La future loi sur la formation met l'évaluation au coeur de la politique formation de l'entreprise

Par - Le 01 février 2014.

La réforme en cours d'examen s'apprête à consacrer le passage des “versements libératoires"
à une logique d'“investissement" dans la formation. Mais à la notion induite de “retour
sur investissement", ne faut-il pas préférer celle de “retour sur attente" ? Une approche que
le consultant Alain Meignant juge bien plus réaliste.

2014 sera l'année de l'évaluation
en formation ! Dans un
contexte économique qui impose
aux responsables formation une
logique accrue d'optimisation des
coûts, le retour sur attente va devenir une
exigence de plus en plus importante. Les
services formation sont davantage poussés
par leur direction générale à prouver
l'utilité et la valeur ajoutée des montants
dédiés à la formation." Telle est l'une
des convictions de Jonathan Pottiez,
directeur produits et innovation
chez Formaeva [ 1 ]Cette société créée en 2005 par François-Xavier
Le Louarn accompagne aujourd'hui plus d'une
centaine d'entreprises et d'organismes dans la
mesure des effets des actions de formation qu'ils
mettent en place.
, qui vient de publier
L'évaluation de la formation - Piloter
et maximiser l'efficacité des formations
(Dunod).

Pour le consultant en management des
ressources humaines Alain Meignant [ 2 ]Auteur notamment de Manager la formation
(éditions Liaisons).
,
qui a préfacé cet ouvrage, “avec la fin de
l'imputabilité, la suppression du 0,9 % et
la montée de la notion de compétences, la
future loi sur la formation professionnelle
met la question de la qualité et de l'évaluation
au cœur de la politique de formation de
l'entreprise. Elle permettra de développer de
nouvelles dynamiques en matière de formation,
et de faire de la formation un élément
stratégique de performance de l'entreprise".
Car la formation ne se limite pas à l'acte
pédagogique, elle prend en compte également
l'amont et l'aval. En intégrant cette
réalité, la nouvelle réforme fait de l'évaluation
un maillon important du système.

“Évaluation partenariale"

La formation est en passe d'être véritablement
perçue comme un investissement.
Et les praticiens se doivent d'en
mesurer les impacts sur la performance
des apprenants et de l'entreprise. Mais
Alain Meignant met en garde contre
cette pratique répandue au sein des entreprises
qui consiste à limiter la mesure
des impacts à la simple évaluation de
satisfaction en fin d'action de formation.
“Nos observations ont montré que
dans les entreprises, on se préoccupe très
peu des acquis de la formation (« les participants
ont-ils appris quelque chose ? »),
de son utilité pratique ou sa mise en oeuvre
(« les participants mettent-ils en pratique
ce qu'ils ont appris dans leur travail ? »),
voire de son impact sur la performance et
les résultats (« les compétences acquises permettent-
elles des avancées mesurables ? »)",
énumère Jonathan Pottiez. Il ne s'agit
donc pas de se contenter d'une “évaluation
à chaud", mais d'y intégrer aussi des
considérations telles que le degré d'engagement
ou de motivation, ainsi que le
degré de pertinence de la formation.
Le directeur produits et innovation de
Formaeva préfère parler, en formation,
de “retour sur attente" (return on expectations,
ROE) que de “retour sur investissement"
(return on investment, ROI).

Convaincu, comme Alain Meignant,
que l'on “ne peut mesurer économiquement
le retour sur investissement de la seule
formation". Le ROE serait donc plus
adapté et plus réaliste à la formation.
“L'évaluation de la formation en entreprise
doit être partenariale. Elle doit impliquer
les commanditaires (DG, DRH…), le
salarié (le mieux placé pour se prononcer
sur sa satisfaction envers la formation qu'il
a suivie), le responsable formation et le
manager. Elle ne doit pas être une action
isolée", rappelle Jonathan Pottiez.

Les attentes des “acteurs
de la performance"


L'évaluation en formation doit donc
“s'inscrire dans un écosystème" où le dialogue
et les échanges sont les maîtres
mots. Une politique de formation de
qualité (efficace et efficiente) suppose
donc de bien identifier les attentes des
différents acteurs de la performance
de l'entreprise. “Il faut, donc, travailler
en amont et en aval : en amont, définir
les objectifs concrets de la formation, et
en aval pouvoir mesurer si l'action de
formation répond aux attentes arrêtées
préalablement. C'est l'une des conditions
de réussite de la mise en place dune politique
de formation de qualité", insiste
le directeur produit et innovation de
Formaeva, dont l'ouvrage propose,
outre “une vision managériale de l'évaluation
de la formation", de nombreux
outils, des référentiels de bonnes pratiques,
ainsi qu'un guide de mise en
œuvre d'un système d'évaluation impliquant
les différents acteurs.
Selon Alain Meignant, ce livre est “une
contribution au progrès du professionnalisme
des métiers de la formation, et
à la prise de conscience par les managers
de l'importance de poser la question de
l'évaluation de manière rigoureuse".

ENTRETIEN AVEC ALAIN-FRÉDÉRIC FERNANDEZ,
DIRECTEUR DU DÉVELOPPEMENT DE SYDARTA WEB [ 3 ]Prestataire de bilans en ligne. http://sydarta.com

“La fin de quarante-trois années de rendez-vous manqués"

En septembre 2004, quelques mois après
la loi du 4 mai relative à la formation tout
au long de la vie, votre livre [ 4 ]Le Dif - Comprendre et mettre en oeuvre
la réforme de la formation professionnelle (Dunod).
Alain-Frédéric Fernandez est l'auteur de six ouvrages
consacrés à la formation.
pronostiquait
déjà l'échec du Dif. Sur quels éléments
vous basiez-vous ?


L'échec du Dif était prévisible parce que, dès
le départ, aucun financement dédié n'était
prévu pour alimenter ce dispositif, sauf
dans certaines branches professionnelles. Il
paraissait donc évident que le Dif allait glisser
sur le plan de formation

Ce qui ne sera pas le cas du compte
personnel de formation…


Non, puisque l'Ani de décembre 2013 affecte
une part de 0,2 % de la collecte spécifique
de la collecte au seul CPF, ce qui représente
d'ores et déjà 1,2 milliard d'euros qui peut
se voir compléter par divers abondements
en provenance, selon les situations, des
entreprises, des salariés, de l'État, des
Régions, des Fongecif, de l'Agefiph, de Pôle
emploi, des Opca, du FPSPP, etc., et qu'en
outre, l'accord stipule que le compte personnel
de formation doit conduire à des formations
certifiantes ou qualifiantes recensées par
le Répertoire national des certifications
professionnelles (RNCP), ce qui n'était pas le
cas du Dif.

Michel Sapin s'était engagé à ce que
ses services retranscrivent l'Ani de
la façon la plus loyale possible. Retrouvet-
on cette promesse dans le projet de loi ?


Oui. De toute façon, le texte de cet Ani, le
Medef l'a quasiment écrit sous la dictée du
gouvernement. C'est normal dans la mesure où sur
les 32 milliards de la formation professionnelle,
les partenaires sociaux n'en gèrent que 13,1.
Le surplus − soit plus de 18 milliards − provient
d'autres sources : de l'État, des Régions, de
l'Europe, d'autres collectivités territoriales ou
encore des ménages, sur lesquels il n'appartenait
pas aux organisations patronales et syndicales de
négocier et qui, fort logiquement, ne relevaient
pas de l'Ani. C'est d'ailleurs pour cela qu'une
concertation parallèle rassemblait les partenaires
sociaux, mais aussi l'État et les Régions.

Certains, toutefois, envisagent un échec
du CPF par manque d'information
des salariés.


Le projet de loi fait effectivement un cadeau
empoisonné aux salariés en leur disant : “Vous
avez tout pour réussir et si vous n'y parvenez
pas, ce sera votre faute !" L'instauration
du compte personnel devra effectivement
s'accompagner d'une information complète
pour les salariés et un effort de formation
des entreprises en direction de leurs
collaborateurs. Mais une telle ambition est
réalisable : en 2006, la branche du sucre
est parvenue à former tous ses salariés à la
problématique de l'entretien professionnel.
C'est donc possible, à condition que les
entreprises comprennent que le CPF peut
constituer un dispositif gagnant-gagnant pour
elles et leurs collaborateurs.

Et pour impliquer les salariés dans leur
propre parcours de formation au travers
du CPF, vous comptez sur cet autre
dispositif né de la réforme : l'entretien
professionnel…


En créant cet entretien professionnel, on vient
enfin de doter les salariés d'un véritable outil de
développement de leur capital humain, en leur
permettant de disposer d'une vision claire des
compétences dont ils disposent et de celles qu'ils
peuvent acquérir. Jusqu'à présent, les entretiens
annuels étaient perçus comme une perte de
temps. Les salariés n'y croyaient pas. Il faut dire
que ce dispositif, calqué sur les entretiens de
motivation américains des années 1960 était
un peu ringard... La création de cet entretien
professionnel représente l'un des points majeurs
de la réforme, surtout dans le contexte du marché
du travail français qui, dans les années à venir,
manquera de main-d'œuvre qualifiée.

Et concernant les demandeurs d'emploi ?

Actuellement, le FPSPP affecte une partie
importante de ses ressources aux demandeurs
d'emploi, et c'est une bonne chose. Mais former
les chômeurs ne signifie pas nécessairement
leur trouver un emploi et Pôle emploi, du fait
de sa structuration nationale, peine à orienter
ces derniers vers des formations débouchant
effectivement sur l'emploi. À terme, il faudra
bien que les Régions récupèrent la gestion des
agences Pôle emploi sur leur territoire.

Pour vous, ce projet de réforme représente
une rupture par rapport à celle de 2009.


En supprimant la contribution obligatoire
du plan de formation, l'esprit même de la
formation professionnelle a changé. D'une taxe,
elle s'est transformée, pour les employeurs,
en investissement volontaire. Contrairement
aux réformes précédentes, celle-ci ne met
plus en avant la productivité des entreprises,
mais l'employabilité des salariés, puisque
les employeurs participent désormais
essentiellement au financement de dispositifs
extérieurs à leur entreprise (CPF, Cif).
Au total, j'ai compté, dans ce texte,
17 dispositifs favorables aux salariés, contre
4 aux employeurs et 3 sur lesquels les deux
parties peuvent se retrouver gagnantes.

Côté entreprises, la CGPME – non signataire
– reproche justement l'abandon
de la contribution mutualisée au plan de
formation (le “0,9 %") sans lequel, affirmet-
elle, les PME ne seront plus en mesure
de former leurs salariés.


Mais les PME pourront affecter librement à
l'Opca ce qu'elles versent encore de façon
obligatoire aujourd'hui. Ces fonds, les Opca – et
je pense plus particulièrement à l'Agefos-PME,
puisque nous évoquons la CGPME – pourront
les mutualiser au bénéfice des entreprises qui
auront recours à eux. En revanche, j'éprouve
une certaine inquiétude quant aux entreprises
qui, une fois débarrassées de la contribution
obligatoire, ne se sentiront plus obligées
d'investir dans des actions de formation.
Si elles ne le font plus… eh bien, dont acte,
mais dans ce cas, elles risquent de se heurter à
de nombreux contentieux si elles ne respectent
pas leur obligation d'adapter les compétences
de leurs salariés au poste de travail. En cas de
PSE, par exemple.

Vous prévoyez que cette réforme
entraînera un nouveau regroupement
des Opca, recentrant ces derniers sur
leur activité de conseil bien davantage
que sur celle d'organismes collecteurs.


En 2009, j'avais relevé un lapsus freudien dans
le texte de la réforme. On y évoquait alors les
“organismes collecteurs paritaires agréés"
en lieu et place d'“organismes paritaires
collecteurs agréés". Inconsciemment, c'est leur
fonction de collecteurs d'impôts qui était mise
en avant… Aujourd'hui, avec la disparition du
0,9 %, le projet de réforme va les recentrer sur
leur rôle de conseillers formation au service des
entreprises. Malheureusement, les vingt Opca
qui ont émergé du “mercato" de 2010-2011 ne
disposent pas des ressources pour assurer cette
mission. Sur les 5 000 salariés qu'emploient
actuellement les Opca, seuls 1 700 sont
effectivement dévolus au conseil. Leurs autres
collaborateurs sont affectés à des tâches de
back-office. Et tout cela pour accompagner près
de 4 millions d'entreprises. Un conseiller visite
près de 200 entreprises par an… faites
le calcul. Les Opca n'y parviendront pas et
je pense, qu'à terme, la collecte va leur
échapper et qu'ils seront condamnés à
ne se concentrer que sur leur mission
d'accompagnement des entreprises.

Perdre la collecte, au profit de qui ?

D'un organisme d'État, plus à même d'assurer
cette fonction, comme l'Urssaf. C'est d'ailleurs
ce que suggérait – de façon un peu provocante
– feu Philippe Séguin, lorsqu'il était président
de la Cour des comptes, dans un rapport
particulièrement critique sur le financement de
la formation professionnelle, en 2008.

Et donc, quel avenir pour les Opca ?

À terme, les organismes qui n'ont misé ni sur
l'interprofessionnel, ni sur le développement
territorial, vont disparaître. Leur modèle
économique ne fonctionne plus. Aujourd'hui,
l'avenir de la formation et de l'emploi, c'est
la GPEC territoriale impliquant territoires et
branches professionnelles. C'est à l'échelon
local − voire micro-local − que les Opca
seront les plus efficaces pour assurer leur
rôle de conseil. Or, la plupart n'y sont pas
prêts. OpcaBaia – l'Opca de la banque et des
assurances – ne dispose, par exemple, que
d'un seul bureau sur tout le territoire national
alors qu'Agefos-PME ou Opcalia, eux, disposent
chacun d'une centaine d'antennes en régions.

Donc, à terme, il ne demeurera plus que
les deux Opca interprofessionnels, Agefos
et Opcalia ?


Les 18 autres ont effectivement des raisons de
s'inquiéter. D'ailleurs, certains ont déjà mis en
branle des PSE en interne...

Propos recueillis par Benjamin d'Alguerre

Notes   [ + ]

1. Cette société créée en 2005 par François-Xavier
Le Louarn accompagne aujourd'hui plus d'une
centaine d'entreprises et d'organismes dans la
mesure des effets des actions de formation qu'ils
mettent en place.
2. Auteur notamment de Manager la formation
(éditions Liaisons).
3. Prestataire de bilans en ligne. http://sydarta.com
4. Le Dif - Comprendre et mettre en oeuvre
la réforme de la formation professionnelle (Dunod).
Alain-Frédéric Fernandez est l'auteur de six ouvrages
consacrés à la formation.