L'externalisation de la gestion de la formation : avantages et chausse-trappes

Par - Le 15 janvier 2014.

L'externalisation de la gestion permet aux services formation de se libérer de tâches chronophages
et de se consacrer en principe plus sereinement à la stratégie de développement des compétences
de l'entreprise. Au risque de perdre en réalité la main ? L'“optimisation" cache-t-elle simplement
la recherche du “moins-disant" ? Témoignages.

Externalisation ! En cette période
de crise, où on ne jure que par la
maîtrise des dépenses et le moins
coûtant, le recours au prestataire
externe spécialisé pour la réalisation
d'une partie de ses activités devient un
réflexe pour de plus en plus d'entreprises.
Appelé le “business process outsourcing"
(BPO) par les anglicistes, l'externalisation
est, selon Christian Séryes,
consultant en stratégie chez European
outsourcing association France (EOA)
et directeur général de Invyctus Group,
un cabinet conseil basé en France et au
Royaume-Uni, “la délégation d'un ou
plusieurs domaines d'activités, fonctions
ou processus de l'entreprise à un fournisseur
extérieur et indépendant de son client qui,
sur une durée pluriannuelle, en est responsable,
opère et gère le fonctionnement, la
performance et l'évolution des fonctions
ou processus sélectionnés, en s'engageant
sur un objectif de résultats mesurables et
prédéfinis afin d'en optimiser les bénéfices
pour le client". Selon une enquête réalisée
par Demos Outsourcing et EOA [ 1 ]Étude réalisée par courriel auprès des décideurs
(PDG, DG, DRH, etc.) d'entreprises de plus de
200 salariés en France.
,
dans la plupart des entreprises, ce sont
les dirigeants (directeur général : 60 %
et DRH : 45 %) qui prennent l'initiative
de confier la gestion de ces activités à des
prestataires externes. La complexité de la
législation (33 %) et le besoin de créer
de la valeur (32 %) sont les principales
motivations de l'externalisation, devant
la crise (16 %).

Quoi externaliser ?

D'après l'enquête, 70 % des entreprises
françaises ont externalisé au moins
une fonction. En dehors des ressources
humaines, les plus
externalisées sont l'informatique
(32 %),
l'accueil (28 %), la reprographie
(25 %), la
comptabilité (16 %),
la logistique (15 %) et
les services généraux
(13 %). Dans le domaine
des ressources
humaines, après la
paie et la gestion du
temps (31 %) ainsi
que la gestion du recrutement
(14 %), la
formation (11 %) est
la troisième fonction
la plus externalisée.
Il s'agit de “confier les
processus de gestion
et de management"
de la formation à une
société tierce “dans le
cadre d'un contrat de
longue durée" avec
des “engagements de résultats". La logistique
(80 %), l'administratif (80 %),
la subrogation des factures (70 %), la
gestion du Dif (50 %) sont les tâches
de la formation les plus externalisées en
“back office". Alors qu'en “front office",
les tâches les plus concernées sont la
“stratégie Opca" (50 %), le management
des fournisseurs (40 %), l'élaboration
du plan (30 %), la stratégie de formation
ou l'ingénierie de formation
(20 %).

“Se concentrer sur
l'essentiel"


Depuis la première enquête en 2009,
le recours à l'externalisation de la
gestion de la formation est passé de
15 % à 17 % en 2010, puis à 20 %
en 2011 et à 24 % en 2013. “Une
évolution qui montre que les acteurs
de la formation au sein des entreprises
veulent se concentrer sur l'essentiel et
apporter une vraie valeur ajoutée au
développement des compétences", analyse
Bénédicte Bailleul, directrice de
Demos Outsourcing.

Une enquête de Centre Inffo de mars
2012 avait montré que si 59,5 % des
entreprises privilégiaient le recours à
des prestataires externes, près de 40 %
d'entre elles confiaient en premier lieu
leurs actions de formation à des formateurs
internes (formateurs occasionnels
experts), et 14,2 % avaient recours,
en priorité, à des universités d'entreprise.
Selon les résultats de l'enquête
2013 de Demos Outsourcing, ces dernières,
les écoles et académies internes
se “démocratisent", même si 62 % des
entreprises de plus de 200 salariés n'en
disposent toujours pas.

Pourquoi externaliser

“La principale motivation de l'externalisation
est la réduction des coûts. Dans
70 % des cas, il s'agit de réduire les coûts
en augmentant la productivité et optimisant
les coûts pédagogiques", analyse
la directrice de Demos Outsourcing.
Qui précise que les entreprises recourent
à l'externalisation “pour se
centrer sur les missions à valeur ajoutée"
(49 %). “Indiscutablement, l'externalisation
permet aux personnes en charge,
au sein de l'entreprise, de la gestion de
la formation, de se libérer de certaines
tâches extrêmement chronophages, cependant
obligatoires, tels que la déclaration
du bilan pédagogique et financier,
la fameuse 24-83, etc. Ainsi, ils peuvent
se consacrer à la stratégie de développement
des compétences de l'entreprise, à
l'accompagnement individuel des salariés,
ainsi qu'au développement d'une
ingénierie pédagogique plus efficiente",
détaille Jérôme Lesage, PDG du spécialiste
de l'externalisation, Place de la
formation. Elle permet également de
“bénéficier de conseils d'experts" (37 %)
et d'“améliorer la qualité" de leurs services
(27 %).

Sur l'autre plateau de la balance, elles
craignent de dépendre du prestataire
(51 %), de devoir payer des coûts
élevés ou coûts cachés (47 %) et de
perdre leur savoir-faire et leurs compétences
(35 %). C'est pourquoi elles
choisissent leur prestataire en fonction
de son “expertise globale du métier de
la formation" (62 %), la qualité de
leurs relations (42 %) ou sa “capacité à
prendre en charge l'ensemble des actions
de formation avec objectif de résultats"
(37 %).

La question des
“risques sociaux"


Le développement de l'externalisation
suscite des inquiétudes de la part
de certains au sein des entreprises.
“Confier toute ou partie de la gestion de
la formation à des prestataires externes
porte des risques de dépouillement des
services formation. Et donc de risques
sociaux au sein des entreprises. D'autant
que l'objectif premier de l'externalisation
est l'optimisation des dépenses de
formation", souligne ce responsable
formation d'une PME. Cependant,
l'enquête de Demos Outsourcing
révèle qu'en moyenne 9 personnes
sont dédiées à la fonction formation
dans les entreprises et que 65 % des
entreprises (soit 2 sur 3) disposent de
leurs formateurs internes. Ce qui, selon
Bénédicte Bailleul, “montre que la
formation reste un investissement dans
les entreprises. De plus, la majorité des
entreprises (89 %) dépensent plus que
ce que la loi impose : 52 % consacrent
plus de 3 % de leur masse salariale à la
formation, et 11 % en dépensent plus
de 5 %".

Fonction stratégique, ou
fonction support...


Cela change-t-il pour autant la perception
de la fonction formation dans
les entreprises qui externalisent ? “La
vision que les dirigeants avaient de
cette fonction a évolué par rapport à
2009. Aujourd'hui, 37 % (contre 19 %
en 2009, 24 % en 2010 et 24 % en
2011) d'entre eux estiment que la fonction
formation est stratégique, 58 %
déclarent qu'elle est une fonction support.
Seulement 5 % des dirigeants
estiment qu'elle est inconnue de la plus
part des salariés", répond la directrice
de Demos Outsourcing. Qui précise
que “dans 52 % des entreprises, cette
fonction est en charge de la mise en place
de la GPEC". Une bonne perception
qui ne déplaît sûrement au directeur
de la formation du groupe Dancause,
Stéphane Diebold (ancien président
du Groupement des acteurs et responsables
de formation), selon qui
“le responsable formation doit occuper
une place stratégique au sein de l'entreprise.
Il doit s'affirmer comme pilote du
développement des compétences et de la
transformation de l'entreprise"...

QUESTIONS À JULIEN DUFOUR, CONSULTANT
CHEZ LEA PARTNERS [ 2 ]Cabinet spécialisé dans l'externalisation
des fonctions RH.


“Ce sont des activités considérées comme non
stratégiques qui sont externalisées..."

Qui externalise, et quoi ?

Ce sont les entreprises de 50 à 300 salariés
qui externalisent le plus une ou plusieurs
fonctions RH, notamment celles qui sont
chronophages, ou bien celles qui sont
variables en termes de ressources temps (tels
que le recrutement, la formation, la paie,
etc.). Ce sont des activités généralement
considérées comme non stratégiques pour
l'entreprise. Ce qui offre aux dirigeants
plus de flexibilité pour se recentrer sur les
fonctions fondamentales du métier, soit la
relation humaine. La recherche de réalisation
des tâches chronophages et d'une expertise
sont les points principaux dans la volonté de
faire appel à un prestataire extérieur.

Externalisation ne rythme-t-elle pas avec
risque social ?


Il est possible que les personnes en charge
des activités concernées par l'externalisation
se sentent menacées à leurs postes. C'est
pourquoi, dans le cadre de l'externalisation,
il est indispensable de mettre en place des
actions d'accompagnement permettant de
définir les tâches à valeur ajoutée.

Propos recueillis par K. B.

Notes   [ + ]

1. Étude réalisée par courriel auprès des décideurs
(PDG, DG, DRH, etc.) d'entreprises de plus de
200 salariés en France.
2. Cabinet spécialisé dans l'externalisation
des fonctions RH.