Tati : un “Campus Pro" pour une renaissance chic

Par - Le 01 août 2014.

340 managers concernés par un
programme de formation certifiant.
“Campus Pro", lancé par le
groupe Tati et le Forco (l'Opca du
commerce et de la distribution),
le 17 juin dernier, accompagne
la mue qualitative et marketing
de l'enseigne, qui, abandonne le
marché de la “fringue" déstockée
pour investir celui de la marque
griffée de créateur. Mais “toujours
à prix bas".

Du “bac de fouille"...

Une semaine auparavant, le
13 juin, sur la scène du Stade
de France, à l'occasion de
l'unique concert français de
la tournée d'adieu des Rolling
Stones. Avisant le blouson
rouge, le T-shirt jaune et les
baskets assorties du guitariste
Ron Wood, Mick Jagger chambrait
son vieux collègue en lui
lançant − en français dans le
texte ! − “T'as fait du shopping
chez Tati ?" Un signe qu'au-delà
de l'anecdote, la marque Tati,
qui souffle ses 66 bougies cette
année, demeure encore associée
dans l'imaginaire collectif
à la “fripe discount" et à la revente
de collections déstockées
dans les “bacs de fouille" de ses
enseignes, dont la plus célèbre
reste celle du boulevard Barbès,
à Paris.

... au “concept store"

Or, ce n'est plus le cas. L'enseigne,
qui aurait pu disparaître en 2004,
puis en 2007 avant d'être rachetée
par Éram, a fait le choix,
depuis 2010, d'investir le marché
de la fast fashion − c'est-à-dire
des collections originales griffées,
renouvelées rapidement −,
déjà investi par d'autres marques
comme Zara ou H&M, en recrutant
une centaine de stylistes et
de créatifs au sein de son atelier
de la Plaine-Saint-Denis. Un
changement stratégique qui s'est
accompagné du lancement de
son site de vente en ligne Tati.fr
en 2011 (20 000 références par
an ; près de 500 renouvellements
chaque semaine), puis, deux
ans plus tard, de l'ouverture de
ses premiers magasins XXL. Les
“bacs de fouille" disparaissent au
profit de rayonnages davantage
orientés “concept store" qui, tout
en proposant toujours des produits
à prix réduits, misent désormais
davantage sur la fidélisation
du client et l'identification d'une
marque de créateur, loin de la friperie
en gros. À ce jour, près de
70 % des 129 points de vente de
la marque ont été rénovés pour
coller à la nouvelle stratégie du
groupe.

Des responsables
de magasin issus
du terrain


Pas simple, cependant, d'assurer
un tel changement auprès
des 2 000 collaborateurs de
l'enseigne en France, dans un
contexte de faible turn-over des
salariés (entre 7 et 10 %) et où
80 % des managers – responsables
de magasin ou adjoints –
sont issus du terrain, souvent
sans diplôme et, donc, sans
nécessairement les connaissances
marketing adaptées au
nouveau modèle économique de
la marque.
“Ce qui se passe chez Tati depuis
quatre ans n'est rien d'autre
qu'une renaissance", avouait
d'ailleurs Emmanuel Deroude,
directeur général de l'enseigne
depuis 2011, le jour du lancement
officiel du programme
Campus Pro. Presque l'occasion
d'une célébration d'anniversaire,
puisqu'un an jour pour jour
auparavant, la marque lançait
un autre campus, Agora, son
école de formation interne. Une
première pour un groupe où les
compétences, jusqu'alors, s'apprenaient
essentiellement sur le
tas et où le plan de formation habituel
dépassait rarement l'obligation
légale. Ce n'est d'ailleurs
qu'en 2013 qu'une première promotion
de vingt alternants a pu
intégrer le groupe par le biais du
contrat de professionnalisation,
dans le cadre d'un partenariat
engagé avec le CFA Stephenson,
spécialisé dans le commerce et la
distribution.

6 millions d'euros
sur la table

Ce même CFA a d'ailleurs été
mis à contribution dans le cadre
de Campus Pro afin de déterminer
un programme de formation
adapté aux deux titres certifiants
(manager d'univers marchand,
de niveau III, pour les responsables
de magasin, responsable
de rayon, de niveau bac + 2, pour
leurs adjoints, niveau bac/bac
+ 1) reconnus par le ministère du
Travail, sur lesquels Tati engage
ses 340 managers.
“Les managers entament leur
cursus de formation dès maintenant,
le cycle de leurs adjoints
débutera à la prochaine rentrée
de septembre", explique Nadège
Plou, la DRH de l'enseigne. Si
l'objectif est de changer le paradigme
d'une “marque mythique",
l'investissement est à la hauteur,
puisque près de 6 millions d'euros
ont été mis sur la table pour
financer ce programme de formation,
dont 2,5 par le Forco.

“Anticiper la mise en
pratique de la réforme
de la formation"


L'Opca ne s'est d'ailleurs pas
contenté de signer le chèque,
puisqu'il a participé activement
à la conception du cursus.
“C'est un grand projet de formation
qui s'inscrit dans un grand
projet d'entreprise, témoigne
Yves Georgelin, délégué général
du Forco. Pour nous, ce type
d'innovation anticipe la mise en
pratique de la réforme de la formation
et incarne le futur rôle
d'ensemblier de la formation qui
sera celui des Opca à partir de
2015, où il ne s'agira plus simplement
de financer les actions de
formation, mais de participer à la
conception des actions."

Deux journées
d'absence par mois
pour les stagiaires

Au programme, 378 heures de
formation réparties sur dixhuit
mois pour les managers
et 350 dans le même laps de
temps pour leurs adjoints, dont
80 heures en e-learning, au
travers d'une plateforme accessible
par tablettes développées
par l'éditeur Crossknowledge.
Le tout réparti en 12 modules
de formation, consacrés tant
aux pratiques RH qu'à l'accueil
client, au merchandising, au
management, à la maîtrise
des outils informatiques ou
encore à la démarque produits.
“Concrètement, cela se traduira
par deux journées d'absence
par mois pour les stagiaires.
Évidemment, nous avons tenu
à éviter les périodes de forte
activité, comme les fêtes de
fin d'année", précise la DRH de
l'enseigne. Un programme plutôt
bien perçu par les instances
représentatives du personnel du
groupe au plan national. “Ils craignaient
surtout que tous les salariés
concernés n'y soient pas éligibles
et qu'il puisse exister des
différences de traitement selon
les villes et les boutiques, mais
dès que nous leur avons assuré
que l'égalité de traitement serait
garantie, ils nous ont suivis",
annonce Emmanuel Deroude.

Changement radical
d'image de marque


En province, toutefois, on regrette
le manque de communication
autour de Campus Pro.
“Si l'idée de Campus Pro semble
intéressante, il est dommage que
certains salariés y ayant postulé
n'aient pas reçu de nouvelles de
leur candidature", estime ainsi
Michelle Ambroise, ancienne déléguée
FO à Marseille. “Au-delà,
d'une manière générale, nous
manquons d'information sur les
changements stratégiques de la
marque. Le nouveau concept de
Tati n'est pas encore très connu",
regrette-t-elle.

L'initiative, en tout cas, semble
suivie de très près par le groupe
Éram qui pourrait bien choisir de
la décliner dans d'autres entités.
Pour l'ancien fripier de Barbès, la
nouvelle donne prend des allures
de changement radical de culture
et d'image de marque. Ainsi, Tati
envisage prochainement d'ouvrir
plusieurs de ses nouveaux
concept stores en direction des
classes moyennes des Émirats et
d'Arabie Saoudite en jouant sur
la qualité made in France. À prix
maîtrisés, évidemment.