Disparition de Pierre Caspar, spécialiste de la formation des adultes

Sur le fond, Pierre Caspar, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), laisse auprès des apprenants et de la communauté des chercheurs le souvenir d'un homme brillant et une œuvre essentielle à la compréhension des apprentissages tout au long de la vie. Sur la forme, ce sont ses qualités d'empathie, de bienveillance, de modestie et de gentillesse qui sont unanimement reconnues.

Ingénieur des Mines de formation, il s'ouvre très tôt à d'autres systèmes de formation, notamment lors d'un séjour d'études à l'Université de Berkeley (États-Unis). Il y découvre d'autres manières d'apprendre, qui lui seront utiles lorsqu'il s'agira de développer des « formations responsabilisantes », se souvient Bernard Masingue, partenaire d'Entreprise & Personnel. Pour l'ancien consultant d'Interface, Pierre Caspar aura su constamment « relier savoir et pratique » et, toujours, témoigné d'une « capacité pédagogique hors norme, qui savait allier rigueur des concepts et humour. » 

Entre le savoir et l'action

En 1963, c'est en rejoignant une figure tutélaire de la formation, Bertrand Schwartz, qu'il contribue à la grande aventure du Cuces^{[ 1 ]}Centre universitaire de coopération économique et sociale. de Nancy et de l'Infa^{[ 2 ]}Institut national de la formation des adultes.. Dans une perspective d'éducation permanente et avec l'ambition de se situer entre le savoir et l'action, il y développe des méthodes et des stratégies pour permettre à des ingénieurs et des cadres de résoudre, concrètement et par eux-mêmes, les problèmes de leurs fonctions.

Ingénieur et pédagogue

Suit la création, en 1970, du cabinet de conseil Quaternaire Éducation avec François Viallet et Guy Le Boterf. Leur ambition est d'autoriser la rencontre des ingénieurs et des pédagogues, elle sera conceptualisée dans deux livres essentiels à la professionnalisation et à l'ingénierie des métiers de la formation : d'abord, Formation des adultes et transformation des structures de l'entreprise^{[ 3 ]}Éditions d'organisation, 1970., puis Pratique de la formation des adultes^{[ 4 ]}Éditions d'organisation, 1975.. Guy Le Boterf, aujourd'hui directeur de Le Boterf Conseil (France) et professeur associé à l'Université de Sherbrooke (Canada), reste encore aujourd'hui impressionné de la capacité de Pierre Caspar à « mettre en problème » : « Là où tout paraissait de prime abord confus, Pierre savait tisser des liens, mettre en forme, structurer. »

Jean Besançon, directeur de l'université ouverte des compétences, se déclare lui aussi « ébloui » devant ce fabuleux esprit de synthèse, qu'il découvrit d'abord lors de colloques où Pierre Caspar intervenait : « Lignes de force, points de contradictions, tout y était ! » Pour Guy Le Boterf, cet art de la synthèse n'était pas de l'ordre du résumé mais « une création de forme qui donnait du sens » : « Il avait cette extraordinaire faculté intellectuelle que les cognitivistes appellent la capacité d'abduction. » Ce talent servait aussi à « mettre en valeur les clients, qui appréciaient beaucoup d'être compris personnellement et dans leur contexte particulier. »

Pour l'universitaire et théoricien de l'apprenance Philippe Carré, Pierre Caspar est « avant tout un style » : « Finesse des analyses par-delà les effets de mode et les formules convenues, ouverture d'esprit loin des débats de chapelle qui inhibent parfois le dialogue, élégance et souci de l'autre dans les rapports humains, pertinence des nombreuses synthèses qu'il était régulièrement appelé à faire à la fin des colloques grâce à son exceptionnel talent d'orateur… » Autant de qualités que Bernard Masingue associe autant à sa formation qu'à sa personnalité : « Entre ingénieur et humaniste. »

Visionnaire

L'alternance politique de 1981 voit Pierre Caspar rejoindre le ministre du Travail Jean Auroux, qu'il suit comme directeur de cabinet lorsque celui ci devient secrétaire d'État chargé de l'Énergie^{[ 5 ]}Ministre du Travail de mai 1981 à juin 1982, ministre délégué chargé du Travail auprès du ministre des Affaires Sociales de juin 1982 à mars 1983, secrétaire d'État chargé de l'Énergie de mars 1983 à juillet 1984, sous la tutelle de Laurent Fabius, ministre de l'Industrie sur la même période.. En 1984, il succède à Marcel Lesne, fondateur de la chaire de formation des adultes du Conservatoire national des arts et métiers. Il y exerce un magistère de référence sur toutes les questions liées à l'éducation des adultes. Parmi d'autres, deux publications symbolisent l'autorité exercée par Pierre Caspar dans le monde de la formation professionnelle : Traité des sciences et des techniques^{[ 6 ]}Dunod, 4e édition, 2017., ouvrage collectif dont il assure la direction avec Philippe Carré, et L'investissement intellectuel, essai sur une économie de l'immatériel, co-signé avec Christine Affriat^{[ 7 ]}Economica, 1988..

Invité à commenter la conclusion de la troisième édition de ce traité lors d'un hommage rendu au Cnam à l'occasion de ses 75 ans, Jean Besançon s'enthousiasme pour sa capacité à « voir devant » : « En 25 pages, il décrit très précisément l'avenir de la formation professionnelle, c'est extraordinaire… »

Cette capacité à inscrire sa réflexion dans une vision, Pierre Caspar avait tenu à en faire le fil rouge de son intervention à l'Université ouverte des compétences, en 2012. Le titre ? Le métier de formateur d'adultes : 1960-2030^{[ 8 ]}Exceptionnellement en accès libre sur le site de l'université ouverte des compétences.. On peut y voir un écho à son livre testamentaire, paru en 2011 : La formation des adultes, hier, aujourd'hui, demain (Eyrolles), dont la lecture demeure, pour Patrice Guézou, « éclairante et inspirante. » Le directeur général de Centre Inffo évoque aussi Pierre Caspar comme un « fidèle compagnon de route du groupe Interface » : « Je me souviens de son intelligence et de sa bienveillance à l'occasion des travaux conduits pour la construction et la rédaction du contrat d'études et de prospectives des organismes privés de formation en 1996, dont les conclusions conservent toute leur pertinence. »

Pour Philippe Carré, Pierre Caspar aura bien été ce « visionnaire qui a rythmé plus de quarante années de développement de la formation des adultes » : « Il en restera un grand témoin essentiel. »

Merci à Jean Besançon, Philippe Carré, Guy Le Boterf et Bernard Masingue pour leur contribution à la biographie de Pierre Caspar.