Limousin : un “SAS" d'orientation active pour l'emploi des jeunes

Par - Le 01 mars 2014.

L'une des huit Régions expérimentatrices du service public régional de l'orientation,
le Limousin, innove avec un dispositif d'orientation active pour l'emploi des jeunes.
À l'origine de l'initiative, une expérimentation qui a débuté en 2011, sous la forme d'un
“service d'orientation active" pour les jeunes de 17 à 25 ans, diplômés ou non et suivis
en Mission locale depuis plus d'un an. Zoom sur une réponse originale au décrochage.

Les moments de rupture éducative
ne sont généralement que la face
visible et brutalement émergente
d'un malaise de longue durée
chez les jeunes." Extraite d'une
publication du Céreq consacrée au
décrochage [ 1 ] “Les risques sociaux du décrochage : vers une
politique territorialisée de prévention ?", Bref n° 304,
2013, 4 p.,
cette citation exprime la
difficulté d'apporter une réponse immédiate
à des situations d'urgence ancrées
dans le passé. Si le décrochage n'est que
le symptôme d'un processus de long
terme aux origines multiples, quelles
réponses peuvent apporter les politiques
publiques ? En Limousin, la solution
imaginée par le président Jean-Paul
Denanot prend le temps de ne pas décréter
à la place du jeune son orientation,
mais lui propose de reprendre la main
en participant à une action collective.

Pourquoi ce focus
sur l'orientation ?


“Ce que dit souvent le président
Denanot, commente sa directrice de
cabinet Julie Chupin, c'est que l'orientation
est le maillon faible de notre système."
De fait, présenté en quelques
mots par son inventeur, le dispositif
se veut “une réponse aux problèmes
d'orientation des jeunes", qu'il s'agisse
d'une rupture consécutive à un choix
subi ou à l'absence de débouchés.
D'où “l'idée de reprendre ces jeunes dans
un sas pour leur permettre d'aller au delà
de ce qu'ils avaient imaginé" : soit
un dispositif d'une durée de quatre vingt-
dix jours, temps nécessaire
pour leur permettre de se confronter
à cinq métiers et de s'engager dans
une action collective
source de cohésion et
d'entraide. Et “à l'issue
des trois mois, il est rare
qu'un jeune n'ait pas de
solution", souligne le
président de Région.
Plus précisément ? Pour
70 % d'entre eux, c'est
une sortie positive sous
forme d'accès à l'emploi
ou d'entrée en formation.
Pour les autres ?
“Pas question que le
dispositif s'arrête brutalement",
avertit Paul
Torrent, directeur de la
Mission locale de l'agglomération
de Limoges
en charge du dispositif,
“les jeunes qui n'ont pas
immédiatement obtenu
une solution continuent
d'être suivis par les conseillers de la mission
locale dans le cadre d'un accompagnement
individuel". Face aux dispositifs
carcans qui ne font que crisper
davantage les décrocheurs, la souplesse
de la solution limousine renvoie
aux propos de Jean-Paul Denanot, cités
par Julie Chupin dans son ouvrage
sur l'échec scolaire [ 2 ]Échec scolaire, la grande peur, éditions Autrement,
2013.
: “Il faut prendre
en compte la volonté du jeune et être
en mesure de lui proposer une solution
au moment où il en fait la demande et
où il possède l'énergie et le ressort nécessaires
pour ré-accrocher à un projet quel
qu'il soit. Il faut de la souplesse et de la
réactivité dans les réponses car si nous
ne sommes pas au rendez-vous, le jour
où ils sont prêts, le risque est grand de
les décourager et de les perdre à jamais."

Trois mois pour renaître

Aujourd'hui pérennisé, le SAS d'orientation
active accueille quelque huit promotions
par an représentant 90 jeunes.
“L'objectif est de leur permettre de se
remobiliser, à la fois pour travailler leur
projet individuel d'insertion professionnelle
et, en même temps, pour travailler
autour d'un projet collectif ", explique
Paul Torrent. Trois phases structurent le
dispositif. En premier lieu : intégration
et cohésion du groupe. Étape extrêmement
importante selon le directeur
de la Mission locale, qui conditionne
toute la suite de l'action en permettant
aux jeunes de reprendre confiance en
eux, de se remobiliser collectivement et
de retrouver l'estime de soi. “La difficulté
des jeunes en général et de ceux-ci
en particulier, c'est une situation de repli
sur soi et de perte de lien avec le monde de
l'emploi", souligne-t-il. D'où la mise en
oeuvre d'une “pédagogie active", propre
à la Mission locale, et visant à “placer le
jeune au centre de ce qui se fait et de le
rendre acteur de son parcours".
Suit une deuxième phase, consacrée à
la découverte de l'univers professionnel.
“Il s'agit de demander aux jeunes de
travailler leur orientation et d'explorer
les champs des possibles, commente Paul
Torrent. Les jeunes arrivent souvent en
mission locale sans projet professionnel ou
avec un projet subi, nous leur donnons la
possibilité, avec le Conseil régional, de découvrir
cinq métiers différents dans cinq
entreprises différentes, en collaboration
avec les branches professionnelles", insiste-
t-il. Simple mais efficace, comme
en témoignent [Voir le site “[Be Lim"[/footnote] les jeunes stagiaires
évoquant, qui la “confiance retrouvée",
qui l'accès à une “certaine maturité" ou
la surprise d'une “révélation" au contact
d'un métier. De la réussite de cette
étape dépend la troisième et dernière
phase, consacrée à la construction du
projet. Paul Torrent le souligne, l'accès
à l'emploi est la priorité mais la concrétisation
du projet de vie peut nécessiter
le passage par la case formation.
Soutien du Conseil régional oblige,
celui-ci ouvre alors de façon “prioritaire
ses dispositifs, de manière à réduire au
maximum le temps de latence entre la fin
du SAS et l'entrée en formation".

Un pour tous…

Parmi les plus-values du dispositif, tous
les acteurs insistent sur la force du projet
collectif mené à bien par les jeunes
au cours des trois mois de prise en
charge. À commencer par ces derniers
qui semblent les premiers surpris de la
resocialisation qui en découle. Pour ces
jeunes qui étaient le plus souvent en
butte à leurs familles et avaient renoncé
à côtoyer leurs camarades, la victoire
n'est pas mince : “J'étais complètement
démotivée, ça va mieux" ; “On se bouge,
on se déplace, ça en dit long…" ; “Je suis
vraiment resté seul pendant deux ans, cela
m'a permis de rentrer dans un groupe" ;
“Le groupe, c'est vraiment ce qui nous aide
le plus" ; “Une belle aventure humaine,
une vraie cohésion, une solidarité…"
Solidarité qui naît autant du groupe
que de la nature même des projets. Et
Julie Chupin d'évoquer “l'effet promotion"
du SAS : “Ils sont à nouveau dans
une dynamique de projet et, surtout, ils ne
sont pas seuls. (…) Avec une estime de soi
dégradée, on se protège, on ne prend pas
de risque et on ne va pas vers les autres.
Or, l'un des premiers effets du SAS, c'est de
reconstruire le lien aux autres et de redonner
une sorte de souffle existentiel, avec le
soutien du dynamisme des Missions locales
et le rôle mobilisateur des projets collectifs",
rappelle-t-elle. À titre d'exemple,
la première promotion s'est emparée de
la création du site support de l'action,
Saslimousin.fr, la dernière de la réalisation
d'un magazine consacré au décrochage,
une précédente de l'organisation
d'un spectacle à destination d'enfants
hospitalisés… “Au-delà de leur situation
personnelle, les jeunes arrivent à se décentrer
et sont acteurs d'un projet qui présente
une utilité sociale, cela leur montre
qu'ils sont aussi acteurs de la société et
de leur environnement", souligne Paul
Torrent. Acteurs et responsables, donc
soutenus financièrement, dans l'esprit
de la future “Garantie jeunes" : d'une
part, une “allocation d'orientation" de
350 euros par mois pour participer aux
frais de déplacement et de repas pendant
la durée de l'accompagnement, d'autre
part, un “pack autonomie" de 300 euros
destiné à la prise en charge des autres dépenses
liées à la réalisation du parcours
d'autonomie.

Si le dispositif entraîne l'unanimité, il
ne semble curieusement pas pour l'instant
avoir été intégré dans l'expérimentation
en cours du service public régional
de l'orientation. Sans préjuger de
l'apport des autres Régions expérimentatrices
qui ont déployé leurs propres
dispositifs[ 3 ] “Chantiers formation qualification nouvelle chance"
en Aquitaine, “Assure ta rentrée !" en région Centre,
etc.
, les résultats encourageants
du SAS limousin plaident, sinon pour
l'essaimage, au moins pour une mise au
pot commun de la réflexion. Comment
oublier, enfin, que l'action concerne un
public cible à la frontière des deux missions
de service public de l'orientation,
national et régional, identifiées par
la loi de 2014 relative à la formation
professionnelle, à l'emploi et à la démocratie
sociale ? Alors que les jeunes
de la dernière promotion ont fait part
d'un enthousiasme mesuré vis-à-vis
des services du Rectorat et des CIO, il
y a peut-être là, pour ces derniers, matière
à “raccrocher" un public qui leur
échappe…

Notes   [ + ]

1. “Les risques sociaux du décrochage : vers une
politique territorialisée de prévention ?", Bref n° 304,
2013, 4 p.,
2. Échec scolaire, la grande peur, éditions Autrement,
2013.
3. “Chantiers formation qualification nouvelle chance"
en Aquitaine, “Assure ta rentrée !" en région Centre,
etc.