La formation, vecteur d'exportations

Par - Le 15 mars 2014.

L'exportation de la formation répond à des contraintes spécifiques. L'accompagnement est essentiel,
avec la formation de formateurs, la prise en compte du contexte culturel. La question est d'importance
pour les entreprises françaises. Les travaux en cours sur la “classification européenne des aptitudes,
compétences, qualifications et professions" leur faciliteront-ils la tâche ?

Notre formation s'exporte, mais
soutient-elle l'activité de nos
entreprises à l'international ?
Les certifications françaises ont
besoin d'être adaptées aux cadres
internationaux, et la formation d'évoluer
de l'assistance technique vers une
coopération durable dans ses résultats.
Sur des formations courtes, la question
du retour sur investissement se
pose. Toutefois, l'enjeu principal est la
construction d'un cadre de références,
propice à une évolution des pratiques.
Anne de Blignières-Légeraud, maître
de conférences à Paris-Dauphine et
présidente de l'Institut supérieur des
métiers, a participé à plusieurs initiatives
d'exportation de formations.
Dans chaque cas, explique-t-elle, il y
a eu création de valeur, en apportant
une réponse à une demande d'ingénierie.
Car c'est le processus utilisé qui a
conditionné le résultat.
En accompagnement des entreprises,
la création de formations à l'étranger
facilite les recrutements. Premier
exemple : une coopération menée
avec la Russie, dans la région de Saint-
Pétersbourg. Ce partenariat économique
de longue durée a permis de
placer des étudiants russes en stage
dans des entreprises françaises, en les
formant à l'approche du management
bilingue. La co-construction, associant
des acteurs locaux à des partenaires
industriels et financiers français,
a aidé notamment la Société Générale
à recruter localement son directeur de
filiale, issu de cette filière.

Accompagnement et ingénierie

Deuxième cas : la mise en place de
programmes de formation continue au
Vietnam, qui a facilité la négociation
d'accords de coopération interentreprises.
Articulés à la mise en place de
laboratoires de coopération mixte sur la
“R&D", ces programmes associent les
entreprises exportatrices au développement
de sociétés locales. L'Université
des sciences et techniques de Hanoï a
ainsi mis sur pied un laboratoire sur
le génome du riz, fruit du codéveloppement,
et Dassault Systèmes est présent
sur le centre de formation, avec
des applications pour le pilotage de
projets en entreprise. L'unité de formation
continue prépare des ingénieurs en
aéronautique, mais apporte également
des compétences à d'autres publics. On
crée donc une boucle entre les différents
niveaux de la filière.

Anne de Blignières cite encore l'objectif
atteint en Afrique subsaharienne en
accompagnement de médecins, dans
treize pays. Après un diagnostic de mauvaise
couverture vaccinale, tenant d'un
acheminement défectueux, la réponse
a été de former les hommes de terrain
à la gestion du système d'approvisionnement
et à la chaîne du froid, avec les
organismes de santé publique et le laboratoire
Sanofi, fournisseur des vaccins.
Là encore, le lien s'est révélé pertinent
entre l'entreprise et la formation.

L'universitaire mentionne les formations
diplômantes professionnalisées,
clés de la pérennité dans la production
de résultats, afin d'apporter des
transformations durables. Selon elle,
on n'exporte pas avec la formation un
produit, mais un processus. “Je veille
toujours à ce que des relais soient mis
en place, des formateurs formés, comme
dans une approche conseil et accompagnement",
souligne Anne de Blignières. Le
pilotage “éco-systémique" passe par un
ajustement permanent des dispositifs,
parce que le donneur d'ordre évolue
dans sa demande.

Brigitte Bouquet, rapporteure générale
à la Commission nationale de la
certification professionnelle (CNCP),
rappelle la dimension d'intelligence
économique de la formation. “On fait
de bonnes choses chez nous, mais on ne
l'exprime pas dans les termes requis par
les donneurs d'ordre en termes d'assurance
qualité." Résultat : pour l'évaluation
de la langue française, nous sommes
concurrencés dans nos lycées internationaux
par des multinationales. “Nous
ne commercialisons pas assez ce que nous
faisons, comme la validation des acquis",
complète Anne de Blignières.

Un risque de perte d'influence

Certes, exporter, c'est proposer ses
schémas culturels : “On exporte quelque
chose de construit en termes de certification,
avec la conception qu'on en a",
pointe Brigitte Bouquet. Mais comme
pour tout produit, il faut s'adapter
à la demande. Impossible de faire un
copier-coller de ce qui se pratique en
France sans réfléchir au contexte dans
lequel la formation va s'inscrire. Elle
recommande donc aux entreprises de
se situer par rapport à ces enjeux stratégiques,
en allant exporter dans les
pays avec lesquels elles partagent des
éléments communs.

Les exportateurs de formation doivent se
mettre à la place des acheteurs, rentrer
dans leurs schémas. Ces clients veulent
que le livrable soit décrit selon un certain
nombre de standards. Bref, l'exportation
de la formation répond à des contraintes
spécifiques. La norme Iso, les Français
s'y mettent, mais d'autres normes sont
en cours d'élaboration, sur lesquels ils
ne se positionnent pas. “Nous ne sommes
pas organisés, résume Brigitte Bouquet,
et tout cela se passe très en amont." En
substance, le jour où l'on vous explique
que ce que vous produisiez jusqu'ici n'est
plus dans la norme, il est trop tard, et
cela joue pour la formation... La rapporteure
générale à la CNCP met d'ailleurs
en garde contre “les normes rampantes,
qu'on ne perçoit pas", dans les projets
européens en particulier.

L'articulation avec la formation à
l'export ? Elle cite le cas de formateurs
universitaires allemands en Indonésie,
qui ont lancé un appel au secours à leur
ministère de tutelle, l'Éducation, parce
que sur ce marché lointain, les Néo-
Zélandais prétendaient leur imposer
le modèle anglo-saxon, dans un pays
qu'ils perçoivent comme leur pré carré.
“Si l'on ne fait pas attention, nos systèmes
seront influencés", insiste Brigitte
Bouquet. La CNCP cherche donc à
“conscientiser" les entreprises de formation,
pour qu'elles ne partent pas “la
fleur au fusil" à l'international.

L'Allemagne promeut avec la Suisse et
l'Autriche le concept de formation duale
en Grèce, en Espagne et en Italie. Les
jeunes formés dans ces pays intègrent
ainsi son modèle. Tandis que la France
n'exprime pas très bien sa démarche
d'assurance qualité. Savoirs et compétences
se confondent dans son modèle
éducatif. Pourtant, avoir un diplôme
n'équivaut pas à être opérationnel.
“L'important, ce n'est pas le savoir, mais
la manière dont on peut le mobiliser pour
développer un certain nombre d'activités,
explicite Brigitte Bouquet. On ne vous
demande pas seulement de parler anglais,
mais d'être capable de mener des négociations
en anglais en le mobilisant..."

Le cadre européen

Francis Petel, membre de la commission
nationale éducation-formation
de la CGPME, souligne que les outils
s'imposent via les projets, comme la
classification européenne des aptitudes,
compétences, qualifications et
professions − ou Esco (European skills,
compétences, qualifications and occupations).

Ce projet 2011-2017 des DG (directions
générales de la Commission
européenne) Formation et Éducation
vise à établir une “taxinomie" des compétences,
un dictionnaire des aptitudes
professionnelles. Il associe trente
groupes de travail sectoriels et sur les
compétences transversales, afin de
faire correspondre les descriptions des
métiers des offres d'emploi partout en
Europe, en utilisant une terminologie
commune. L'inventaire européen
comprendra environ 3 000 items. Les
employeurs comme les demandeurs
d'emploi pourront y puiser, et les organismes
de formation s'aligner sur ce
cadre de certification, notamment à
l'exportation.

Ce système compare les niveaux des
diplômes sur une échelle graduée de
1 à 8. à ce titre, pour la France le CAP
devient de niveau 3, le bac pro de niveau
4, le BTS de niveau 5 (inversant
ainsi la graduation éducation nationale)…
La recommandation décrit les
diplômes et les acquis de l'apprentissage,
savoir, savoir-faire et compétences
obtenus à l'issue de la formation. La
commission utilise les mêmes concepts
pour décrire les compétences acquises
dans un cadre diplômant ou professionnel.
Avec le risque que se développent
des certificats de compétences
non liés à des qualifications.

Le “raccordement" est décidé pays par
pays et, en France, la CNCP se charge
de tous les tests inscrits sur demande,
hors diplômes d'État. Certains pays
ont aligné leur échelle avec le système
européen, et ceux qui n'en avaient pas
ont adopté directement la norme Esco.
Le ministère allemand de l'Éducation,
note Francis Petel, a une vision plus
“métier". Il considère qu'on ne peut
pas exprimer les compétences dans
les offres d'emploi, dire par exemple
qu'un cuisinier doit manipuler des
charges lourdes.

Un autre souci est celui des certifications
d'entreprises internationales, sur
lesquelles les États n'ont pas de droit
de regard, si elles vont directement
demander un niveau de qualification
à Bruxelles. Si une entreprise de
formation à l'informatique, comme
Microsoft, voit reconnaître la formation
à ses logiciels, elle pourra prétendre
à des financements. Brigitte Bouquet
souligne que la France n'a pas la même
définition de la qualification formation
que l'entreprise, et ne rentre pas dans le
modèle à points anglo-saxon.

Francis Petel cite le cas de l'Institut
de soudure, un organisme français
qui existe depuis cinquante ans, mais
fait valoir sa certification internationale
pour répondre aux appels d'offres
internationaux. La CNCP refuse
jusqu'ici les diplômes d'entreprise, privilégiant
la certification par branche.