Pour le président d'Opca Défi, “les impacts économiques de la réforme seront négatifs"

Par - Le 01 mars 2014.

Ancien secrétaire national CFE-CGC chargé des questions de formation professionnelle,
François Hommeril a été élu en janvier président d'Opca Défi. Comment voit-il la mise en oeuvre
de la réforme à la tête de l'organisme collecteur des industries chimiques, pétrolières, pharmaceutiques
et de la plasturgie – 8 630 entreprises employant 512 700 salariés, 212 millions d'euros de collecte ?

Entretien.

Quel regard portez-vous sur la réforme de
la formation professionnelle en cours ?


La réforme actuelle a été initiée par le
gouvernement pour des raisons, en vérité,
liées à un agenda et à un affichage politiques.
En aucun cas, il n'a eu sincèrement la volonté
d'améliorer notre dispositif de formation
professionnelle. Que Thierry Repentin n'ait pas
été reconduit [en mars 2013] comme ministre
chargé de la Formation professionnelle est
un signe éclairant sur la volonté de Michel
Sapin et du gouvernement d'instrumentaliser
la négociation des partenaires sociaux. Et cela
s'en ressent. Cette négociation est arrivée à
un moment où personne ne la souhaitait. Elle
est arrivée trop tôt, alors que les acteurs n'ont
pas eu toute la latitude d'évaluer sérieusement
et qualitativement les impacts de la réforme
de 2009.

Dans le cadre de la négociation qui a conduit
au projet de loi, il faut souligner que les dés
étaient pipés dès le départ. Nombre de choses,
notamment les éléments de base à partir
desquels la négociation a commencé, avaient
été plus ou moins préparés à l'avance par le
gouvernement, avec certains des partenaires
sociaux. Il faut le dire : la consultation
tripartite qui a précédé a été, malgré tout, une
consultation en trompe-l'oeil.

Tout était donc réuni pour faire quelque
chose de raté. C'est probablement ce qui va
s'avérer. Comme toujours, lorsqu'on cherche
à instrumentaliser le dialogue social, comme
l'a très clairement fait le gouvernement, on
obtient un résultat très médiocre.

La simplification du système de formation
ou la mise en place du CPF sont donc des
résultats médiocres ?


Le gouvernement disait vouloir simplifier notre
système de formation professionnelle. Mais
rien n'est simple : un projet de loi de plus
d'une soixantaine de pages, avec un nombre
incalculable d'articles. Je ne suis pas de
ceux qui pensent qu'il fallait simplifier notre
système de formation professionnelle, car
dans les dispositifs complexes, il y a aussi une
forme d'efficacité. Le corps humain compte
quelque 600 muscles qui permettent d'avoir
un corps polyvalent fonctionnant efficacement.

Si, par exemple, demain, un cabinet de
consultants faisait observer au gouvernement
qu'il y a trop de muscles et qu'il n'en faut plus
que deux, comment pourrait-on marcher ? C'est
bien le cas avec notre système de formation.
La complexité n'est pas forcément synonyme
d'inefficacité. Tirer comme argument que la
formation professionnelle est complexe, et
qu'il faut la simplifier, ne constitue pas un
argument valable et de bonne foi pour une
réforme.

La mise en place du CPF qui a découlé de ce
processus, et qui est censé être le point central
de la réforme, ne prévoit rien de limpide.
Certes, on remplace le droit individuel à la
formation (Dif) par le CPF, mais rien dans le
projet de loi ne rend ce dispositif plus lisible
et plus efficace que le précédent. C'est
clairement un gros affichage politique. Il est à
parier que le CPF ne produira rien de mieux que
le Dif. Parce que le gouvernement a mis les
partenaires sociaux sous pression, le dispositif
a été mal pensé.

Par ailleurs, malgré les propos de Michel Sapin
et du gouvernement, il y aura moins de moyens
financiers pour la formation professionnelle.
Il est clair que les impacts économiques de la
réforme seront négatifs.

Quel va être l'impact de la disparition du
“0,9" sur la collecte de votre Opca ?


À ce jour, l'impact d'une telle suppression est
très difficile à évaluer. Mais, forcément durant
toute l'année 2014, nous serons dans l'attente
des rencontres bilatérales ou multilatérales
avec nos différents interlocuteurs pour savoir
comment la disparition de la contribution
“0,9" plan de formation va fonctionner.

2014 sera une année compliquée pour nous.
Nous faisons le pronostic que nous serons
peu sollicités avant le mois de juin, à cause
des calendriers électoraux (municipales et
européennes). À l'évidence, il y aura une
grande densité de contacts pour préparer
l'atterrissage en 2015.

Pour le moment, les services financiers et
comptables de l'Opca travaillent sur un certain
nombre d'hypothèses. Si nous disposons
d'indicateurs propres permettant d'évaluer
les impacts de cette réforme sur nos activités,
nous ne pouvons tirer de conclusions pour
l'instant. Il est difficile, en l'état actuel des
choses, d'avancer des chiffres précis. Nous
n'avons pas d'éléments. Cependant, notre
Opca fonctionnant sur une base de collecte
de versements volontaires très importants,
la suppression des versements obligatoires
n'induira pas de changements majeurs.

Tout de même, vous avez des hypothèses
de travail !


Si nous faisions tout simplement un calcul
de péréquation, nous arriverions à un chiffre
qui n'a aucun sens. Plus de 30 % de notre
ressource étant basée sur des versements
volontaires, nous ne pouvons prévoir a
priori ce que donnerait leur évolution. Cela
devra faire l'objet d'une enquête au cours
de l'année 2014. Nos services compétents
vont faire remonter des renseignements de
plus en plus consistants, qui permettront
d'évaluer le montant du versement volontaire
in fine, une fois que l'obligation légale aura
disparu. L'enquête, qui permettra de définir
le budget 2015, se fera à partir du second
semestre 2014. Il est dangereux de la démarrer
maintenant sans savoir quels seront les
décrets d'application de la loi, ainsi que les
arbitrages opérés.

Quels nouveaux services Opca Défi
proposera-t-il dans le cadre des
changements portés par la réforme ?


Nous allons mettre en place un agenda entre
partenaires sociaux de notre Opca afin d'y
voir clair. Le fait d'être un Opca interbranches
génère une complexité. Opca Défi regroupe
quatre branches (pétrole, chimie, plasturgie
et médicament), avec différents systèmes
de représentativité salariés et employeurs.
Sur les nouveaux services à proposer ou les
services à adapter, nous avons besoin d'un vrai
travail de réflexion paritaire, afin d'être tous
persuadés que l'objectif partagé est bien le
même : augmenter par la formation à la fois la
compétitivité économique de nos entreprises
et la compétence des salariés leur permettant
d'envisager leur carrière correspondant à leurs
ambitions.

Pour faire face à l'évolution législative de la
formation professionnelle, nous devons donc
évaluer les impacts à la fois sur notre Opca et
sur ses différentes branches. Cette étude sera
notre préoccupation première tout le long du
premier semestre.

Avec le CPF, la réforme met l'accent sur les
formations qualifiantes et certifiantes...


Je ne crois pas à la réussite du CPF. Ni à
l'individualisation des droits en matière de
formation. Par exemple, se retrouver, à 20 ans,
sans qualification signifie être passé à côté
de ce que proposait la formation initiale :
être démuni. Sans accompagnement peu
de personnes dans cette situation pourront
prendre toutes seules l'initiative de développer
leurs capacités. Est-on sûr qu'elles disposent
réellement de ressources nécessaires pour
s'orienter et se former ? Ce n'est pas correct
de faire croire que le CPF permettra de
résoudre les problèmes de qualification et donc
d'employabilité.

Mais n'y a-t-il pas dans la réforme
quelques points positifs à vos yeux ?


Deux points positifs doivent être reconnus. La
réforme n'a pas touché au congé individuel
de formation (Cif). Il a d'ailleurs été renforcé.
C'est le seul dispositif dans lequel l'initiative
individuelle prend toute sa place. Heureusement
que les tentatives de le fusionner avec d'autres
dispositifs n'ont pas réussi. Comment, en dehors
du Cif, une personne peut-elle individuellement,
à partir d'un compte personnel, savoir dans quel
dispositif s'inscrire avec un contingent d'heures
si faible, de 150 heures ?

Propos recueillis par Knock Billy