L'action contestée des opérateurs de placement

Par - Le 15 mars 2014.

L'Union régionale des organismes de formation (Urof) Île-de-France a alerté les pouvoirs publics sur
les modes de passation des marchés d'accompagnement des demandeurs d'emploi, certains opérateurs
s'inscrivant dans une logique économique jugée préjudiciable aux usagers. Message entendu par Pôle
emploi, qui a modifié ses critères, après une consultation nationale de trois mois.

Selon Benoît Bermond, président
de l'Urof francilienne, des problèmes
se répétaient dans l'accompagnement
par des opérateurs
privés de placement (OPP)
au détriment des bénéficiaires de processus
d'insertion, comme les jeunes
éloignés de l'emploi en Seine-Saint-
Denis. Son organisation s'était inquiétée
de telles pratiques voici deux ans.

Des prix (trop) serrés

Claf, un opérateur privé de placement
traitant des contrats aidés, a grossi
au-delà de ses capacités, “à bride abattue,
dans une logique de captation de
marché", assure le président de l'Urof
Île-de-France. Stratégie risquée qui a
conduit l'entreprise à “exploser", parce
L'Union régionale des organismes de formation (Urof) Île-de-France a alerté les pouvoirs publics sur
les modes de passation des marchés d'accompagnement des demandeurs d'emploi, certains opérateurs
s'inscrivant dans une logique économique jugée préjudiciable aux usagers. Message entendu par Pôle
emploi, qui a modifié ses critères, après une consultation nationale de trois mois.
qu'elle n'a pas pu assurer le travail demandé
au prix consenti. L'opérateur
d'insertion a entraîné dans sa chute
des co-prestataires, que l'Urof représente,
pour certains d'entre eux. En
tant que mandataire, l'entreprise de
placement centralisait les paiements,
et les organismes partenaires n'ont pas
récupéré leur dû. Le formateur garde
en mémoire d'autres dépôts de bilan,
et indique que de grands opérateurs
se sont maintenus en activité en négociant
avec leurs prestataires des abandons
de créances portant sur 75 % des
actions effectuées.

L'Urof IdF déplore que Pôle emploi
ait attribué voici trois ans un quart
de ses marchés d'insertion de demandeurs
d'emploi en Île-de-France à des
OPP ne disposant pas dans la région
de structures ou de formateurs. Or,
ces prestations sont difficiles à mettre
en oeuvre sans implantation préalable.
Cependant, la commande publique,
sous le régime de l'ordonnance de
2005, permet d'attribuer à des opérateurs
sans expérience locale des lots
d'accompagnement de demandeurs
d'emploi à des “prix cassés", estime
Benoît Bermond, ce qui a des “conséquences
néfastes probables sur les prestations".
La différence se fait sur la
pondération accordée au prix dans la
passation du marché, 40 % dans le cas
de Pôle emploi, contre 10 à 20 % pour
les marchés d'insertion de la région
francilienne. La Région refuse de descendre
en dessous d'un prix plancher
en deçà duquel la réalisation de la prestation
demandée devient aléatoire.
Le cabinet Initiative avait ainsi emporté
en 2012 environ 70 lots de suivi de demandeurs
d'emploi, pour un montant
de près de 8 millions d'euros, avant
d'être sanctionné par Pôle emploi pour
non-respect du cahier des charges,
puis racheté par C3 Consultants. Or,
C3 subit à son tour une procédure de
redressement judiciaire, et fait l'objet
d'une enquête dans le cadre d'un marché
de contrats d'autonomie.

L'Urof regroupe principalement des
associations opérant dans le champ
de l'insertion, sur la base de commandes
publiques. En Île-de-France,
ses 25 organismes travaillent en partenariat
avec Pôle emploi, la Région et
les Départements, à destination des
publics les plus éloignés de l'emploi.

Pôle emploi arrête
de nouvelles règles


Interrogé sur ses modes de choix des
opérateurs de placement accompagnant
les demandeurs d'emploi, Pôle
emploi a néanmoins décidé de reconduire
le système nationalement, pour
une valeur de 130 millions d'euros en
2014. Mais son conseil d'administration
a modifié les critères, après une
consultation publique de trois mois
des opérateurs partenaires en régions
ou d'associations nationales. En effet,
de novembre 2013 à janvier, l'organisme
a recueilli des contributions de
ses partenaires privés ou associatifs afin
de clarifier les conditions de ses recours
aux OPP. Ils seront désormais retenus
dans deux cas : pour adapter ses capacités
aux évolutions de la conjoncture
(Pôle emploi crée une prestation à destination
des publics ayant un besoin
d'appui méthodologique dans leur recherche
d'emploi) ; ou pour répondre
à des besoins spécifiques mobilisant
des compétences complémentaires aux
siennes.

Par ailleurs, le principe d'une rémunération
liée pour partie au résultat, évoqué
dans la consultation publique, est
réaffirmé, en veillant à la viabilité des
marchés et à la continuité du service
aux demandeurs d'emploi.
Ces principes seront appliqués à la passation
des prochains marchés de prestations
d'accompagnement et leur mise
en oeuvre fera l'objet d'une évaluation
externe.

Le point de vue des opérateurs
privés de placement


La consultation réalisée par Pôle emploi a
permis aux opérateurs et aux associations,
telle l'Afpa, de donner leurs points de vue,
et les OPP ont été nombreux à expliquer
leurs contraintes et leurs attentes.

“Les conditions de passation et d'exécution
de certains marchés de sous-traitance des
prestations Pôle emploi n'ont pas permis
d'atteindre les objectifs attendus", reconnaît
Christian Le Rolland, prestataire
à Fougères (Bretagne), et elles ont entraîné
des difficultés chez de nombreux
OPP. Il a demandé à Pôle emploi de
rémunérer les prestations à des prix permettant
la mise en oeuvre des moyens
requis, en situant la part fixe sécurisée
de la rémunération de l'opérateur (proratisable
en cas d'abandon) au-dessus
du prix de revient de la prestation. “La
politique de rémunération de la prestation
ne doit pas mettre en difficulté l'opérateur
et générer un risque de dégradation de la
démarche d'accompagnement, ont écrit
deux formateurs de l'Afpa, Rémi Bordet
et Luc Boutin. Pour cela, la part fixe de
rémunération doit assurer une couverture
minimum des frais fixes. La part variable
peut être relativement conséquente si elle
est indexée sur l'atteinte des objectifs fixés
dans le contrat d'engagement et si elle
intègre des étapes intermédiaires." Par ailleurs,
“il importe que la rémunération de
la part variable ne porte que sur des critères
relevant de la responsabilité de l'opérateur
et liés à la qualité de son action. Les
facteurs imprévisibles ou inévitables par le
conseiller (abandon pour déménagement,
maternité, hospitalisation…) ne doivent
pas pénaliser l'opérateur. La politique
de rémunération ne doit pas non plus
exacerber la dynamique de la preuve à
fournir. (…) Enfin, les périodes d'immersion
en entreprise, les formations courtes
et démarches de valorisation des acquis
de l'emploi doivent, elles aussi, pouvoir
constituer des étapes du parcours de retour
à l'emploi".

Un prestataire opérant à Bernay et
Évreux a demandé le droit de se montrer
sélectif avec les demandeurs d'emploi
qu'il accompagne : “L'opérateur de
placement devrait pouvoir refuser une
personne si elle ne correspond pas aux
prérequis de la prestation. Dans ce cas, en
accord avec le conseiller Pôle emploi, une
réorientation doit être proposée"...

Xavier Olry

QUESTIONS À MICHEL CLÉZIO, PRÉSIDENT
DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES UROF

_ “Nous devons évaluer en
permanence ce qu'apporte
la formation"

Comment vous positionnez-vous,
dans la nouvelle architecture
du système de formation ?


En tant qu'opérateurs publics de formation,
nous sommes l'un des rouages d'un ensemble
: entreprises, partenaires sociaux, Opca.
Notre impératif est de faire entendre la
nécessité de promouvoir et d'amplifier les
actions de formation et d'accompagnement
à destination des publics les plus éloignés
de l'emploi, des hommes et des femmes qui
se sont retrouvés hors du champ du monde
du travail où de celles et ceux qui souhaitent
évoluer dans leurs savoirs. Il est nécessaire
d'évaluer en permanence ce qu'apporte la
formation à l'entreprise. Mais cette évaluation
dynamique, qui se rapproche des principes de
la GPEC, doit être avant tout partagée par les
partenaires sociaux, les IRP et l'employeur.
Du degré de leur implication dépendra le
dynamisme de la loi du 5 mars 2014 relative à
la formation professionnelle.

Comment proposer des offres qui
garantissent une réinsertion ?


Il faut distinguer deux plans. Le premier
est celui des politiques publiques, dont
le pilotage a été réaffirmé dans la loi
comme étant régional. L'autre concerne les
formations qui s'inscriront, notamment, dans
le cadre du compte personnel de formation.
S'agissant des personnes rencontrant des
difficultés particulières, notamment en
situation d'illettrisme ou sans qualification,
notre offre doit s'articuler avec les schémas
régionaux de formation. En tant qu'opérateurs
de services publics, nous devons faire
en sorte qu'elle puisse évoluer de façon
à accueillir les deux types de personnes
orientées (demandeurs d'emploi dans le cadre
du schéma régional des formations, salariés
dans le cadre des formations éligibles au
titre du CPF). Il ne serait pas très sain de
continuer à fonctionner comme jusqu'à
présent, en distinguant, pour le service
public, une offre particulière extrêmement
contrôlée, réglementée, avec des cahiers
des charges très lourds, et, à côté, une offre
qui s'adresserait à des personnes à titre
individuel. À mon sens, on doit aller vers une
articulation entre l'effort des pouvoirs publics
en matière de formation et d'emploi et l'effort
partagé des partenaires sociaux à travers
la collecte, pour qu'il n'y ait pas des offres
complètement cloisonnées, comme dans un
sous-marin !

Cette réglementation, vous la ressentez
comme un poids ?


Dans le cadre des politiques publics de
l'emploi et de la formation, on fait peser sur
nous énormément d'obligations d'efficience,
de contrôles, etc. Dans le cadre de ces
politiques publiques, les exigences très
fortes existent déjà. C'est peut-être sur les
autres champs qu'il y a besoin de travailler
à la qualité de l'offre de formation, à son
évaluation. Nous devons tous, si nous
saisissons bien la philosophie de cet accord
voulu par les partenaires sociaux et transcrit
par le législateur, travailler de concert : ceci
est aussi vrai pour les partenaires sociaux,
les Régions, que pour le service public de
l'orientation.
Ce qui est intéressant, dans cette nouvelle
loi, c'est sa philosophie systémique. Elle
ne raisonne pas en termes d'architectures
institutionnelles qui voisinent les unes avec
les autres, mais plutôt en termes d'articulation
des acteurs entre eux. C'est toute sa vertu, y
compris pour les salariés.

Propos recueillis par Knock Billy