Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation, conférences et formations, à Centre Inffo.

Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation, conférences et formations, à Centre Inffo.

A quand, une vraie libéralisation de l'offre de formation ?

Fouzi FETHI, responsable du Pôle droit et politiques de formation de Centre Inffo, questionne la pertinence d'imposer les mêmes obligations administratives et comptables à l'ensemble des prestataires de formation, y compris ceux entièrement financés par des fonds privés. Ne serait-il pas plus judicieux d'envisager un marché dual ? D'un côté, un marché libre ; et de l'autre un marché réglementé.

Par - Le 15 octobre 2024.

Le marché de la formation professionnelle est estimé aujourd'hui à environ vingt-sept milliards d'euros dont plus de la moitié financée sur des deniers publics. Et c'est là que réside l'aporie de notre système. D'un côté, un marché privé. De l'autre, des fonds publics.

Il en résulte que les obligations administratives et comptables qui pèsent sur les prestataires de formation sont largement justifiées par les enjeux liés à ces fonds publics. Cependant, force est de constater que ce cadre est devenu obsolète pour les prestataires de formation qui choisissent de s'affranchir de ces financements.

Un cadre juridique dépassé

En effet, qu'est-ce qui justifie le maintien des prestataires financés intégralement par des fonds privés dans le même carcan administratif que ceux financés par des fonds publics ? Cette question est d'autant plus légitime que plusieurs tournants juridiques auraient pu les en libérer.

Tout d'abord, dans sa décision du 21 septembre 2012[1], le Conseil constitutionnel a précisé que les sanctions financières pour manquement aux obligations administratives et comptables étaient justifiées par les fonds publics en jeu, notamment dans le cadre du financement « fiscal » des entreprises. Mais cette justification des sages devient caduque avec la loi du 5 mars 2014 qui supprime cette obligation fiscale. En effet, les entreprises ne sont plus soumises à l'obligation fiscale de justifier leurs dépenses réalisées dans le cadre de leurs achats de formation.  Malgré cette avancée, un goût d'inachevé persiste, car le marché de la formation reste soumis à une logique administrative, même pour les financements privés.

La loi du 5 septembre 2018 aurait pu y mettre fin. En exigeant, la certification Qualiopi pour accéder aux fonds publics, elle aurait pu aller plus loin en instaurant deux marchés distincts : un marché libre, régulé par l'offre et la demande, et un marché encadré par l'État. Pourtant, cette séparation n'a jamais eu lieu, laissant le marché sous le poids des mêmes obligations, quel que soit le type de financement.

Des sanctions inapplicables

En effet, la loi continue d'imposer à toute personne réalisant des actions de formation de déclarer son activité et de respecter des obligations administratives et comptables, indépendamment de l'origine du financement, qu'il soit public ou privé. En cas de non-respect de ces obligations, des sanctions administratives et financières peuvent être prononcées.

Ainsi, par exemple, lors d'un contrôle, tout organisme de formation doit justifier l'origine des fonds reçus ainsi que la nature et la réalité des dépenses engagées[2]. À défaut, les dépenses peuvent être rejetées, entraînant l'obligation de reverser au Trésor public le montant correspondant[3]. Cependant, face à des fonds entièrement privés, ces dispositions deviennent sans objet.

De même, lors d'un contrôle, tous les prestataires, sans exception, doivent présenter des documents établissant la réalité et le bien-fondé de leurs actions. En cas de non-présentation, les actions sont considérées comme inexécutées, et les fonds indûment perçus doivent être remboursés au cocontractant[4]. Là aussi face à des fonds privés, ces dispositions n'ont plus aucun sens. En effet, si elles s'appliquaient, cela signifierait que l'État doit intervenir dans une relation commerciale entre un prestataire et une entreprise en exigeant du premier qu'il rembourse la seconde !

La nécessité de reconnaître un marché dual

Ces sanctions financières sont donc inapplicables à des prestataires qui n'ont pas perçu des fonds publics. Autrement dit, la déclaration d'activité de ces prestataires ne présente pour les pouvoirs publics qu'un intérêt statistique, sans réel impact en termes de contrôle et de sanction. De plus, ce cadre inadapté pourrait même freiner l'émergence d'un marché véritablement libre, où l'offre et la demande détermineraient les priorités de formation en fonction des besoins des entreprises. A l'ère de l'intelligence artificielle, n'est-il pas plutôt du domaine du marché, et non de la loi, de définir ce que l'on entend par une action de formation ainsi que ses modalités et conditions de réalisation ?

D'où la nécessité de reconnaître un marché dual basé sur un principe simple : d'un côté, un marché libre, sans intermédiaires, où les entreprises pourraient choisir leurs formations en toute liberté, selon leurs critères de performance, et sans avoir à se soumettre à un cadre juridique hérité de la fameuse « déclaration 2483 ». De l'autre, un marché réglementé, encadré par l'État, destiné à garantir la bonne utilisation des fonds publics, notamment pour financer des dispositifs d'intérêt général comme l'apprentissage ou la reconversion professionnelle.

Cette dualité offrirait une réponse adaptée aux besoins divers des entreprises tout en garantissant que les fonds publics servent les objectifs de politique publique. Sur le marché libre, les entreprises auraient la latitude de choisir les formations qui répondent directement à leurs enjeux de compétitivité et de croissance, sans entraver l'offre de formation par des contraintes administratives disproportionnées et surtout théoriques.

Ce serait un espace où la concurrence entre organismes de formation jouerait pleinement, stimulée par l'exigence de résultats concrets et mesurables. Les entreprises auraient ainsi accès à une offre plus diversifiée, plus innovante, et plus adaptée à leurs besoins spécifiques.

 

[1] Décision n° 2012-273 QPC du 21 septembre 2012

[2] Art. L6362-5 du Code du travail

[3] Art. L6362-7 du Code du travail

[4] Art. L6362-3, L6362-6 et L6354-1 du Code du travail