Le dernier des délégués à l'orientation

Par - Le 01 septembre 2014.

Avec le départ à la retraite de Jean-Robert Pitte, la fonction de “DIO" a pris fin ce 12 août.
Du “délégué interministériel à l'orientation" au “délégué à l'information et à l'orientation", retour
sur une fonction créée voici huit ans, analysée sans fard par le dernier de ses quatre titulaires.

Créée par amendement de la loi
du 24 novembre 2009 relative
à l'orientation et à la formation
professionnelle tout au long
de la vie et enterrée par la loi du
5 mars 2014 relative à la formation
professionnelle, à l'emploi et à la démocratie
sociale, la fonction de délégué
à l'information et à l'orientation
auprès du Premier ministre (DIO) a
pris officiellement fin ce 12 août avec
le départ à la retraite de Jean-Robert
Pitte. Freiné dans ses élans réformateurs
dès 2012 par l'ancienne majorité,
quasiment ignoré depuis, il nous
explique avoir tenté jusqu'au bout de
“faire bouger les lignes" et revient sur
les difficultés rencontrées.

Savoir “surmonter les frictions
institutionnelles"


La politique d'orientation devait être
mise en oeuvre par un délégué disposant
de “l'expérience, du poids et
de l'autorité politique lui permettant,
notamment, de transcender les divergences
interministérielles et de surmonter
les frictions institutionnelles que les
réformes à venir risquent de susciter". Et
si ces quelques mots, extraits du rapport
sur le développement de l'orientation
professionnelle tout au long de
la vie commandé en 2009 par Laurent
Wauquiez à Françoise Guégot [ 1 ]Députée UMP de la Seine-Maritime., suffisaient
à résumer, au-delà des résultats,
ce que fut le parcours de Jean-Robert
Pitte ?

Au confluent de deux
grands ministères


Car, pour celui qui aura réussi à exporter
la Sorbonne à Abou-Dhabi, à
créer l'Université inter-âges ou à arracher
le classement de la gastronomie
française au “Patrimoine immatériel"
de l'Unesco [ 2 ]À lire : “Jean-Robert Pitte : géographe,
gastronome et DIO", L'Inffo n° 800, novembre 2011.
, la réforme de l'orientation
n'aura pas été une sinécure.
Pas plus qu'elle ne l'avait été pour les
premiers titulaires du poste de délégué
interministériel à l'orientation,
créé en 2006 : d'abord, Pierre Lunel,
ancien président de l'Université Paris-
VIII, nommé en septembre 2006 et
remplacé en juillet 2007 par Bernard
Thomas, ex-directeur de cabinet du
ministre de l'Éducation nationale
Gilles de Robien [ 3 ]Bernard Thomas a plus tard été médiateur, puis
conseiller auprès du ministre de l'Éducation nationale
Luc Chatel (2009-2011).
, qui démissionna fin
2007. “Le problème, se souvient Jean-
Robert Pitte, c'est que, bien qu'étant
issu du cabinet, il n'était pas responsable
de l'orientation et s'est trouvé confronté
au blocage de celui qui en avait la
charge et qui ne voulait pas d'une coopération
trop forte entre le ministère de
l'Éducation nationale et le ministère du
Travail et de l'Emploi."

Huit mois de vacance

Si l'anecdote n'est sans doute pas pour
rien dans le fait que le DIO version
loi de 2009 a, lui, été rattaché directement
auprès du Premier ministre,
les difficultés de l'interministériel n'en
ont pas moins perduré : “Cela a été un
gâchis monumental et l'une des causes,
non pas d'échec, mais du fait que nous
avons eu 144 territoires labellisés alors
que nous aurions pu couvrir toute la
France en un an", regrette Jean-Robert
Pitte. Preuve qu'avant même le rattachement
au Premier ministre, le poste
de DIO a toujours suscité l'embarras,
le dernier délégué interministériel à
l'orientation, Bernard Saint-Girons,
ne fut nommé que fin août 2008, soit
après huit mois de vacance du poste
délaissé par Bernard Thomas.
Sans avoir jamais reçu de lettre de mission,
Bernard Saint-Girons n'en fut
pas moins l'un des artisans de la rénovation
du poste, qu'il occupa jusqu'à
atteindre la limite d'âge, à la fin de
l'année 2010. Nommé par François
Fillon en juin 2010, Jean-Robert Pitte
recevait, lui, sa lettre de mission en
août, quelque peu freiné dans son exécution
par des textes d'application qui
ne parurent qu'en mai 2011.

Un environnement
“peu réceptif"


Alors qu'il vient de quitter ses fonctions,
Jean-Robert Pitte indique luimême
que sa mission avait été amoindrie
dès 2012. D'abord au mois de
janvier, date à laquelle la campagne de
promotion du “service public dématérialisé",
pourtant financée, a été stoppée
sur ordre de Matignon pour cause
de campagne présidentielle, et dès l'été
2012, date à laquelle il lui aurait été demandé
d'arrêter – oralement – la promotion
des labellisations Orientation
pour tous.

Exception faite de Nadine Morano et
de Thierry Repentin lorsqu'ils étaient
en charge de l'apprentissage et de la
formation professionnelle, Jean-Robert
Pitte ne conserve pas le souvenir d'un
environnement réceptif à sa mission
et ne se prive pas de souligner, au-delà
du “tir de barrage" de la FSU, l'absence
de soutien des cabinets ministériels
et du Premier ministre de l'époque,
François Fillon : “Avec un DIO rattaché
au Premier ministre, nous aurions
normalement dû avoir des conseillers des
différents ministères chargés de l'orientation
qui travaillent en plein accord sous
la coordination du DIO, mais honnêtement,
cela n'a jamais été le cas !"

“L'Éducation nationale
dans sa tour d'ivoire"...


Pour autant, Jean-Robert Pitte reste
convaincu de la qualité du travail effectué
avec son équipe, notamment soldé
par les 144 labellisations territoriales
Orientation pour tous. Et alors qu'il
y voit la preuve que “des certitudes ont
été fissurées", il se montre d'autant plus
“attristé" du revirement opéré par la
loi du 5 mars 2014. Elle a, à ses yeux,
“remis l'Éducation nationale dans sa tour
d'ivoire". Et n'a “pas osé imposer aux
centres d'information et d'orientation
(CIO) de s'intégrer au service public de
l'orientation".

... la méfiance à l'égard
des Régions...


Évoquant aussi les nouvelles responsabilités
confiées aux Régions, il rappelle
avoir plaidé au Conseil national de la
formation professionnelle tout au long
de la vie (CNFPTLV), lors de la discussion
des textes d'application de la loi de
2009, pour que les arrêtés de labellisation
soient signés conjointement par le
préfet et le président de Région : “On
me l'a refusé très durement."
Analyse de l'ancien DGEFP [ 4 ]Délégué général à l'emploi et à la formation
professionnelle.
, Bertrand
Martinot : “Le poste de DIO était fondamentalement
une erreur. J'ai été très
clair avec lui et je lui ai dit qu'il n'avait
pas les moyens de sa mission, tout simplement
parce qu'il n'avait pas de véritable
équipe, pas de budget et pas d'autorité
politique qui le soutenait." Surtout,
Bertrand Martinot en est convaincu :
“L'interministérialité s'organise avec un
Premier ministre fort, et non par l'ajout
d'une strate administrative qui coordonne
les administrations."

... et la résistance de la FSU

Enfin, et sachant qu'il n'aura pas de
successeur, Jean-Robert Pitte se montre
dubitatif quant à la capacité du Conseil
national de l'emploi, de la formation
et de l'orientation professionnelles
(Cnefop) d'assurer la coordination du
service public de l'orientation, en lieu
et place d'un délégué auprès du Premier
ministre qui, s'il est “réellement appuyé
par le gouvernement, a plus de poids
qu'un organisme qui comprend autant de
membres", analyse-t-il. Soulignant que
ce n'est pas sa fonction qui est confiée
au Cnefop, il regrette surtout qu'il n'y
ait “plus de vraie structure de coordination,
avec une loi obligeant à travailler
main dans la main". Et, là encore, il livre
son scénario : “Dès que Vincent Peillon (à
l'Éducation), George Pau-Langevin (à la
Réussite éducative) et Geneviève Fioraso
(au Supérieur et à la Recherche) ont été
nommés, la FSU est montée au créneau
pour dénoncer une loi scélérate et réclamer
un retour aux missions d'information sur
la formation, et surtout pas sur l'insertion
professionnelle." Et d'estimer : “C'est un
grand gâchis, mais on y reviendra, je ne
vois pas d'autres solutions !"

Sollicité par personne

Reste que Jean-Robert Pitte aura tout
de même vécu une fin de mission surprenante.
Malgré près de quatre années
passées à rencontrer les acteurs sur l'ensemble
du territoire, personne n'aura
cherché à profiter de cette expérience
dans le cadre des travaux de refondation
de l'orientation : absent des discussions
dans le cadre de l'expérimentation du
service public régional de l'orientation,
absent du groupe de travail sur l'orientation
piloté par le ministère de l'Éducation
nationale, absent du groupe
de travail sur les outils et ressources
de l'orientation coordonné par le
CNFPTLV. “Ce n'est pas faute de l'avoir
proposé, répond-il. Mais ce n'est que le
10 juillet que mon adjointe [ 5 ]Micheline Hotyat, ancien recteur de Caen. a été reçue
au CNFPTLV pour répondre à un certain
nombre de questions sur notre manière de
travailler. C'est très bien, mais c'est bien
tard…"

Notes   [ + ]

1. Députée UMP de la Seine-Maritime.
2. À lire : “Jean-Robert Pitte : géographe,
gastronome et DIO", L'Inffo n° 800, novembre 2011.
3. Bernard Thomas a plus tard été médiateur, puis
conseiller auprès du ministre de l'Éducation nationale
Luc Chatel (2009-2011).
4. Délégué général à l'emploi et à la formation
professionnelle.
5. Micheline Hotyat, ancien recteur de Caen.