Intelligence artificielle, quels enjeux de formation dans l'entreprise ?
« Atout ou menace pour l'emploi des cadres », l'intelligence artificielle est un enjeu incontournable de formation. Les entreprises en ont-elles pris la mesure ? Quelles sont les pratiques de formation ? Qui former et sur quoi ? Les experts invités par l'AJIS (Association des journalistes de l'information sociale) ont apporté des éléments de réponse.
Par Mariette Kammerer - Le 25 septembre 2024.
Le nouveau gouvernement compte désormais un secrétaire d'Etat à l'IA (intelligence artificielle), ce qui est plutôt de bon augure pour accompagner son rapide développement en entreprise, soulignaient les invités de la table-ronde organisée par l'AJIS lundi 23 septembre, sur l'impact de l'IA pour l'emploi des cadres. Selon un sondage de l'Apec (Association pour l'emploi des cadres) en mai 2024, un cadre sur deux se dit demandeur d'une formation sur l'IA, et certains y voient aussi une menace pour leur emploi.
L'IA, bientôt une compétence incontournable
L'IA va en effet impacter leur travail. Selon Cyril Cuënot, responsable de l'activité RH (ressources humaines) de Sia Partners, cabinet de conseil en management, « leurs tâches vont évoluer peut-être vers moins de reporting et plus de réflexion » et l'IA leur apportera « un appui et une aide, par exemple dans la fonction RH ». En tout cas, sachant que « 80% des étudiants utilisent déjà l'IA », cette expertise va devenir incontournable. « C'est une opportunité pour les cadres en termes d'employabilité, mais ils doivent absolument se former, il faut de l'acculturation aux outils », estime Claire Abate, avocate spécialiste en droit du travail chez AC Legal Avocat.
Des formations sur les outils plus que sur la stratégie
La formation des salariés est-elle au rendez-vous ? « Aujourd'hui on sent une évolution de la demande, surtout dans les grands groupes, on voit par exemple d'énormes plans de formation à l'utilisation de « Copilot », le Chat GPT de Microsoft, rapporte Cyril Cuënot. Il y a aussi des demandes pour être accompagné sur des usages de l'IA dans telle ou telle fonction de l'entreprise, pour adapter l'exercice du métier ».
6 Français sur 10 utilisent l'IA en cachette de leur employeur
Mais les salariés sont parfois plus rapides puisque « six Français sur dix utilisent l'IA en cachette de leur employeur », note Cyril Cuënot. Dans ce cas, au lieu d'interdire ou de laisser faire, l'employeur peut aussi s'appuyer sur ces usages : « C'est ce que fait l'Apec où les conseillers utilisaient Chat GPT pour la rédaction des offres. La direction est partie de cet usage pour proposer une formation à la fois technique et juridique, pour border son utilisation et favoriser un bon usage, rapporte Eric Pérès, secrétaire général de FO cadres.
Formations instrumentales
Donc globalement, les entreprises proposent surtout « des formations instrumentales, pour répondre à un usage précis », ajoute Eric Pérès. Or, en ce qui concerne les cadres et dirigeants, Cyril Cuënot estime qu'il faudrait surtout les former « aux impacts de l'IA : sur la gouvernance de l'entreprise, son organisation, les besoins en compétences. Afin qu'ils puissent analyser ce que l'IA peut apporter ou pas, et résister aux offres des fournisseurs de solutions. L'IA doit être au cœur de la stratégie de l'entreprise ».
Renforcer l'obligation de formation
« Aujourd'hui, ne pas être formé à l'IA peut vous mettre sur la touche. Donc il faut étendre l'obligation de formation de l'employeur dans ce domaine, les syndicats doivent pousser ce sujet », estime Claire Abate. Sans quoi, on risque d'avoir d'un côté quelques salariés « hyper-formés », et de l'autre « des actifs à faible valeur ajoutée », non formés à l'IA mais soumis aux algorithmes, sans marge de manœuvre : « C'est le rôle des syndicats de peser pour que l'IA s'accompagne de nouvelles compétences et laisse du pouvoir d'agir aux salariés, au moins pour paramétrer l'outil », estime Eric Pérès.
Former les organisations syndicales
Or les syndicats eux-mêmes ne sont pas beaucoup formés à ces enjeux, observe le responsable FO. Cela aboutit au fait que « dans 7 cas sur 10 le CSE n'est pas consulté avant la mise en place d'une IA, ce qui est pourtant obligatoire », rappelle Claire Abate. La vigilance des représentants syndicaux est indispensable pour s'assurer que les dispositifs d'IA respectent le droit du travail et la vie privée des salariés. « Les syndicats doivent faire rentrer le doit social et réguler l'usage dans la conception-même de ces outils. Il faut une négociation interprofessionnelle sur le sujet de l'IA, pour cadrer les risques pour les salariés », estime Eric Pérès.