Les “Cooc" ? Des universités d'entreprise en ligne

Par - Le 15 juin 2014.

Le vocabulaire de la formation vient de s'enrichir d'un nouvel acronyme. “Cooc", pour corporate
open online courses, cours d'entreprise en ligne, ouverts, c'est-à-dire non réservés aux salariés, afin
de fidéliser ou de développer sa clientèle ou sa notoriété. Ce que ce mode de formation entraîne
− individualisation des parcours, objectivation, évaluation par les “pairs"... − trace-t-il une image
possible du futur de la formation en entreprise ?

En déployant Solerni, sa plateforme
d'hébergement de
Mooc, l'opérateur de téléphonie
Orange est devenu, fin mai, l'un
des premiers groupes français à se
lancer sur le marché des “Cooc", ces outils
de formation collaboratifs en ligne.
Ils sont aux Mooc − massive open online
courses, cours en ligne ouverts et massifs
− ce que les universités d'entreprise
sont aux sessions de formation “inter".
D'ores et déjà, quatre clients, l'ESCEM
Grenoble, l'école de commerce à
distance Enaco, le cabinet de chasseurs
de têtes Cala Partners et Marmiton.
org, ont contracté avec le géant des télécommunications
pour installer sa plateforme
Solerni.

Ils ne sont pas seuls. Renault travaille à
développer un cours dédié au grand public
pour l'apprentissage de la conduite.
Manpower réfléchit à un Cooc consacré
à la rédaction de CV. Tandis que
Danone envisage de mettre en ligne un
module destiné à l'hygiène alimentaire.

Un module lié aux activités
d'une entreprise


À la différence d'une université d'entreprise
“classique", les savoirs dispensés au
travers d'un Cooc ne sont pas nécessairement
réservés à un public directement
lié au groupe. Cela peut être le cas : aux
États-Unis, la Bank of America a développé
un cours de gestion financière réservé
à ses clients. Mais le plus souvent,
il consiste en un module de formation
ouvert au grand public, mais lié aux
activités d'une entreprise, dans le but de
fidéliser ou de développer sa clientèle ou
sa notoriété. Ainsi, toujours aux États-
Unis, Microsoft, en collaboration avec
la Khan Academy [ 1 ]Organisme de formation entièrement à distance
fondé en 2006 par Salman Khan, qui fut précepteur
de mathématiques des enfants de Bill Gates.
https://fr.khanacademy.org
, a ouvert son centre
de formation virtuel à l'ensemble de la
communauté des programmeurs, alors
que l'équipementier sportif Nike souhaite
proposer des cours de sensibilisation
à la biologie et au sport.

“Plus de promesses que de
menaces"


“Il y a de solides raisons au développement
des Mooc en entreprise, à commencer par
la réponse pertinente qu'ils apportent à
toute une classe de besoins des salariés et des
métiers mal servis par la formation ou le
e-learning traditionnel", explique Michel
Diaz, directeur du cabinet Féfaur [ 2 ]Fondé en 2006 par Michel Diaz et Aude
Dellacherie, Féfaur est un cabinet d'études et de
conseil e-learning français. www.fefaur.com
,
auteur, en collaboration avec l'éditeur
Vodeclic, du livre blanc Osez votre [Mooc
d'entreprise->http://business.vodeclic.com]. Des Mooc qui, à ses yeux,
“portent plus de promesses que de menaces
pour un secteur de la formation qui a tout
intérêt à s'en inspirer".

À en croire une étude déjà réalisée par
le Féfaur et l'ANDRH[ 3 ]Association nationale des DRH, en 2013, le elearning,
en France, n'est prisé que par
16 % des entreprises. A contrario, pour
82 % d'entre elles, le présentiel reste le
vecteur de formation privilégié, même
si, dans le même temps, de nouveaux
modes d'apprentissage collaboratifs
(communautés de pratiques, réseaux,
missions transverse, etc.) sont de plus en
plus choisis pour démocratiser les enseignements
dans l'entreprise.

“Une image du futur de
la formation en entreprise"


“Dans le cadre d'un Mooc, l'apprenant
adulte doit pouvoir aller à son rythme,
choisir les sessions à suivre tout en respectant
le calendrier général d'ouverture et de
clôture du cours, précise Michel Diaz, il
s'agit donc, pour les responsables formation,
de définir un cadre général non négociable
– le périmètre et le rythme d'acquisition
des savoirs imposés à l'entreprise – et ce qui
reste du ressort du salarié. Croisés avec le
modèle 70/20/10 [ 4 ]Modèle pédagogique théorisé par Morgan McCall,
professant que 70 % des connaissances en entreprise
s'acquièrent par le travail lui-même, 20 % par le biais
des pairs et 10 % seulement par la formation.
, les Mooc ouvrent une
image possible du futur de la formation en
entreprise."

Évaluation et certification
individuelles


Demeure cependant la question de
l'évaluation finale de la formation, particulièrement
alors que les Mooc (et le
e-learning en général) demeurent encore
des outils coûteux pour l'entreprise. Et
même si un futur décret d'application de
la loi du 5 mars 2014 offrira prochainement
une définition plus large de l'action
de formation, l'ouvrant sans doute
au numérique [ 5 ]La FOAD est difficilement imputable. Seule une
circulaire DGEFP (2001) définit actuellement une
action de formation au titre de la FOAD.
, cette problématique
reste indépassable pour les entreprises,
ne serait-ce que pour assurer un reporting
des compétences acquises. “Quand
cette évaluation existe dans les dispositifs elearning,
elle est rarement individualisée",
note Michel Diaz.

“Des activités traçables"

Cependant, les modules de certification
(“badges") acquis à l'issue d'un Mooc,
eux, favorisent l'individualisation des
parcours : “Ils présentent bien des avantages,
poursuit le directeur de Féfaur,
visibilité, possibilité de les collectionner
selon le bon plaisir de l'apprenant, évaluation
par ses pairs et par le formateur,
objectivation par des activités traçables
sur les plateformes, etc." Une certification
finale, souvent payante – contrairement
au contenu qui, sur les modèles développés
par les universités américaines
comme Stanford ou le MIT, reste gratuit
– qui permettrait aux organismes de
formation (pour qui les stages virtuels
demeurent difficiles à vendre) de se lancer
sur le marché de ces Mooc d'entreprise.
“Il restera la possibilité de vendre les
preuves que les compétences sont acquises,
note Michel Diaz. Un beau chantier en
prévision pour les formateurs."

Marché attractif

En France, c'est donc Orange qui a ouvert
la voie de ces cours en ligne. Peu
surprenant : une étude du
fonds d'investissement britannique
Ibis Capital estime
que le e-learning pesait en
2012 près de 91 milliards de
dollars dans le monde, avec
une croissance annoncée de
près de 40 %. Le marché est
attractif. “Le nombre d'utilisateurs
finaux est évalué à
34 millions de francophones,
et Orange veut prendre 25 %
du marché en cinq ans", avoue
d'ailleurs Luc Bretones, le
directeur du technocentre de
l'opérateur multimédia, clé
de voûte du développement
d'Orange.

“Aujourd'hui, ce sont Microsoft
et Orange qui se positionnent
sur le marché des Cooc.
Facebook le fera probablement
demain. L'objectif, pour
eux, c'est moins la philosophie
de l'outil que d'accéder à cet
hypermarché de la donnée",
décrypte Stéphane Diebold,
le président de l'Affen, l'association
française pour la formation
en entreprise et les
usages du numérique, qui observe
attentivement l'émergence de ce
phénomène “corporate Mooc", ces outils
à mi-chemin entre la pédagogie et le pur
objet marketing.

Imposer sa légitimité

“Lorsque Nike lance un cours en ligne
destiné à l'auto-évaluation des performances
sportives, le groupe le fait avant
tout pour récupérer de la « donnée », faire
de la veille et de l'analyse, mais aussi pour
assurer sa place dans le domaine du sport,
imposant sa légitimité à donner des cours
en la matière. C'est malin, de la part du
groupe", estime le président de l'Affen,
qui regrette que les organismes de formation
ne se soient pas encore positionnés
sur ce marché. “Cela viendra,
prophétise Michel Diaz. Pour l'instant,
les entreprises qui mettent leurs Mooc en
ligne n'ont pas encore développé un modèle
économique rentable. Elles le font parce
qu'elles doivent le faire, pour garantir
leur visibilité et leur leadership. Mais
aujourd'hui, les certifications acquises au
terme d'un de ces cours n'ont pas beaucoup
de valeur. Elles ont donc tout intérêt à
associer leur nom à celui d'un grand nom
de l'éducation ou de la formation. C'est ce
que fait déjà Microsoft, en s'associant à la
Khan Academy".

“Les apprenants reprennent
le pouvoir"


Aujourd'hui, Xavier Niel, le président
de Free, s'est positionné sur le marché
éducatif avec son école gratuite “42" [ 6 ]L'Inffo n° 834, p. 34. (900 inscrits pour sa première rentrée,
en 2013), qui propose un emploi plutôt
qu'un diplôme. Et Peter Thiel, le
président du service de paiement en
ligne PayPal, offre chaque année, par le
biais de son programme “UnCollege",
une bourse de 100 000 dollars à des
étudiants qui choisissent de créer leur
entreprise plutôt que de poursuivre
un cursus scolaire ou universitaire jugé
simplement chronophage. Dans ce
contexte, les cours en ligne sponsorisés
par des groupes privés peuvent représenter
l'une des formes de l'enseignement
du futur...

“Il existe une vraie montée de l'autodidactie
et les Mooc – dans toutes leurs variantes –
interrogent le modèle de l'école, qui doit
désormais se demander ce que le présentiel
apporte en termes de plus-value", estime
Stéphane Diebold. Une remarque qui
vaut pour les universités d'entreprise.
“Désormais, le savoir revient aux apprenants,
qui reprennent le pouvoir. Les Mooc
et les Cooc qui fonctionneront seront ceux
qui généreront des communautés apprenantes,
analyse le président de l'Affen.
L'enjeu pour la formation, en entreprise ou
ailleurs, ce sont désormais les « écosystèmes
apprenants » autour de la donnée disponible.
La donnée, c'est l'avenir !"

Notes   [ + ]

1. Organisme de formation entièrement à distance
fondé en 2006 par Salman Khan, qui fut précepteur
de mathématiques des enfants de Bill Gates.
https://fr.khanacademy.org
2. Fondé en 2006 par Michel Diaz et Aude
Dellacherie, Féfaur est un cabinet d'études et de
conseil e-learning français. www.fefaur.com
3. Association nationale des DRH
4. Modèle pédagogique théorisé par Morgan McCall,
professant que 70 % des connaissances en entreprise
s'acquièrent par le travail lui-même, 20 % par le biais
des pairs et 10 % seulement par la formation.
5. La FOAD est difficilement imputable. Seule une
circulaire DGEFP (2001) définit actuellement une
action de formation au titre de la FOAD.
6. L'Inffo n° 834, p. 34.