L’Observatoire de l’évolution des métiers de l’assurance (OEMA) présente, le 19 juin 2023, son baromètre prospectif. Maud Thomas, co-responsable du master d’actuariat de l’Institut de statistique de Paris (Isup), et Olivier Lopez, directeur de l’Isup.
Intelligence artificielle et métiers : l'assurance démarre l'enquête
Quelles nouvelles compétences les métiers de la relation client et les actuaires devront-ils maîtriser lorsque l'intelligence artificielle se sera imposée dans le secteur de l'assurance ? L'Observatoire de l'évolution des métiers de l'assurance tente de répondre à cette question dans un exercice d'anticipation et de démystification.
Par Emmanuel Franck - Le 26 juin 2023.
Démystifier l'intelligence artificielle (IA) et son incidence sur les métiers par des cas d'usage. L'Observatoire de l'évolution des métiers de l'assurance s'est livré à cet exercice à l'occasion de la restitution, le 19 juin 2023, de son baromètre prospectif. Pour l'heure, l'emploi dans le secteur de l'assurance n'est pas touché par l'IA, dont les auteurs du baromètre datent l'irruption dans la relation client à 2017 et au logiciel Watson d'IBM. De fait, l'assurance, qui emploie 154 700 personnes (+5% en 10 ans), continue de recruter : 18 300 embauches en 2022 dont un quart d'alternants. Néanmoins, « il faut se préparer à l'IA, identifier les savoirs et les compétences nécessaires pour demain », explique Michel Paillet, analyste des métiers et des compétences à l'observatoire.
Expliquer l'IA aux clients
Appliquée au repérage de la fraude à l'assurance (7% des dossiers), « l'IA permet, à partir d'une déclaration de sinistre ou d'un rapport d'expert, de repérer une déviation de comportement et ainsi de cibler les cas problématiques plutôt que de se fier au hasard », explique Olivier Lopez, directeur de l'Institut de statistique de Paris (ISUP). Ce n'est pas l'IA qui va décider que tel assuré est fraudeur. D'abord « parce que l'IA va se tromper », ensuite « parce qu'il faut respecter l'usager », qui est aussi un client.
Pour cette dernière raison, il va falloir former les salariés des assureurs en relation avec leurs clients afin qu'ils « expliquent l'IA » aux usagers. Pour cela, les chargés de clientèle « n'auront pas besoin d'avoir un master en actuariat mais d'un apprentissage pour connaître les forces et les limites de l'IA », anticipe Olivier Lopez.
Une limite de l'IA est qu'elle a besoin de bases de données pour fonctionner. « Une expérimentation de l'IA en médiation d'assurance a donné des résultats décevants, raconte Norbert Girard, secrétaire général de l'observatoire. Les cas en médiation posent souvent des problèmes juridiques que ne traite pas la jurisprudence, or s'il n'y a pas de jurisprudence, il n'y a pas de cas dans la base de données ». L'IA étant inutile dans cette situation, il faut être créatif, ce que ne l'IA n'est pas.
Des métiers pour alimenter les bases de données
Même problème avec les événements extrêmes. « L'IA ne fonctionne pas car il y a peu de données » sur ces risques, explique Maud Thomas, co-responsable du master d'actuariat de l'ISUP. S'agissant des risques émergents (climatiques, cybercriminels), « il va falloir constituer des bases d'apprentissage » pour l'IA, relève Olivier Lopez. Il anticipe donc que « des métiers iront chercher la matière première : l'information » afin d'alimenter ces bases. Maud Thomas signale d'ailleurs que « l'Institut des actuaires traite de l'IA dans ses cursus depuis des années via les big data [données de masse] ».
L'assurance devra-t-elle réitérer sur l'IA la formation de base à la digitalisation qu'elle a dispensée à tous ses salariés il y a quelques années ? Maud Thomas en doute car les besoins « dépendent des métiers ». Pour les métiers de la relation client, « il faudrait une formation minimum pour expliquer l'IA aux potentiels fraudeurs ». Pour les actuaires, « qui vont un peu programmer en informatique, il faut qu'ils aient une idée de l'incidence de l'IA sur le métier de commercial ».