Alsace : la formation appelée à dessiner l'“horizon 2030"

Par - Le 01 octobre 2014.

“Alsace 2030" est le nom d'un grand plan
de développement de l'éducation et de
la formation dans cette région.
Vivement impactée par la crise depuis
2008, elle a subi le repli des entreprises
allemandes de leur côté du Rhin – elles
pourraient revenir, à la faveur de
l'instauration d'un “Smic" en Allemagne...
Reste que la Région veut reprendre
le contrôle de son destin, en renforçant
son dialogue avec les acteurs
économiques.

En instaurant un Smic en Allemagne,
le gouvernement Merkel vient de
rendre un fier service à l'emploi...
des Alsaciens !" Sur la rive ouest
du Rhin, l'annonce de la création en
2015 de ce salaire minimum obligatoire
a contribué à redonner le sourire.
Et pour cause : depuis 2008, la crise se
traduit, pour les entreprises allemandes
présentes sur le sol alsacien,
par un important mouvement de
“remigration" industrielle au pays.

“Remigration"

Des exemples ? Le constructeur de
véhicules de loisirs Hymer employait
16 % de ses effectifs totaux sur deux
sites de production dans la région
de Mulhouse avant 2009. Ils ont été
divisés par quatre depuis. Bürstner,
fabricant de camping-cars, a choisi en
juin dernier de rapatrier la moitié des
emplois de sa filiale bas-rhinoise de
Wissembourg à Kehl, dans le Bade-
Wurtemberg, laissant près de 200 salariés
alsaciens derrière lui.

Nouvelle donne sociale

Une situation difficile dans une région
où 10 % des emplois dépendent
des employeurs d'outre-Rhin. Des
employeurs qui, avec l'application des
réformes Hartz sur le temps partiel et
l'intérim – ces fameux “mini-jobs" à
400 euros par mois – s'étaient vus plus
qu'encouragés à conserver ou à faire
revenir l'emploi sur le sol allemand.
Mais avec la nouvelle donne sociale qui
devrait permettre, au 1er janvier 2015,
à près de 5 millions de travailleurs
allemands de bénéficier d'un salaire
minimal calculé sur une base horaire
de 8,5 euros, les employeurs allemands
pourraient à nouveau être tentés par
l'aventure alsacienne.

“Malgré le différentiel avec le Smic français,
les entreprises allemandes pourraient
être encouragées à revenir en Alsace.
À nous de valoriser nos savoir-faire et
nos atouts pour les convaincre", estime
Victorine Valentin, élue socialiste
d'opposition au Conseil régional
d'Alsace, le seul en France métropolitaine
à être dirigé par une majorité de
droite et du centre.

Un grand plan de développement
de la formation


Valoriser les savoir-faire locaux, c'est
précisément l'ambition de la Région,
qui vient de s'engager dans le projet
“Alsace 2030", un grand plan de
développement de l'éducation et de
la formation, marqué par un premier
rendez-vous international en 2015 :
l'organisation, à Strasbourg, des 43es
Olympiades des métiers. “Cet événement
permettra de mettre en valeur
l'excellence et la diversité des métiers en
suscitant, nous l'espérons, de nouvelles
vocations chez les jeunes Alsaciens", assurait
le président de Région, Philippe
Richert, à l'occasion de la rentrée du
Conseil régional, début septembre.

114 millions pour la formation

Formation, éducation : les deux plus
importants budgets pour une Région
qui y consacre 46 % de ses crédits.
Pour 2014, d'ailleurs, les conseillers
régionaux se sont entendus sur une
enveloppe de 51,9 millions consacrée
à la formation professionnelle continue
(destinée à financer les actions de
formation, rémunérer les stagiaires, entretenir
le réseau des Missions locales
et des acteurs de l'orientation, etc.), à
laquelle s'ajoutent 62,6 millions supplémentaires
dévolus à l'apprentissage,
dont 32,6 millions pour les seules formations
sanitaires et sociales.

Les branches, interlocutrices
privilégiées


“Avec 85 000 salariés, le domaine du sanitaire
et social représente la plus grande
branche professionnelle d'Alsace ainsi que
l'un des plus importants viviers d'emplois
régionaux", justifie Martine Calderoli-
Lotz, la vice-présidente de Région en
charge du dossier formation.

Les branches constituent les interlocutrices
privilégiées de l'exécutif régional
dans le déploiement de ses politiques
d'orientation, d'éducation, de
formation et d'emploi. Depuis 2011,
celui-ci a contracté, dans le cadre de
son Comité de coordination régional
de l'emploi et de la formation professionnelle
(CCREFP), des conventions
d'objectifs territoriales (COT)
avec seize d'entre elles, pesant près de
65 % de l'emploi régional total.

Ces COT anticipaient en partie la réforme,
puisqu'elles comprenaient un
volet spécifique aux questions d'identification
des métiers en lien avec la charte
de l'orientation établie par les partenaires
régionaux. Laquelle sera formellement
signée le 13 octobre prochain.

Le chantier de l'orientation

“Les conventions permettent d'identifier
les spécificités de chaque secteur, qui
diffèrent d'une branche à une autre, explique-
t-on au sein des branches. Par
exemple, pour la coiffure, il y a davantage
de candidats que de places d'apprentissage.
Il s'agit de fournir une
information réaliste sur les possibilités
d'insertion et les conditions
réelles du métier, tandis que pour
la propreté, il convient surtout de
travailler sur l'image des métiers
de la branche."

Nouveauté 2014 : les COT
auront vocation à intégrer les
financeurs (Opca, Pôle emploi
et réseaux consulaires) au
tour de table dans le cadre de
conventions d'application déjà en
cours d'expérimentation dans les secteurs
du BTP, de la métallurgie et de
l'hôtellerie. Si le système paraît rôdé,
quelques domaines manquent encore
à l'appel.

“À cause de leur manque de structuration,
nous avons énormément de difficultés
à nouer des liens avec les branches du
commerce, soupire Martine Calderoli-
Lotz. Les faire entrer dans notre réseau
partenarial est d'ailleurs l'un des objectifs
de la Région."

Manque de main-d'oeuvre
qualifiée


Mais si des secteurs restent à intégrer,
d'autres sont encore à construire. D'ici
2030, l'Alsace ambitionne de se doter de
filières compétitives en matière d'“économie
verte", de développement durable
ou de transition énergétique. Des compétences
qui manquent à
la région et restent encore
à construire, comme
en témoigne le chantier
emblématique du démantèlement
de la centrale
nucléaire de Fessenheim, programmé
pour 2016.

“C'est malheureux de devoir faire appel
à des entreprises américaines pour
ce travail parce que nous manquons
de main-d'oeuvre qualifiée...", déplore
Antoine Dugo, secrétaire régional de
la CFDT chargé de la formation et
de l'emploi. Cause de cette carence de
compétences : un certain confort social,
dû à une situation enviable ? Jusqu'au
milieu des années 2000, le taux de chômage
en Alsace oscillait autour des 5 %,
l'un des plus bas de France. Depuis, il
tutoie les 9,5 %.
“On a habitué les salariés alsaciens à
conserver le même emploi durant trente
ans, sans leur proposer de remettre leurs
compétences à jour ou d'évoluer dans
leur carrière, assure le syndicaliste, et
ça, c'est en partie de la responsabilité des
entreprises, qui n'ont pas assez contribué
à la sécurisation des parcours de leurs
employés."

État des lieux des perspectives
professionnelles


Les salariés se sont retrouvés désarmés
lors des plans de sauvegarde de l'emploi
entraînés par la crise de 2008. Ce
que la CFDT a envisagé de corriger
lors de la négociation sur la sécurisation
de l'emploi de 2013, en induisant
l'obligation, pour l'employeur,
de dresser un état des lieux des perspectives
professionnelles de ses salariés
tous les six ans et de le traduire en
actions de formation.

“Les entreprises vont-elles jouer le jeu ?
Ce n'est pas gagné...", soupire Antoine
Dugo. Particulièrement lorsque l'employeur
est... allemand et, donc, marqué
par une culture du dialogue social
où la part belle est faite à l'effort
consenti par les salariés pour préserver
l'emploi, plutôt qu'au conflit.

Un “accord de crise"

Au Medef alsacien, on se souvient
encore des accords négociés chez
Behr France, la filiale
locale de l'équipemen- t i e r allemand.
“Face aux difficultés financières
et à l'état du carnet de commandes, la
direction – allemande – a choisi de négocier
un accord de crise induisant un gel
des salaires sur deux ans et une réduction
des RTT des cadres... ce fut difficile
d'expliquer aux syndicats qu'il s'agissait
de l'unique alternative au plan social",
se rappelle Stéphanie Ballias, coordinatrice
régionale de la formation professionnelle
de l'organisation patronale.
Une situation tendue qui a pu se
dénouer avec l'adoption de l'Ani du
11 décembre 2013 introduisant des
dispositifs permettant de former
les salariés durant leurs périodes de
chômage partiel. “Nous constatons
une hausse des demandes de formation
en temps d'activité partielle, note
Stéphanie Ballias, preuve que les salariés
comme les employeurs ont compris
l'intérêt du développement des qualifications."

L'apprentissage
transfrontalier


Comme en Allemagne, l'apprentissage
occupe une place de choix dans
les dispositifs de formation alsaciens.
Sur les 330 000 jeunes de moins de
28 ans que compte la région, 15 000
sont engagés dans un cycle d'apprentissage,
dont 20 % dans l'artisanat et
4 850 dans l'enseignement supérieur.
Un temps, les pouvoirs publics avaient
ambitionné de pousser ce chiffre
jusqu'à 20 000.

“Avec les destructions d'emplois consécutives
à la crise, cet objectif est devenu irréalisable",
admet Martine Calderoli-
Lotz. Alors, on se tourne volontiers
vers le voisin allemand, avec qui a été
signé, en septembre 2013, un partenariat
régional sur l'apprentissage transfrontalier.
“Un apprenti inscrit dans un
centre de formation de son pays d'origine
peut désormais réaliser la partie pratique
de son cursus dans une entreprise d'un
pays voisin. La frontière n'existe plus !",
se réjouit Philippe Richert.

“Notre horizon, c'est
l'Allemagne, c'est la Suisse"


Et ce partenariat, l'Alsace envisage de
l'étendre, en 2017, à la voisine Lorraine
avec qui elle se prépare à fusionner dans
le cadre d'une vaste eurorégion du
“Rhin Supérieur"... quitte à pousser
la Champagne-Ardenne vers la sortie.
“Notre horizon, c'est l'Allemagne, c'est
la Suisse. Ce sera le Luxembourg et la
Wallonie lorsque nous aurons été rattachés
à la Lorraine. La Champagne-
Ardenne n'a rien à faire dans cette
configuration", juge la conseillère
régionale.

Reste encore un dernier écueil face
à ce dispositif qui projette de réunir
les deux rives du Rhin : celui de la
pratique de l'allemand, que de moins
en moins de jeunes Alsaciens maîtrisent.
Ce que la Région se propose
de corriger par le biais d'une politique
de formation linguistique intensive.
Car, si les cousins germains
entendent parler d'une seule voix...,
encore leur appartient-il de le faire
dans la même langue.