Des pratiques pédagogiques innovantes pour former les fonctionnaires territoriaux

Par - Le 15 septembre 2014.

Plus de 230 métiers sont exercés par quelque 1,8 million de fonctionnaires publics territoriaux.
Établissement public à caractère administratif, le Centre national de la fonction publique territoriale
assure la formation de 830 000 stagiaires par an. Son directeur de l'ingénierie y orchestre un large
réseau d'échanges de bonnes pratiques.

Sans faire de bruit, sans déclaration
fracassante, le Centre national
de la fonction publique
territoriale (CNFPT) poursuit
la transformation de ses pratiques
pédagogiques, réalisée dans la
visée de son projet national de développement
(PND).

Celui-ci “est plus particulièrement axé
sur les grandes causes (développement
durable, égalité hommes-femmes, prévention
des risques psychosociaux, lutte
contre l'illettrisme et contre les discriminations),
les agents de la filière
technique et les publics bénéficiant de
moins de formation, car ils sont excentrés
géographiquement des lieux de formation
ou moins bien repérés", explique
Denis Cristol, directeur de l'ingénierie
et des dispositifs de formation de
cette institution qui assure la formation
des 1,8 million de fonctionnaires
publics territoriaux répartis sur plus
de 230 métiers, et qui accueille plus
de 830 000 stagiaires chaque année.
En effet, diversifier les pratiques
pédagogiques est aussi un moyen
d'“impulser les valeurs de service public",
d'“approfondir la capacité à être
une école de la deuxième chance, parce
que ce moyen permet de toucher chacun
dans sa façon singulière d'apprendre".

Projet de modernisation
pédagogique


Selon Denis Cristol, qui cite Norbert
Alter, sociologue français spécialiste de
l'innovation, de la coopération et de la
diversité dans l'entreprise et les organisations [ 1 ]Norbert Alter est professeur de sociologie à
l'Université Paris-Dauphine et membre du laboratoire
“Dauphine Recherche en management" (DRM).
,
“l'innovation est un processus
très lent, qui nécessite une appropriation
par le corps social. Elle butte sur l'ordre
établi et suppose une rupture. L'activité
d'innovation n'est ni prévisible ni prescriptible.
Elle correspond à un besoin de
reconnaissance sociale. L'action innovatrice
s'appuie sur des croyances".
En pédagogie, rappelle-t-il, la perception
de Norbert Alter est très importante.
Et la fonction publique territoriale
l'a bien intégrée dans son projet de
modernisation pédagogique.

Multiplication des initiatives

Ainsi, explique le directeur de l'ingénierie
du CNFPT, “notre démarche de
transformation des méthodes pédagogiques
s'est traduite par une diversification des
approches et par des innovations technologiques"
: formation à distance, “communauté
en ligne d'apprentissage" des
secrétaires de mairie, serious game sur le
développement durable, mise à disposition
d'un “kit élection" ouvert au public,
généralisation de classes virtuelles
et de visioconférences.
Une “base de connaissances" a été
créée sur le “monde public territorial"
– le “wiki-territorial". S'y ajoutent une
vidéothèque, et la mise en place de
“nouvelles approches de groupe : cercle
d'étude, groupe de codéveloppement,
groupe d'échange des pratiques, worldcafé,
tables apprenantes".

Implication de tous

Cette transformation des pratiques
pédagogiques est encouragée à tous
les niveaux de l'organisme public de
formation. Elle “part souvent d'initiatives
locales pour créer des stages ou des
offres d'itinéraires répondant, sur mesure,
aux besoins des collectivités territoriales
d'implémenter de nouvelles politiques
publiques", précise Denis Cristol. Ainsi,
par exemple, dans le cadre de la réforme
des rythmes scolaires, la transformation
répond à la nécessité de tester et
expérimenter de nouvelles approches
de la formation.

Mais il s'agit aussi de renouveler la façon
d'accueillir des publics, ou de promouvoir
un management durable. De
nombreuses initiatives sont prises pour
assurer la formation des bénéficiaires des
emplois d'avenir, tout cela au plus près
des territoires.

L'“offre nationale harmonisée"...

La transformation est aussi encouragée à
l'échelon national, qui impulse une démarche
d'“offre nationale harmonisée"
et une “coopérative pédagogique". La
méthode ambitionne de favoriser une
multitude d'initiatives.
“Elle engage des groupes projets interrégionaux
qui mettent en commun les meilleures
pratiques issues des communautés de
professionnels. À cette occasion, les travaux
sur la prospective des métiers territoriaux
sont mobilisés, de même que les études et
des retours d'expérience et évaluation",
précise Denis Cristol. Dans ce cadre,
des “groupes miroirs" rassemblant bénéficiaires
et prescripteurs des formations
sont organisés pour concevoir et valider
les offres.

... et la “coopérative
pédagogique"


Instance de capitalisation, mais aussi
réseau social de diffusion des méthodes
d'animation, la “coopérative pédagogique"
a débuté son activité lors d'un
séminaire qui réunit plus de 740 cadres
pédagogiques du CNFPT. Il se tient
tous les deux ans et permet de “brasser"
massivement toutes les pratiques.
“À cette occasion, plus d'une centaine de
chroniqueurs, d'organisateurs et d'animateurs
internes ont mis en oeuvre et
testé quarante-cinq méthodes pédagogiques
(forum ouvert, ballade urbaine,
théâtre forum, théâtre d'improvisation,
« Formabus », atelier de créativité, atelier
vidéo, conte pédagogique, ludopédagogie,
média-training, expression à
partir de photos, atelier d'écriture, etc.)",
détaille Denis Cristol.
Cette variété pédagogique était mise au
service d'un objectif : “Celui de partager
toutes les formes de responsabilité sociétale,
environnementale, managériale, financière,
à l'égard des citoyens et des collègues,
et d'en décliner sous toutes les facettes, les
façons de la partager et de l'assumer."

Diffuser les bonnes pratiques

Selon le directeur de l'ingénierie et des
dispositifs de formation du CNFPT, la
transformation pédagogique à l'oeuvre
est l'affaire de tous. Il égrène le processus
: elle se produit à l'occasion de tests
et d'explorations successives, au quotidien,
dans des séminaires régionaux
ou interrégionaux, dans des séminaires
dédiés à l'occasion de “fab-labs" ou
d'“expéditions apprenantes".
Les réunions habituelles des réseaux, des
projets, les séminaires de direction ou
de pôle métier sont “l'occasion privilégiée
d'essayer de nouvelles approches". Si cellesci
retiennent l'intérêt, elles sont réutilisées
et adoptées pour les participants.
Si elles apportent peu de valeur ajoutée,
elles sont tout simplement laissées de
côté. “Lorsqu'une approche pédagogique
retient l'attention, elle fait l'objet de la
rédaction d'une fiche méthode, d'un film
ou d'un récit d'expérience. La diffusion
est assurée à la fois par les moyens numériques
(portail métier, outils collaboratifs),
et – surtout – par les réunions de réseaux
ou par des événements réguliers, initiés
notamment en régions, ou bien par la
coopérative pédagogique", indique Denis
Cristol.

Toujours expérimenter

La démarche de la direction de l'ingénierie
et des dispositifs de formation est
innovante : petit à petit, les différentes
approches pédagogiques et leur pertinence
sont évaluées et appropriées.

“Nous organisons des expérimentations
de dématérialisation des supports pédagogiques,
des classes inversées, ainsi que des
partages de pratiques. Tout ceci offre autant
d'occasions de modifier des manières
de rendre les participants actifs et plus autonomes
dans leurs apprentissages", précise
le directeur.

Ce changement de posture des intervenants
territoriaux est aussi accompagné
par des journées d'information, ou
des formations aux fondamentaux de
la pédagogie. Objectif visé : créer une
“culture pédagogique partagée".

Un “écosystème
d'apprentissage"


La transformation engagée par l'organisme
public de formation vise à
“accompagner une refonte des pratiques
d'ingénierie de formation mais aussi le
changement des rapports aux savoirs".
Elle répond, selon Denis Cristol, à
l'“exigence de rendre la formation plus
dynamique et de toucher non seulement
le cerveau, mais aussi l'individu dans
son ensemble". Car, rappelle-t-il, “les
méthodes pédagogiques ayant le plus de
succès sont celles qui partent des expériences
individuelles et collectives qui
soutiennent et facilitent l'apprentissage.
Et faire varier les pratiques, mettre un
surplus d'énergie et d'enthousiasme,
rendre accessibles des contenus de qualité
irréprochable contribuent aux échanges
entre les participants. Ces échanges de
qualité sont à la base d'un dialogue, qui
renforce la démocratie...".

En effet, au moment où les territoires
connaissent une mutation, avec le projet
gouvernemental de recomposition
des régions, départements, intercommunalités,
la refonte des pratiques
d'ingénierie constitue un pari. Celui
“de concevoir et d'apprendre ensemble
en associant étroitement tous les acteurs :
stagiaires, cadres territoriaux, réseaux
professionnels, prescripteurs, décideurs,
financeurs, conseillers formation, directeurs
de formation et intervenants". Et,
grâce à cet “écosystème d'apprentissage"
renouvelé, de voir l'“éclosion d'une nouvelle
offre de service de qualité".

Former et se former
à l'“ère du numérique"


Le numérique a transformé les
façons de former et d'apprendre. Les
apprentissages informels et l'innovation
pédagogique occupent une place de plus
en plus importante dans la transmission
et l'acquisition des savoirs. Dans son
dernier ouvrage, Former, se former et
apprendre à l'ère du numérique - le
social learning (ESF éditeur), Denis
Cristol présente le savoir comme “un
rapport à soi, aux autres et au monde". Il
invite à penser l'évolution du stage vers
des “écosystèmes d'apprentissage", à
rendre les environnements “apprenants"
(architecture des bâtiments, interactions
sociales et espaces numériques). Et traite
des nouvelles postures des formateurs
comme “facilitateurs du savoir", avec des
repères pour développer l'“intelligence
collective".

Notes   [ + ]

1. Norbert Alter est professeur de sociologie à
l'Université Paris-Dauphine et membre du laboratoire
“Dauphine Recherche en management" (DRM).