“Campus régionaux" ou “écoles de métiers" : quel modèle de formation pour ERDF ?

Par - Le 01 septembre 2014.

Les premiers “campus métiers" d'ERDF (Électricité réseau distribution France), inspirés du modèle
de Veolia, sont sortis de terre voici un an. Une initiative qui, aux yeux de la CGT – syndicat
majoritaire du groupe – ne s'inscrit pas dans la tradition d'une maison dont la formation interne
est une valeur historique

Les difficultés de redressement de la
France ne doivent pas nous empêcher
de proclamer que les installations
électriques sont parmi
les meilleurs capitaux. En un an, une
usine hydroélectrique, une ligne à haute
tension produisent ou transportent une
quantité d'énergie supérieure à celle du
charbon utilisé pour fabriquer les matériaux
entrant dans leur édification.
Au-delà, tout est bénéfice. Quel organisme
au monde rembourse si vite à son
prêteur ? Une équipe d'hommes dynamiques
a reçu la mission de compléter
l'instrument énergétique de la France.
[…] Pionniers, constructeurs, grands
administrateurs, agents d'exécution et
d'exploitation rompus aux méthodes
actives de l'industrie et du commerce,
ces hommes n'ont pas encore été gangrénés
par un esprit trop « administratif
» au sens péjoratif du mot. Laissonsles
travailler en paix..." Du Arnaud
Montebourg dans le texte ? Perdu.
Lorsque Lucien Babonneau
écrivait, en 1949, cette préface
à son ouvrage Énergie électrique
en France, les six turbines
de 66 mégawatts chacune
du barrage de Génissiat,
sur le Rhône, venaient à peine
d'être inaugurées.

Une longue histoire

Entre le secteur de l'énergie
français, la formation continue
sous toutes ses formes et
la promotion, c'est une longue
histoire d'amour, qui a débuté
dès les années 1940 et l'ouverture
des premières écoles de
métiers. Elles avaient pour
mission non seulement de former
au poste de travail, mais
aussi de promouvoir une culture d'entreprise.
Certaines ont fermé depuis
(Versailles, Soissons-Cuffies, Gurcyle-
Chatel...), d'autres existent toujours
et continuent d'assurer la formation
des futurs électriciens et gaziers : La
Pérollière (Rhône), Saint-Affrique
(Aveyron), Sainte-Tulle (Alpes-de-
Haute-Provence), ou Nantes-Montluc
(Loire-Atlantique).

Autant de noms qui, pour les anciens
réunis au sein de l'Amicale Énergies,
valent bien le prestige et le réseau
des annuaires des grandes écoles. “Je
suis un véritable produit fabriqué maison
! J'ai intégré l'école des métiers de
La Pérollière en 1968", se souvient
Christian Poncet, aujourd'hui délégué
interrégional d'EDF pour l'Aquitaine,
le Midi-Pyrénées et le Limousin, dans
les colonnes du bulletin de l'association.
Dix-huit mois de formation en
moyenne et des agents immédiatement
opérationnels sur le terrain à
l'issue de leur cursus, c'était le schéma
traditionnel des centres de formation
du secteur.

La dilution du système
de formation commun


Depuis, les structures ont changé, notamment
pour appliquer les directives
européennes et s'adapter à l'ouverture
des marchés de l'énergie. Côté électrique,
EDF a cédé la place à trois
entités (EDF, son distributeur ERDF
et le transporteur RTE) alors que Gaz
de France, en sus de la fusion avec
Suez en 2008, s'est éclatée entre GDFSuez,
GRDF (distribution), GRT Gaz
(transport) et Storengy (conception-exploitation
de sites industriels). Autant
d'entreprises que d'activités spécifiques
qui ont vu la dilution du système de
formation permanente commun à tout
le groupe en autant d'entités.

Dans la partition des sites, ERDF a
récupéré les “historiques" sites de La
Pérollière et de Sainte-Tulle, en sus
d'autres centres plus récents comme
Lille-Croix (Nord) ou Ottmarscheim
(Haut-Rhin). Nantes-Montluc est
tombé dans l'escarcelle de GDF.
Démantèlement pour Sainte-Affrique.
Plus tant des écoles de métiers que
des centres de formation gérés par de
nouvelles directions : l'Unité opérationnelle
de formation (UOF) pour
ERDF ; Unité de formation production
ingénierie (Ufpi) pour EDF.

Une politique formation
relancée par voie d'accords


Cependant, en dépit des changements
organisationnels, le développement des
politiques formation s'est poursuivi
autour d'un certain nombre de négociations,
la formation étant un enjeu
historique majeur pour les organisations
syndicales au sein des industries
électriques et gazières. Accord apprentissage
en 2008 ; accord formation et
accord “Défi" en 2010 ; accord GPEC
en 2012... tous signés par la fédération
mines-énergie CGT (FNME) qui pèse
51 % des voix au sein du comité central
d'entreprise (CCE).

“Nous avons considéré que tous ces
textes, qui reprenaient en partie nos
propositions, étaient susceptibles de renforcer
la capacité d'ERDF à relever ses
nouveaux défis historiques", explique
Frédéric Montaron, président de la
commission formation au sein du
CCE du groupe.

Nouveaux défis induits par la transition
énergétique, la croissance de
la production photovoltaïque ou éolienne,
le développement des “réseaux
électriques intelligents" (smartgrids)
ou le remplacement des vieux compteurs
électromécaniques ou électroniques
par les compteurs communicants
Linky (36 millions de compteurs
à changer au total).

Papy-boom et hémorragie
de savoir-faire


Problème : si la maison Électricité
de France est âgée... ses salariés également.
À en croire la pyramide des
âges interne, près de 15 500 agents
d'ERDF partiront en retraite dans les
dix ans à venir, soit près de 43 % de
l'effectif global. Conséquence naturelle
de la forte politique de recrutement
opérée dans les années 1980,
près de la moitié des cadres et des
agents de maîtrise de l'entreprise la
quitteront dans la prochaine décennie,
emportant leurs compétences
avec eux.

Faire face à la future hémorragie de savoir-
faire, c'est l'objectif du plan Défi
formation (commun à ERDF, EDF et
RTE), lancé en 2010.

Le plan Défi formation

Au programme, “l'accompagnement de
notre stratégie industrielle par une politique
de ressources humaines ambitieuse
et novatrice", comme l'annonçait le
président Henri Proglio en novembre
2010. Et un vaste développement des
compétences – EDF consacre 8 % de
sa masse salariale par an à la formation
– passant notamment par la création
de “campus EDF" en régions,
sur le modèle de ceux déjà développés
quelques années plus tôt chez Veolia
sur un modèle “trans-pédagogique",
où l'intégralité des publics concernés
par la formation (alternants, apprentis,
salariés, cadres, etc.) se côtoient
entre des mêmes murs. Au sein de
ces nouveaux centres, les sessions de
formation ne sont ainsi plus assurées
par des formateurs de l'UOF – près
de 800 en tout – mais par des professionnels
déployés face aux stagiaires
après une semaine de formation à la
pédagogie, et aussi par des prestataires
extérieurs à ERDF.

Des “campus" partout

Une première expérimentation à
Champigny, en Île-de-France, a été
suivie par l'inauguration du premier
Campus à Ploërmel (Morbihan) de
8 000 m2, en juin 2013. Puis Lisieux,
Bruay, Douai, Marly, Châlons-en-
Champagne, Nancy, Châteauroux,
Limoges, Pessac, Tarbes, Saint-
Raphaël... Pas loin d'une vingtaine,
sortis de terre comme des champignons.
La FNME-CGT exige désormais
un moratoire sur ce développement.
“On déstabilise le système de formation
d'ERDF", juge Frédéric Montaron.

Pour de “nouvelles écoles
de métiers"


A l'UOF, on préfère, pour l'heure, ne
pas se prononcer sur la situation avant
le premier CCE de la rentrée, qui devrait
avoir lieu en septembre et où sera
présenté le premier audit des campus
régionaux. Des campus dont la CGT
peut trouver l'existence pertinente dans
les zones géographiques jusqu'alors peu
maillées par le réseau ERDF (le sudouest),
mais auxquels elle souhaite
substituer des “nouvelles écoles de
métiers".

Un modèle pertinent, selon elle, pour
former les jeunes recrues à l'ensemble
du spectre des tâches qui leur incomberont
au sein de l'opérateur, mais
aussi pour continuer à assurer la promotion
sociale des agents (ainsi que
ceux de la sous-traitance), assurer
une politique d'alternance de qualité
au sein du groupe et transmettre la
culture d'entreprise. “Elle ne se transmet
pas uniquement par les managers,
mais aussi par les collègues et par la formation
dès lors que celle-ci n'a pas pour
seul objectif de transmettre des compétences
techniques, mais aussi sociales",
estime le syndicat.

Un objectif pas si éloigné, finalement,
de celui affiché par Henri Proglio,
qui ambitionnait qu'EDF “redevienne
un exemple d'ascenseur social dans un
monde en pleine mutation". Les discussions
qui reprendront en septembre
devraient déterminer quel modèle
l'emportera finalement au sein du
groupe électrique.