Sociétés coopératives : l'atout formation ?

Par - Le 15 mai 2014.

Défendre un modèle participatif en “plaçant l'humain au coeur de l'entreprise". C'est précisément le
principe fondateur des Scop. Avec plus de 2 000 entreprises constituées sous cette forme, les “sociétés
coopératives et participatives" ont depuis peu le vent en poupe. Ce modèle “productiviste" favorise-t-il
la formation ? Éléments de réponse, avec le groupe Chèque Déjeuner et une PME, Bouyer-Leroux.

Benoît Hamon, ancien ministre
déléguée à l'Économie sociale
et solidaire a soumis au
Parlement un projet de loi
visant à doubler le nombre d'emplois
et de Scop en cinq ans. Pour ce
faire, il a souhaité donner un “coup
d'accélérateur", grâce à la création de
“Scop d'amorçage" et à la constitution
de groupes de Scop.

Les sociétés coopératives reposent sur
des principes de fonctionnement spécifiques,
définis par la loi de 1978 [ 1 ]Loi n° 78-763 du 19 juillet 1978 portant statut des
sociétés coopératives.
actualisée par deux fois en 1988 et en
1992. Gouvernance démocratique,
détention de l'actionnariat majoritaire
par les salariés, partage des profits : des
atouts qui contribuent à valoriser les
travailleurs de la société. La Scop se
développe avec eux et dans leur intérêt.
La formation devient donc un enjeu,
tant dans la compréhension du fonctionnement
de l'entreprise que dans
le développement de compétences.
En effet, des salariés dirigeants formés
peuvent devenir un atout pour l'entreprise
servant leurs propres intérêts...

Chèque Déjeuner, Scop modèle
en matière de formation


Cinquante ans après sa création, le
groupe Chèque Déjeuner est devenu
l'un des leaders mondiaux des chèques
et cartes de service. Et son choix de modèle
coopératif n'est peut-être pas pour
rien dans cette réussite. Les valeurs Scop
ont permis au groupe de se constituer
une identité unique dans le domaine et
de pérenniser son action en se reposant
sur des valeurs solides. “Il était important
pour nous de définir ce qui nous unissait
en tant que coopérative. Nous avons
donc dressé la liste de nos valeurs pour que
chacun dans l'entreprise puisse s'y référer
et se les approprier. Elles sont au nombre
de cinq : la solidarité, l'équité, l'engagement,
l'entrepreneuriat et l'innovation",
explique la directrice des ressources
humaines, Florence Quentier. Le projet
collectif de l'entreprise est depuis
des années valorisé par la formation.
Le groupe ne lésine pas sur les moyens
mis en oeuvre dans ce domaine. “Depuis
plusieurs années, l'entreprise investit un
budget important dans la formation qui
contribue à la pérennité des emplois, ainsi
qu'à la promotion interne. De plus, nous
veillons à ce que les salariés soient employables
en interne comme en externe."

La formation en trois “briques"

L'entreprise a donc mis en place des
formations en interne pour permettre
l'adaptation à la culture de l'entreprise.
Après deux ans de réflexion sur
les besoins fondamentaux récurrents,
un premier parcours a été mis en place
en mai 2012 : celui des managers.
Des modules conçus selon les niveaux
d'ancienneté permettant de toucher un
public large ont été mis en place. “Nous
avons construit la formation en trois
« briques » : les fondamentaux, l'actualité
et l'accompagnement. Après le succès de
cette initiative, l'entreprise l'a étendue à la
création de plusieurs autres parcours, tels
que celui pour les commerciaux." Dans un
souci d'optimisation des coûts, Chèque
Déjeuner a établi des partenariats avec
plusieurs organismes qui s'associent à la
démarche interne. Faire plus de formation,
mais à moindre coût, afin de ser
vir les intérêts croisés des salariés et de
l'entreprise.

“Une grande volonté de
se maintenir à niveau"


“Les collaborateurs de l'entreprise sont plutôt
satisfaits de la politique de formation.
Ils jugent assez normal de se former. C'est
véritablement ancré dans notre mode de
fonctionnement − et je pense qu'ils ne se
rendent pas compte qu'ailleurs, c'est plus
dur."

La formation est donc vécue comme
une évidence pour les salariés de cette
Scop. Pourtant, avec 84 % de salariés
rattachés à la maison-mère ayant suivi
une formation sur l'année 2012, et
plus d'un million d'investissement à
ce titre, Chèque Déjeuner affiche des
résultats bien au-dessus de la moyenne
nationale [ 2 ]41 % des salariés déclarent avoir suivi une formation
en 2012, selon une enquête OpinionWay..
Mais est-ce véritablement le
modèle Scop de l'entreprise qui permet
de tels résultats ?

À en croire Florence Quentier, les valeurs
de la coopérative n'y sont effectivement
pas pour rien : “Je pense que le statut
Scop favorise la formation. L'entreprise
nous appartient et si nous ne sommes pas
à jour de nos compétences, c'est le groupe
dans son intégralité qui en pâtira. Il ne
faut pas oublier que les conséquences économiques
sont directement répercutées sur
les actionnaires salariés. Il existe donc en
Scop une grande volonté de se maintenir
à niveau. C'est donc forcément un environnement
favorable au développement
des compétences. S'il faut évidemment
pouvoir s'en donner les moyens, toutes les
sociétés coopératives ont à coeur le développement
du capital humain."

Et dans les petites entreprises ?

S'en donner les moyens. Certainement
le problème dans certaines Scop. Et souvent
dans les plus petites d'entre elles.
59,4 % de ces sociétés accueillent en
leur sein moins de dix salariés. Comme
ailleurs dans ces structures, la formation
est souvent laissée de côté, faute
de temps ou d'information. La majorité
des TPE se contentent du minimum
légal. Pourtant, Pierre Liret, directeur
de la formation à la CG Scop (confédération
générale des Scop) veut relativiser
ce constat dans les sociétés coopératives
: “Chaque année, toutes les Scop se
réunissent pour faire le point en matière de
formation. Si on remarque que certaines
ne s'investissent pas assez sur ce sujet, c'est
certainement moins par mauvaise volonté
que par faute de temps ou de compétences.
Il faut dire que le sujet de la formation
professionnelle est d'une complexité telle
que certaines entreprises ont du mal à s'y
retrouver."

Productivisme = salariés
à leur poste


Le modèle productiviste de la Scop pourrait
également impacter les dépenses en
formation des petites structures. C'est
en tout cas l'avis de Nathalie Aubert,
directrice des ressources humaines chez
Bouyer-Leroux, société coopérative fabricante
de matériaux en terre cuite. “Je
ne suis pas sûre que le modèle permette de
faire plus de formation qu'ailleurs. L'idée
d'une société productiviste, comme le sont
toutes les Scop, sous-entend des salariés
présents à leur poste. Les absences pour
se faire former peuvent très certainement
constituer un frein, d'autant plus dans
TPE et les PME."

L'action de la Confédération
générale des Scop


La force des Scop, au-delà de ses valeurs,
c'est surtout son réseau, animé par la CG
Scop. Il accompagne la création, la transformation
et la reprise d'entreprise sous
forme de sociétés coopératives. Le viceprésident,
Jacques Cottereau, souhaite
mettre l'accent sur la formation dans ces
entreprises pour permettre l'adaptation à
toutes les échelles. “C'est un peu comme
la sève d'un arbre, ça ne fait pas de bruit
quand ça s'arrête, mais quand il n'y en a
plus, l'arbre dépérit. On constate la même
chose pour une entreprise, qui a besoin de
la formation pour que le mouvement ne
s'étiole pas. Un dirigeant de Scop formé est
plus ouvert et plus innovant." La confédération
générale s'occupe à ce titre de délivrer
des formations et d'accompagner les
entreprises dans la construction de politiques
en la matière. Plusieurs sessions
sont proposées aux 2 000 sociétés pour
former les salariés et les cadres dirigeants
à la culture Scop : “Nous proposons aux
salariés des coopératives plusieurs cycles de
formation dans l'année pour leur permettre
d'appréhender le statut Scop et les pratiques
coopératives. Les dirigeants ont leurs formations
spécifiques pour leur donner les clés
nécessaires au pilotage de leur entreprise",
explique Pierre Liret.

“Form.coop", un système de
cotisation


Le système repose sur la mutualisation
de fonds dédiés à l'ingénierie de formation
pour construire une offre adaptée.
Les petites entreprises ne sont pas
laissées sur le carreau... Au contraire, la
confédération a mis en place un système
de cotisation depuis 2005 sur la base du
volontariat : Form.coop.

Le fonds est spécifiquement consacré
aux formations collaboratives et alimenté
par 0,1 % de la masse salariale brute
des entreprises volontaires. Une aubaine
pour les petites entreprises qui bénéficient
de formations à moindre coût.
“C'est un système de solidarité au niveau
national. Les TPE souscrivent au projet
sans avoir à faire la demande de préfinancement
auprès de leur organisme collecteur."
Une méthode qui permet à la CG
Scop de créer des programmes adaptés
à la demande. “C'est l'une des principales
courroies de distribution, de transmission
des valeurs coopératives. Nous venons par
exemple de monter un module
dédié au middle management."

Une mutualisation
des pratiques


Plus généralement, la prise
en charge de la formation
au niveau national est une
valeur ajoutée pour les Scop
qui permet l'appropriation
des habitudes de formation.

C'est en tout cas le point de
vue de François Longerinas,
directeur de l'École des métiers
de l'information, coopérative
de formation professionnelle
: “L'animation du
réseau permet une mutualisation
des pratiques et impulse
une dynamique positive en ce
sens. Les collaborateurs, en se
formant à la culture coopérative,
intègrent la nécessité de formaliser les
temps de formation. S'il y a plus de formation
qu'ailleurs dans les Scop, c'est véritablement
par ce biais."

Capitaliser sur les formations
nationales…


Chez Bouyer-Leroux, la direction des
ressources humaines compte bien capitaliser
sur les possibilités offertes au niveau
national. Chaque nouvel arrivant
suit une formation découverte à l'union
nationale. L'occasion de comprendre
quelles sont les différences entre l'entreprise
classique et la coopérative. De plus,
la société a mis en place un système de
parrainage pour devenir sociétaire. Elle
utilise alors le réseau pour former les salariés
à leur fonction de sociétaire. Des
jeux de rôle et des mises en situation
permettent l'acquisition des valeurs et la
transmission des informations.

… et construire une véritable
politique de formation


L'entreprise de fabrication de matériaux
en terre cuite a depuis longtemps
compris l'intérêt qu'elle pouvait tirer en
formant bien ses collaborateurs. Pour
Nathalie Aubert, l'enjeu de la formation
réside dans la volonté de pérenniser les
emplois et de créer une culture propre à
la coopérative : “Nous avons besoin que
nos salariés se sentent bien à leur poste et
nous plaçons l'humain au coeur de l'entreprise.
La formation contribue à cet épanouissement,
c'est pour cette raison que
nous investissons un budget bien
au-delà de nos obligations légales."
Si, avec ses 740 salariés, Bouyer-
Leroux pourrait se contenter du
minimum légal, soit une contribution
à hauteur de 1,6 % de
sa masse salariale brute, mais
le groupe a décidé de consacrer
plus de 5 % à la formation :
“Nous n'avons pas une vision utilitaire
de la formation. Nous encourageons
par exemple nos collaborateurs à utiliser
leur droit individuel à la formation pour
apprendre des langues étrangères. Même si
cela ne leur sert pas dans leur travail, c'est
un vecteur d'épanouissement qui crée un
bien-être au travail et une bonne dynamique
pour l'entreprise." Une politique
payante car la société affiche un turn over
très faible.

Une tradition de
“compagnonnage"


Les sociétés coopératives placent l'humain
au centre de leur préoccupation.
Ce modèle particulier tend à renforcer
les liens entre les collaborateurs.
Une tradition de “compagnonnage"
qui contribue à alimenter un modèle
informel.

Le directeur financier de la Scop
Alternatives économiques, François
Colas, défend l'idée selon laquelle cette
tendance ne contribue pas à la formalisation
de la formation : “Je ne pense
pas qu'on se forme plus dans les sociétés
coopératives. En dehors des formations au
modèle Scop, cela se fait le plus souvent
« sur le tas ». Mais cela n'empêche pas la
valorisation de la promotion interne. Il
n'est pas rare que le président d'une Scop
soit un opérationnel."

En ce sens, l'entreprise coopérative présente
de nombreux points communs
avec l'entreprise familiale. Bouyer-
Leroux en est l'exemple parfait. Devenue
Scop en 1980 dans le cadre d'une transmission
de la famille Bouyer-Leroux aux
salariés, elle n'a pas perdu son identité
dans sa mutation : “Le modèle coopératif
présente des similitudes avec l'entreprise de
« papa ». Nos valeurs se retrouvent bien
dans les deux modèles et la politique de
formation en découle d'une manière assez
similaire."

Notes   [ + ]

1. Loi n° 78-763 du 19 juillet 1978 portant statut des
sociétés coopératives.
2. 41 % des salariés déclarent avoir suivi une formation
en 2012, selon une enquête OpinionWay..