La deuxième table ronde du jeudi 28 mars, lors des journées Vincent Merle, à Pessac.
Quels effets de la réforme de 2018 sur le système d'apprentissage ?
« Le législateur et l'apprenti. Quels effets de la réforme de 2018 sur le système français d'apprentissage ? ». Voilà quel était le titre de l'ultime table ronde des Journées Vincent Merle, à Pessac, jeudi 28 mars. L'échange rassemblait Stéphane Lardy, directeur général de France compétences, Philippe Perfetti, chargé de mission emploi formation chez CMA France, Patrice Omnes, directeur général de l'Opco mobilités, et enfin David Reungoat, maître de conférences, directeur du CFA (centre de formation d'apprentis) de l'université de Bordeaux.
Par Jean Berthelot de La Glétais - Le 02 avril 2024.
Tous, se sont accordé sur un point : la loi du 5 septembre 2018 a « profondément changé, bouleversé même, l'apprentissage », selon Stéphane Lardy. « D'abord il y a eu une massification de l'apprentissage », comme l'a rappelé l'enquête présentée en préambule par Cap Métiers Nouvelle-Aquitaine. Dans cette seule région, les contrats en alternance sont passés de 45 000 en 2019 à 78 000 en 2022. « Mais au-delà de ça, elle a contribué à ce que les regards changent sur ce mode de formation. Considéré auparavant un peu comme une voie de garage, il s'est développé dans le supérieur notamment. La vision qu'en a le grand public évolue, et cela participe du succès des politiques publiques. Ce n'est que le début d'un long processus, tout n'est pas parfait. Par exemple, on doit s'interroger sur les instruments de la régulation, de l'évaluation des organismes et des financements. »
Développement de l'apprentissage dans le supérieur
« Il est vrai que cette question de l'image était importante, et elle a clairement été améliorée, par exemple en faisant mieux connaître les mobilités européennes des apprentis », explique Philippe Perfetti. « C'est ce qui explique en partie le fort développement de l'apprentissage, dont on remarque presque une transformation, une modification génétique. Il y a six ou sept ans, on avait encore 70 % d'apprentis au niveau 3-4. Ils ne sont plus que 37 % aujourd'hui. Le développement s'est donc largement fait avec l'enseignement supérieur. Sur l'avenir, il y a pour moi des interrogations qui concernent les moyens. Le coup de rabot de septembre fait planer un vrai risque sur l'offre de formation, sur les investissements que peuvent consentir les CFA, notamment pour les plateaux techniques très coûteux… Je pense qu'il faudra envisager d'autres modalités que celle consistant à appliquer des baisses de crédit sans considérer les publics et les filières concernés. On devra aller vers quelque chose de modulable. Enfin il y a en effet cette question de la qualité des formations, une arlésienne sur laquelle il faudra bien se pencher un jour. »
« Si le niveau de prise en charge baisse… »
La question du financement est aussi au cœur des interrogations de Patrice Omnes, pour l'OPCO Mobilités. « Quantitativement, le bilan est très positif, c'est certain », observe-t-il. « Mais est-ce un ancrage durable dans un écosystème ? Je n'en suis pas sûr. Nous avons vu arriver des branches et des entreprises qui ne passaient pas par l'apprentissage, d'accord. Mais si demain le niveau de prise en charge et les incitations cessent, l'apprentissage peut s'effondrer. Il est bien trop tôt pour les arrêter. Ce qui amène à une question de fond, celle de la soutenabilité. Que l'on s'interroge sur la répartition des contributions à la formation, entre entreprises et État, me semble normal. Mais cela ne me paraît pas choquant que l'État décidé de soutenir ce secteur en considérant faire un investissement, pas forcément rentable à court terme. J'ajoute aussi qu'il reste une étape à passer dans le travail commun entre CFA et OPCO, pour plus d'efficacité encore. Et une autre pour la féminisation de l'apprentissage. Dans notre cas par exemple, plus de 75 % des apprentis sont des hommes. Enfin se pose la question de la régulation. On nous avait dit que Qualiopi serait gage de qualité, on voit que ce n'est pas tout à fait le cas. Il faut combattre l'infime minorité d'acteurs malhonnêtes du secteur. »
Evolution des mentalités
S'exprimant au nom du CFA de l'Université de Bordeaux, David Reungoat est lui aussi longuement revenu sur l'aspect financier. « Nous n'avions pas de subvention de la région, il fallait donc aller chercher la taxe d'apprentissage auprès des entreprises. Ce levier a été très intéressant pour nous et a changé beaucoup de choses. Mais les mentalités aussi ont évolué. À la fin des années 2000, il restait des collègues qui considéraient que l'apprentissage n'avait pas sa place à l'Université ! J'ajoute que la création des opérateurs de compétences ou d'outils comme France Compétences nous permettent de nous situer au plan national, d'avoir des discussions profondes, et c'est très positif. Cette réforme nous faisait peur mais finalement elle est positive pour nous. Dernier aspect ; la mixité dans les classes, qui crée des échanges très intéressants entre étudiants et presque salariés. Et c'est une voie qui permet à l'université de jouer son rôle d'ascenseur social : régulièrement, des apprentis nous disent n'avoir pu suivre les études qu'ils visaient que grâce à ce mode de formation. »