La formation, facteur de compétitivité en Europe

Par - Le 15 avril 2014.

Compétences, mobilités, sécurisation, des mots souvent prononcés lors des colloques européens,
parfois sous forme assez incantatoire. À la clé cependant, des mécanismes d'“actualisation
des qualifications", des incitations et dispositifs concrets peuvent être débloqués. À condition de
remettre ces questions − réellement − “en haut de l'agenda".

Valorisation de l'investissement
humain : formation, mobilité,
emploi en Europe." Tel était
le thème des Entretiens économiques
européens (EEE) organisés
par Confrontations Europe le 20 mars
dernier à Bruxelles, en collaboration
avec une trentaine de partenaires de
plusieurs pays européens (Allemagne,
Belgique, France, Italie, Pologne).
Alors même que se tenaient parallèlement
le Conseil européen consacré à la
compétitivité industrielle et le Sommet
social tripartite. [ 1 ]Le sommet se réunit au moins une fois par an,
avant le Conseil européen de printemps. Y siègent
des représentants de la présidence du Conseil et des
deux présidences suivantes, de la Commission et des
partenaires sociaux.
.

“Nous entendons faire remonter des sujets
d'intérêt européen : l'investissement
humain, l'importance de la formation
et de la qualification pour toute la population
active en Europe, les défis des
mutations et des restructurations, qui
doivent être relevés ensemble", a résumé
Anne Macey, secrétaire générale de
l'association. “L'investissement, le capital
humain est l'une des pistes importantes"
pour relancer la compétitivité de l'Europe.
Elle a invité à ne plus considérer
l'investissement humain comme une
dépense à rentabiliser ou
ajuster, mais de le valoriser
comme un investissement
pour l'avenir, dans le cadre
des transitions et reconversions
industrielles.

Accompagnement
du changement


Un tel travail demande
l'implication de l'ensemble
des acteurs (États, Régions,
partenaires sociaux, entreprises,
etc.). “Il s'avère que
le dialogue social doit jouer
ici un rôle primordial. Il
permettra de mieux identifier
les enjeux en termes
de compétences", a rappelé
Jozef Niemiec, secrétaire
général adjoint de la Confédération
européenne des syndicats (CES).
Convaincu qu'une mutation réussie est
issue de l'implication de l'ensemble des
partenaires, très en amont, pour anticiper
les évolutions. “Les organisations
syndicales se veulent des forces de propositions
qui accompagnent les mutations,
les changements de statut, etc. Elles s'inscrivent
dans l'innovation sociale qui permet
d'assurer la survie et la compétitivité
de nos économies locale et européenne", a
soutenu Carole Couvert, présidente de
la CFE-CGC.

Car le vrai défi est de répondre aux
problèmes d'inadaptation des compétences.
“Il est important de valoriser les
capacités humaines, de les tourner vers
l'innovation, mais aussi de les ouvrir
vers l'Europe et le monde. Bref, de leur
permettre de déployer leur plein potentiel
humain, libérer les initiatives, la
créativité dans les entreprises, et relever
des défis très concrets d'inadéquation des
compétences, de réforme de nos systèmes
de formation dans de nombreux pays", a
plaidé Anne Macey.

“Le moment de repenser
nos modèles"


En effet, a appuyé Carole Couvert,
avec la crise, c'est “le moment de repenser
nos modèles, dont celui de la formation",
en encourageant la formation pour
tous tout au long de la vie professionnelle
(aussi bien pour les bas niveaux
de qualification que les cadres). “Cela
demande de passer en mode GPEC,
notamment dans les territoires, afin de
faciliter la mobilité." La présidente de
l'organisation des cadres a dit espérer
qu'en France, l'“acte III de la décentralisation"
répondra à ces exigences.

C'est pour cela qu'elle a signé l'Ani du
14 décembre 2013, aboutissant à la loi
du 5 mars relative à la formation professionnelle,
à l'emploi et à la démocratie
sociale, avec le compte personnel
de formation (CPF), qui s'inscrit dans
cette logique.

“Une révolution des outils
pédagogiques est en marche"


Comment faire en sorte que les savoir-
faire des salariés et notamment
des jeunes soient en adéquation avec
les exigences du moment ? “Le monde
économique n'est pas resté l'arme au
pied", a observé François Michaux,
qui a travaillé plus d'une vingtaine
d'années chez Renault sur les questions
de formation. “Il a développé
des outils d'autoformation interactifs,
des tests de validation des compétences
cernant de mieux en mieux les besoins
individuels, des réponses aux pénuries
de compétences, parfois mutualisées
par branche (aéronautique, réparation
automobile, bâtiment, métiers de
bouche)." Selon lui, “une révolution
des outils pédagogiques est en marche
(jeu vidéo, interactivité, cours inversés,
etc.), qui donne pour la première fois
un moyen d'individualiser les réponses
éducatives, d'évaluer les besoins de cha
cun, et de construire une offre diversifiée
à des coûts abordables si elle est largement
mutualisée : formation en ligne
à domicile, complément en présentiel
adressé à des publics dont l'homogénéité
du niveau de compétence est validée,
validation des acquis, etc." Afin de
relancer la compétitivité européenne,
notamment dans le secteur automobile,
“il est donc nécessaire de repenser
une pédagogie globale et de mettre en
place en Europe, comme c'est le cas aux
États-Unis, des mécanismes d'actualisation
des qualifications".

Une telle vision s'inscrit dans la logique
de sécurisation des parcours. Selon
Anne Macey, elle “s'impose pour permettre
les mobilités professionnelles et
géographiques positives des jeunes et des
travailleurs".

“La question du type de société
que nous voulons"


À travers ces observations, “est posée
la question du type de société que nous
voulons. Voulons-nous une civilisation
refondée sur le travail comme épanouissement
de l'homme, inscrite dans des
projets collectifs ? Très concrètement, cela
pose la question du type d'incitations et
d'infrastructures à mettre en place pour
accompagner les transitions humaines et
professionnelles en Europe", a rappelé la
secrétaire générale de Confrontations
Europe. La tentation serait, selon
Clemens Wieland, directeur à la fondation
Bertelsmann, de “vouloir dupliquer
ici les méthodes ayant réussi ailleurs.
Rien ne garantit que ce qui a réussi en
Allemagne dans la formation et l'accompagnement
des jeunes réussisse dans
d'autres pays". Il s'agit donc de trouver
des outils communs permettant aux
jeunes et aux travailleurs européens
d'“intégrer dans leur stratégie de carrière
l'importance de la mobilité professionnelle
et géographique". La réflexion doit
permettre de “construire des interfaces et
incitations permettant de développer des
marchés inclusifs et coopératifs en Europe
pour un marché européen transitionnel
du travail"...

Réindustrialiser, ou “encourager
l'exode" ?


Le concept d'“europatrié" développé
par la fondation SHS de Peter Hartz,
l'ancien conseiller de Gerhard Schröder,
“constitue une réponse à cette problématique",
a indiqué Nicole Paschke, sa
conseillère et directrice scientifique de
la fondation. Elle a annoncé la tenue,
du 23 au 25 juin prochain à Sarrebruck
(Allemagne), d'un colloque de présentation
de ce dispositif qui “a déjà séduit
deux pays pour une expérimentation".
Un dispositif qui ne séduit pas forcément
le syndicaliste, Sylvain Lefebvre,
secrétaire général adjoint d'IndustrAll,
une organisation internationale qui
représente les travailleurs des secteurs
miniers, de l'énergie et de la manufacture
dans 140 pays. “On ne répond
pas aux enjeux de l'emploi des jeunes en
encourageant l'exode. Il faut plutôt revitaliser
les régions européennes en les rendant
plus industrielles. Réindustrialiser
l'Europe, suppose une réflexion commune
de l'ensemble des acteurs notamment sur
les compétences et les formations nécessaires
à développer."

QUESTIONS NICOLE PASCHKE, DIRECTRICE SCIENTIFIQUE DE LA FONDATION SHS

Le programme “Europatriés" et son “diagnostic des talents"

Que peut-on ou doit-on faire pour garantir
l'emploi et la formation aux jeunes en
Europe ?


A la fondation SHS SHS : [ 2 ]Saarländer helfen Saarländern (Les Sarrois
aident les Sarrois). www.shsfoundation.de
, créée par Peter Hartz [ 3 ]Peter Hartz, ancien DRH de Volkswagen, est à
l'origine des “réformes Hartz" qui ont remanié le marché
du travail allemand pendant les années 2000 (“minijobs"
faiblement rémunérés, fortes réductions des
taxes et contributions sociales des entreprises). Il était
alors conseiller chargé de l'emploi auprès de Gerhard
Schröder, chancelier fédéral allemand de 1998 à 2005.
, nous
sommes convaincus que la solution réside dans
le système d'apprentissage : apprendre un métier
donne droit inévitablement à un emploi, dans
son territoire, à défaut dans son pays, ou dans
un autre pays européen. Le problème de l'emploi
et de la formation des jeunes Européens doit
être abordé dans le cadre d'un effort européen.

Nous estimons que l'expérience d'une solidarité
transfrontalière constitue le meilleur vecteur pour
faire renaître l'enthousiasme des jeunes pour
leur continent. C'est pour contribuer à ce nouvel
élan que Peter Hartz propose le programme
“Europatriés".

En quoi cela consiste-t-il ?

D'abord, il faut rappeler que cette proposition est
le fruit de l'expérience de Peter Hartz et de son
analyse des récentes évolutions européennes en
matière d'emploi et de formation.

Le concept “Europatrié" est dérivé du mot
“expatrié", qui désigne un salarié détaché à
l'étranger par son entreprise pour acquérir de
nouvelles expériences et y faire profiter de
ses compétences. Ainsi, un “Europatrié" (ou
“europatriate", en anglais) est un jeune Européen
apprenti, travailleur peu qualifié ou travailleur
qualifié, qui se rend, temporairement, dans un
pays partenaire européen où des besoins sont
exprimés pour s'y former à un métier ou exercer
un emploi et faire des expériences pratiques. Il
reste en lien avec son pays d'origine. À la fin de
sa formation, et après avoir acquis une ou des
expériences professionnelles sur le terrain, il
rejoint son pays d'origine pour en bénéficier.

La fondation défend l'idée que nous
devons offrir à chaque jeune en Europe des
perspectives d'avenir professionnel, que ce
soit dans son pays d'origine ou ailleurs. Cela, à
travers des propositions de formation, d'études,
d'emploi salarié ou non salarié. Le programme
Europatriés vise à les accompagner à découvrir
qui ils sont et quels sont leurs talents, et les
aider à définir des objectifs professionnels
et de développement, identifier et exploiter
des formations, des emplois et des activités.
Dans ce cadre, ils bénéficient d'un soutien
établi à partir de méthodes professionnelles et
d'instruments ajustés.

Des programmes similaires n'existent-ils
pas déjà en Europe, notamment Erasmus +,
avec toutes ses composantes ?


Bien que les concepts divergent, nous estimons
que nous devons, en Europe, multiplier les
initiatives permettant d'offrir à chaque jeune le
maximum d'opportunités d'être en emploi.
La mise en oeuvre concrète du programme
Europatriés repose par ailleurs sur une structure
d'encadrement professionnelle et un modèle
de financement innovant. Ainsi, par exemple,
nous avons mis en place ce que nous appelons
le “diagnostic des talents". Celui-ci consiste
à définir les perspectives de développement
professionnel pour chaque jeune, afin de mieux
diagnostiquer ses aptitudes, ses talents et son
envie. Il est avant tout axé sur les atouts, les
potentialités et les opportunités qu'il présente.
L'objectif est de valoriser ses compétences et
ses talents afin de lui permettre de savoir à
quoi il se destine. Et ainsi, de faire en sorte
que son parcours d'“Europatriation" ne soit
pas une aventure, mais quelque chose bien
préparé, voulu et motivé. Bref, une réussite
professionnelle.

Vous proposez également le concept de
“titre de formation échangeable"


Son objectif est de financer davantage
la formation des jeunes chômeurs par
l'apprentissage. Peter Hartz propose de mettre
en place, auprès de la Banque européenne
d'investissement (BEI), un fonds national ou
européen qui pourra émettre et négocier des
titres échangeables de formation. Ces titres
matérialisent le droit à la formation et sa valeur.
Il propose que le fonds soit alimenté par des
investisseurs publics et privés (États, collectivités
territoriales, entreprises, etc.).

Le “titre de formation" est un instrument
de financement et de pilotage qui permet
la rémunération de l'entreprise formant et
accueillant l'apprenti et la rémunération
de l'apprenti au cours de sa formation
professionnalisante.

L'idée est que le titre soit un instrument
obligataire, librement cessible sur le marché, et
assorti d'un coupon. Ainsi, l'entreprise se fera
rembourser la valeur du titre auprès du fonds
qui l'a émis et sera incitée à embaucher, grâce
au différentiel entre le coût de la formation et
la valeur du titre, ainsi qu'en tirant les bénéfices
durables d'un jeune formé dans son propre
environnement.

La mise en œuvre pilote de ce programme
débutera, après le congrès de présentation de
Sarrebruck, de fin juin prochain, en Allemagne et
dans un autre pays.

Propos recueillis par K. B.

Notes   [ + ]

1. Le sommet se réunit au moins une fois par an,
avant le Conseil européen de printemps. Y siègent
des représentants de la présidence du Conseil et des
deux présidences suivantes, de la Commission et des
partenaires sociaux.
2. Saarländer helfen Saarländern (Les Sarrois
aident les Sarrois). www.shsfoundation.de
3. Peter Hartz, ancien DRH de Volkswagen, est à
l'origine des “réformes Hartz" qui ont remanié le marché
du travail allemand pendant les années 2000 (“minijobs"
faiblement rémunérés, fortes réductions des
taxes et contributions sociales des entreprises). Il était
alors conseiller chargé de l'emploi auprès de Gerhard
Schröder, chancelier fédéral allemand de 1998 à 2005.