L'“action participative" au coeur de l'apprentissage

Par - Le 01 août 2014.

Symbole vivant de l'insertion des jeunes, Bertrand Schwartz a aujourd'hui 95 ans. Ses intuitions et
ses expérimentations pédagogiques − participation, échanges, mutualisation − restent plus que jamais
d'actualité, comme le sont sur le terrain les Missions locales, qu'il a fondées

Quelle place accorder à l'apprenant
dans une relation d'apprentissage
? Comment favoriser la
participation des jeunes dans les
politiques d'insertion et de formation
professionnelles ? C'est à ces questions
qu'ont voulu répondre la centaine
de participants − dont des jeunes,
des professionnels et élus de Missions
locales et leurs partenaires − aux premières
rencontres de l'Institut Bertrand
Schwartz, organisées le 26 juin dernier
à l'Université Paris-Dauphine, en
partenariat avec l'Union nationale des
Missions locales (UNML).

“Décider d'être acteur de
son propre changement"

“La réponse à ces questions réside dans la
démarche développée pendant de longues
années par Bertrand Schwartz. Celleci
place l'action participative au centre
de l'apprentissage", a indiqué Hervé
Sérieyx, ancien délégué interministériel
à l'insertion des jeunes. “L'idée centrale
de la démarche de Bertrand Schwartz est
que l'acte de formation, c'est décider d'être
acteur de son propre changement. Il s'agit
de faire en sorte que l'apprenant soit luimême
au coeur de la relation d'apprentissage",
a ajouté Jean-Patrick Gille [ 1 ]Par ailleurs député PS d'Indre-et-Loire., président
de l'Institut Bertrand Schwartz,
et également président de l'UNML.

Formuler les résultats en termes
de “capacités"


En effet, “la participation des acteurs
constitue l'un des fondamentaux qui ont
guidé l'action de Bertrand Schwartz depuis
la réforme de l'École des Mines de Nancy,
entre 1957 et 1966", a rappelé Anne
de Blignières, maître de conférences en
sciences de l'éducation à l'Université
Paris-Dauphine, présidente de l'Institut
supérieur des métiers (ISM), qui a travaillé
pendant longtemps avec Bertrand
Schwartz. “Cette réforme répondait à
la critique de la notion traditionnelle de
« programme de formation » qui intègre de
manière insuffisante les bénéficiaires de la
formation et la valeur d'usage des connaissances
acquises. Elle visait pour l'essentiel
à « rendre les étudiants ingénieurs responsables
de leur formation », en diminuant
la quantité des savoirs académiques et en
formulant les résultats de la formation en
termes de capacités, susceptibles de s'inscrire
dans des situations d'évaluation progressive."

Relation d'apprentissage
“active"


Selon elle, “nous sommes ici dans le
double registre : de la relation d'apprentissage
« active », organisée à partir de
l'action des apprenants et des questions
que cela suscite, et de la recherche de
l'adéquation entre les objectifs, les modalités
de formation. La modalité d'évaluation
est première, le rôle de l'enseignant et
du formateur s'en trouve modifié".

Le “triptyque de la participation"

Bertrand Schwartz considérait que
“tout le secret de l'éducation des adultes
consiste à transformer le vécu en expérience,
les expériences en savoir-faire,
puis les savoir-faire en connaissances, qui
permettent l'autonomie".
Pour lui, la participation des acteurs
reste un principe de la formation des
adultes [ 2 ]Cf. “Rapport sur l'éducation permanente" pour
le Conseil de l'Europe, coproduit avec son équipe en
1980.
. Laquelle, pour être efficace,
doit mobiliser les apprenants sur trois
étapes (le “triptyque de la participation")
: l'“amorce éducative" (d'où vient
la demande de formation ? Qui en
définit les buts et les contenus ? Y a-t-il
échange avec les apprenants ?), la “situation
de formation" (quelle est la modalité
dominante de la formation ? Des formes
d'échange et de mutualisation sont-elles
prévues ?), et l'“issue éducative" (quelle
est la valeur d'usage de la formation ?
Les apprenants sont-ils associés à anticiper
sur ses résultats ?).

Une recherche-action
“participante"


Dans le cadre de chantiers de rechercheaction,
notamment celle consacrée
aux nouvelles qualifications, Bertrand
Schwartz et ses collaborateurs ont réussi
à démontrer combien la participation
des acteurs est le moteur central de production
des résultats. “Développée à l'issue
d'une phase exploratoire qui a permis
de partager le diagnostic avec dirigeants
des entreprises et responsables éducatifs,
cette recherche, à la méthode de travail
novatrice, tente de construire les bonnes
réponses avec l'ensemble des acteurs impliqués,
au sein d'un processus de « rechercheaction
participante »", a rappelé Anne
de Blignières. Qui a insisté sur l'importance
de la complémentarité entre ces
trois notions : la recherche, l'action et la
participation.

Jeunes et tuteurs

L'action quotidienne du jeune et du
tuteur en situation de travail constitue
le noyau dur à partir duquel se
construisent les résultats. “Avec Bertrand
Schwartz, nous plaidions en effet pour
une démarche « co-constructiviste » de
la qualification elle-même et des contenus
de formation : les jeunes identifient
jour après jour avec leurs tuteurs ce qu'ils
peuvent et doivent faire dans l'entreprise
pour maîtriser leurs outils et leurs objectifs
de production, avant de faire eux-mêmes
la demande des compléments de formation
théorique dont ils découvrent la nécessité",
a-t-elle expliqué.

Coproduction des résultats

Les jeunes, les professionnels et les formateurs
participent à la définition des
qualifications et à celle des cursus et
modalités d'apprentissage. Cette “coproduction
des résultats" est “un levier d'action
très actuel pour conduire des projets
dans des contextes de perte des repères. Plus
de trente ans après ma première rencontre
avec Bertrand Schwartz, j'ai pu mesurer
la fécondité des principes de la démarche
« nouvelles qualifications » sur bien
d'autres terrains", a témoigné Anne de
Blignières.

“Continuer ce travail
d'innovation"


Une fécondité qui découle, selon elle,
de la mise en oeuvre de six principes
d'action (voir encadré), “de façon simul
tanée et indissociable, dans la conception
et le pilotage des écosystèmes d'accompagnement
du changement".

Des intuitions émises par Bertrand
Schwartz voici une quarantaine d'années,
et qui n'ont rien perdu de leur
actualité. “Il s'agit de voir comment capitaliser
le travail de Bertrand Schwartz
sur l'insertion des jeunes, a déclaré Jean-
Patrick Gille, en regroupant les personnes
qui ont croisé soit son chemin soit ses
écrits, et surtout ses pratiques, pour continuer
un travail d'innovation sociale et
pédagogique."

SIX PRINCIPES D'ACTION

 La participation, considérée comme “mode de repérage des pratiques, de
coproduction des connaissances et des savoir-faire, communs à l'ensemble des parties
prenantes" ;

 l'écoute, qui consiste à “partir des questions soulevées par les jeunes, les
professionnels, les formateurs, les coordinateurs et les associer activement à la
recherche des solutions, pour revenir ensuite sur le terrain avec des outils qui soient
immédiatement opérationnels" ;

 le consensus, qui permet de “construire de façon progressive et partagée une
vision commune sur les objectifs et les modes d'action, garant de l'appropriation" ;

 un continuum espace et temps, qui permet d'“accompagner l'évolution de la
place des acteurs et leur reconnaissance" ;

 des supports dédiés, pour la mise en oeuvre des questionnaires, des grilles
d'analyse ou d'autodiagnostic permettant de produire de l'information, de la
synthétiser et de la partager ;

 une ingénierie participative, grâce à “l'établissement de mécanismes de
communication régulière et le fonctionnement d'un dispositif où les intéressés peuvent
donner leur avis et être directement parties prenantes de la production et de la
validation des résultats".

PIONNIER DE L'INSERTION DES JEUNES

Bertrand Schwartz, né en 1919, polytechnicien (1939) et ingénieur au corps des
mines, est un pionnier et comme un père fondateur de la formation et de l'insertion.
Il a dirigé en 1960 le Cuces (Centre universitaire de coopération économique et
sociale) de Nancy (organisme créé pour rapprocher l'Université et l'entreprise), puis
fondé en 1963 l'INFA (Institut national pour la formation des adultes). Il a lancé en
1969 Éducation permanente, revue de recherche dans le champ de la formation et
du développement des adultes. Auteur du rapport sur l'insertion professionnelle et
sociale des jeunes remis au Premier ministre Pierre Mauroy, concepteur en 1982
des “Missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes", il fut
de 1983 à 1985 délégué interministériel à l'insertion professionnelle et sociale des
jeunes en difficulté. Il est l'organisateur de la mission “Nouvelles qualifications"
(1989-1993), le fondateur en 1992 de l'association Moderniser sans exclure. Il a
participé à la mise en oeuvre du programme emplois jeunes (1997-2002).

Notes   [ + ]

1. Par ailleurs député PS d'Indre-et-Loire
2. Cf. “Rapport sur l'éducation permanente" pour
le Conseil de l'Europe, coproduit avec son équipe en
1980.