessité d'une formation

“L'assistance sexuelle a été demandée par des
personnes vivant avec un handicap physique
dont certaines avaient côtoyé des profession
nels du sexe, non sensibilisés à certaines particularités
dues à leur handicap. Le temps
souvent trop minuté et les approches parfois
peu nuancées ont montré la nécessité d'une
formation spécifique", souligne Catherine
Agthe-Diserens. Lorsque la question
se pose dans le large champ des
personnes vivant avec un handicap
mental et/ou psychique, un
minutieux décryptage des besoins
est indispensable. Il est conduit
avec l'ensemble des acteurs (sexopédagogue,
éducateur, soignant,
thérapeute, etc.), parfois même
avec la famille. “Cette suppléance
n'est pas recommandée pour toute
personne et nous devons aussi reconnaître
ses limites, précise-t-elle.

Il faut reconnaître qu'en Suisse
l'image de la prostitution n'y est pas
diabolisée comme en France !" Pour
les assistants sexuels, il s'agit d'une
activité indépendante “librement
engagée" dont le mode de relation
repose sur une très grande attention
à la demande et au rythme de la
personne handicapée.

Parcours de développement
personnel


La formation des assistants sexuels
en Suisse romande ne s'inscrit
évidemment pas dans une trajectoire universitaire
ou académique. Elle est reconnue
par la Fondation santé sexuelle suisse,
qui poursuit plusieurs buts, notamment
défendre et promouvoir le droit fondamental
lié à la santé sexuelle et reproductive
auprès du grand public, des institutions
privées et publiques et des autorités
politiques. L'association SEHP a formé
six hommes et six femmes, “préalablement
avisés qu'il n'existait pas de statut spécifique
en assistance sexuelle", entre 2008 et 2009.

La formation de 300 heures organisée sur
un certain nombre de week-ends, représentait
un coût de 2 500 euros (à la charge
de chaque participant). La sélection des
candidats était inscrite dans la démarche
même de la formation, dans la mesure où
ces derniers ont réalisé un dossier
de candidature contenant entre
autres, CV, lettre de motivation,
extrait de casier judiciaire,
bonne vie et moeurs, etc., et ont
participé à une série d'entretiens
approfondis.

Le programme de formation a
été conçu comme un parcours
de développement personnel,
enrichi d'apports ciblés. “Les
sessions ont été animées par une
pluralité d'intervenants : parents
de fils ou fille en situation de
handicap (leurs représentations
de la sexualité) ; directeur d'institution
(au sujet du respect des
droits sexuels au sein de leurs
structures) ; juriste (ce que prévoit
le droit) ; sexologue (approches
sensuelles et sexuelles ciblées,
sexo-corporelles, etc.) ; expert en
éthique (gestion de la confidentialité
de ce type d'accompagnement,
prise en compte des demandes
pour les personnes handicapées
sans possibilité de paroles, etc.) ;
animatrice de sex toys adaptés
au handicap ; professeurs des Hautes écoles
sociales (définitions des handicaps) ; travailleuses
de sexe (leurs pratiques avec des
personnes handicapées) ; etc.", énumère
Catherine Agthe-Diserens. La démarche
de formation a été centrée sur l'acquisition
d'habiletés cognitives, psychologiques et
corporelles (par exemple, techniques de
massage), confrontées à un questionnement
personnel permanent, son projet et
son inscription dans sa vie privée et sociale.
Une certification reconnaît la formation.
Elle est cosignée par l'association SEHP et
la Fondation santé sexuelle suisse.

La reconnaissance du métier

Une fois formés, les assistants sexuels collaborent
avec le SEHP dans l'évaluation
de leur partenariat et bénéficient d'une
supervision. “On ne peut pas vivre de l'assistance
sexuelle, alors qu'engager son corps
dans une relation qui partage l'intime de
l'intime exige une formidable énergie. La
séance est payée par la personne handicapée.
Il est inenvisageable qu'elle soit remboursée
par une assurance", expose Catherine-
Agthe Diserens. S'il fallait vivre de l'assistance
sexuelle, un risque de fidélisation
pourrait exister. “L'assistance sexuelle répond
aussi bien à des rendez-vous uniques qu'à
une certaine régularité pendant un temps,
un espace de trois à quatre semaines est
préconisé", ajoute la présidente de l'association
SEHP.
En mars dernier, le Comité consultatif
d'éthique (CCNE) a rendu un avis dans
lequel cette instance se déclare défavorable
à la reconnaissance du métier d'assistant
sexuel pour les personnes handicapées. “Il
n'est pas possible de faire de l'aide sexuelle une
situation professionnelle comme les autres,
en raison du principe de non-utilisation
marchande du corps humain", relève le
CCNE. Aujourd'hui, en France, le débat
reste figé par l'assimilation de l'accompagnement
sexuel à la prostitution. Le
gouvernement tarde à s'en saisir et à le
porter − alors même qu'il constituait une
promesse du candidat François Hollande
pendant la campagne présidentielle.

Le projet de loi de lutte contre
le système prostitutionnel


“La réflexion sur la vie affective, sentimentale
et sexuelle des personnes en situation
de handicap doit avoir lieu, a déclaré
récemment la ministre déléguée en
charge des Personnes handicapées et de
la Lutte contre l'exclusion, Marie-Arlette
Carlotti. C'est une question légitime, qui
doit être étudiée de façon sereine. Le débat
ne doit pas se résumer à la seule question
des assistants sexuels. Le Conseil national
consultatif des personnes handicapées
(CNCPH) a proposé en 2012
plusieurs pistes qui doivent être
examinées attentivement."

En matière de prostitution, la
France défend une position
abolitionniste, et le débat actuel
mené dans le cadre du projet
de loi de renforcement de la
lutte contre le système prostitutionnel
en constitue une illustration.
Le texte, qui n'interdit
pas la prostitution, a été voté
en première lecture à l'Assemblée,
le 4 décembre dernier. Une
mesure cristallise les divergences :
la sanction du client de la prostitution.

La proposition de loi
punit ainsi d'une contravention
de 5e classe (1 500 euros) “le fait
de solliciter, d'accepter ou d'obtenir
des relations de nature sexuelle
d'une personne qui se livre à la
prostitution (…) en échange d'une
rémunération, d'une promesse de
rémunération, de la fourniture
d'un avantage en nature".

Service d'accompagnement
à la vie sociale


Pour échapper au dilemme prostitution-
assistance sexuelle, le président du
Conseil général de l'Essonne, Jérôme
Guedj (PS), proposait en mars dernier
d'ouvrir un débat pouvant conduire à
l'expérimentation locale d'“assistants
d'éveil à la sexualité", via les Services
d'accompagnement à la vie sociale
(SAVS), des structures médico-sociales
financées par le Département. Récusant
tout risque de proxénétisme et de prostitution,
il précisait : “Les personnes qui
pourraient être amenées à pratiquer cette
aide ne recevront aucune rémunération de
la personne handicapée. (…) Elles seront
salariées d'un Service d'accompagnement
à la vie sociale, et, dans le cadre de leurs
différentes activités pourront, si elles le
désirent et après avoir été formées, rajouter
cet éveil." Mais pour l'heure, cette piste
n'a pas encore été suivie.