Michèle Guerrin, pionnière du e-learning

Par - Le 15 juin 2014.

À la voir tenir son stand en pull et jean au
milieu d'une convention e-learning, perdue
entre des commerciaux lookés “Kooples" [ 1 ]Marque de prêt-à-porter haut de gamme française.,
occupés à comparer la taille de leurs applis
smartphones avec la même intensité jalouse
que Patrick Bateman et ses collègues yuppies
échangeaient leurs cartes de visite dans
American Psycho, on pourrait penser qu'elle
s'est trompée d'endroit. Surtout, on peine à
imaginer qu'on se trouve en face de l'une des
pionnières françaises en matière de formation
“online", elle qui avoue détester cet usage du
franglais qui semble inextricablement liée au
milieu. “Houlà ! Évitez de lui parler en langage
business, ça la met en rogne !", avertit une
proche. Ce que la principale intéressée
confirme bien volontiers : “Ces codes de
communication, ces éléments de langage,
cet assemblage de mots stériles destinés à
faire de la com', franchement, ça me hérisse."
Elle, c'est Michèle Guerrin, fondatrice et
directrice d'Onlineformapro, l'un des premiers
prestataires de services e-learning du marché
français, fondé en 1999, à une époque où
il était impossible d'allumer sa télé sans
entendre quinze fois prononcer le mot
“start-up"... par ces mêmes commentateurs
qui n'ont pas su prévoir l'éclatement de la
bulle internet quelques mois plus tard, en
mars 2000. “À l'époque, on a à peine eu le
temps de bénéficier de notre image de start-up
que le Nasdaq2 s'écroulait", se souvient cette
ancienne prof de sport devenue, par vocation,
enseignante en classes de pré-apprentissage
dans les années 1970.

30 ans après
“Informatique pour tous"

L'éclatement de la bulle n'a d'ailleurs pas
été le premier “plantage" du monde des
NTIC auquel elle fut confrontée, elle qui,
dans le cadre du plan “Informatique pour
tous" − initié en 1985 par le gouvernement
de Laurent Fabius, avec l'ambition de former
11 millions d'élèves à l'outil informatique −
s'est retrouvée à dispenser des cours de
langage Goto sur des Thomson MO5 déjà
obsolètes au moment de leur achat par
Michèle Guerrin,
pionnière du e-learning
l'Éducation nationale, alors même que
les Amstrad CPC et autres Commodore
Amiga – plus performants et surtout moins
chers ! − révolutionnaient l'informatique de
salon. “L'idée de départ était bonne, mais
on a voulu transformer les enseignants en
programmeurs, ce qu'ils n'étaient pas, avec
une pédagogie inexistante", regrette-t-elle.

[ 2 ]Toujours rappeler
la place de la pédagogie

Une nécessaire pédagogie qu'elle n'a
jamais voulu sacrifier sur l'autel de la
technique et des effets de mode. “Chez
elle, c'est une position de principe, explique
Michel Diaz, directeur de Féfaur, cabinet
d'études et de conseil e-learning sur le
marché français. Au-delà des modes et
des évolutions techniques, elle est amenée
à rappeler régulièrement la place de la
pédagogie dans toute stratégie e-learning
et son importance dans le parcours de
l'apprenant. Certains l'oublient, mais c'est
elle qui a raison et elle le dit avec son francparler."
Un langage direct qui l'amena, dans
une tribune datée de 2006, à vitupérer contre
“l'invasion du marché du e-learning" par
des e-consultants “sans expérience et sans
maîtrise des outils", au point de provoquer
une polémique avec Adrien Ferro, président
de Novantura, association de promotion de la
formation ouverte et à distance.

“Le côté start-up
à la campagne"

Femme de principe, la patronne
d'Onlineformapro n'a jamais non plus
transigé sur son attachement à Vesoul, la
ville où elle a enseigné et où elle fonda
son entreprise, à l'époque avec un simple
modem 64k. Vesoul où l'ADSL n'est arrivé
qu'en 2003 et le très haut débit en juin
2013. Vesoul où elle confesse également
avoir eu du mal à attirer de hauts diplômés
en informatique lorsqu'Onlineformapro
– qui compte désormais 67 salariés – s'est
développée (sans jamais avoir eu de service
commercial) autour de premiers grands
comptes comme Sony ou la Société Générale.
“Le côté « start-up à la campagne » a pu
attirer certains profils, mais notre effectif
n'a jamais compté de diplômés des grandes
écoles parisiennes ou lyonnaises, c'est vrai."
Cela n'a pas empêché la PME franc-comtoise
de se placer en permanence sur le terrain
de l'innovation, comme en témoigne le
lancement, en mars 2014, de la première offre
e-learning à financement participatif sur le
marché français, développée en partenariat
avec My Major Company. Une originalité au
milieu des habituels contenus sur étagère que
l'on trouve habituellement dans les gammes
e-learning.

D'autres innovations à l'horizon ? Sans
doute, mais ce sont peut-être sa fille, son
fils et une “task force" de jeunes salariés
d'Onlineformapro qui seront amenés à les
imaginer, en remplacement d'une fondatrice
de 67 ans tentée par la retraite. “Même si
j'aurai du mal à décrocher."

Notes   [ + ]

1. Marque de prêt-à-porter haut de gamme française.
2. Toujours rappeler
la place de la pédagogie