Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation, conférences et formations, à Centre Inffo.

Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation, conférences et formations, à Centre Inffo.

Avec l'IA, la formation peut-elle se passer des formateurs ?

Face à la préoccupation grandissante de voir les formateurs humains remplacés par l'intelligence artificielle (IA), Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation à Centre Inffo, propose une analyse juridique de cette question.

Par - Le 16 décembre 2024.

Depuis la réforme de 2018, qui a redéfini les contours de l'action de formation, et avec l'essor de la formation à distance, dynamisée par l'intelligence artificielle (IA) générative, une question se pose : un avenir sans formateurs est-il en train de se dessiner ? Les plateformes en ligne, les algorithmes d'apprentissage adaptatif et les robots conversationnels pourraient-ils remplacer ce passeur de savoirs qu'est le formateur ? Cette idée séduit certains, mais qu'en est-il réellement sur le plan juridique ?

Un parcours pédagogique… sans formateur ?

L'action de formation se définit comme un parcours pédagogique visant à atteindre un objectif professionnel. Elle peut être réalisée, en tout ou en partie, à distance[1]. Lorsqu'elle s'effectue à distance, le cadre réglementaire a prévu quelques garde-fous : premièrement, le bénéficiaire doit être informé des activités pédagogiques à effectuer à distance ainsi que de leur durée moyenne. Deuxièmement, il doit être accompagné tout au long de son apprentissage, avec une « assistance technique et pédagogique appropriée ». Enfin, le parcours doit inclure des évaluations régulières ou finales[2].

Cependant, et c'est là un point intrigant, rien n'impose explicitement la désignation d'un formateur dans un parcours à distance, contrairement à la formation en situation de travail (FEST), où le recours à un formateur est explicitement prévu[3].

Est-ce à dire que le droit reconnaît qu'une IA puisse, à elle seule, assumer les fonctions d'information, d'assistance, de transmission et d'évaluation, reléguant ainsi le formateur au second plan, voire le rendant superflu ?

Justification des titres et qualités des intervenants

Cette idée est trompeuse et découle souvent d'une lecture trop simpliste des textes réglementaires. Certes, le Code du travail ne spécifie pas qu'un formateur, au sens strict, est requis pour dispenser une formation à distance. D'ailleurs, à l'exception de la Nouvelle-Calédonie, il n'existe aucune exigence spécifique pour exercer cette fonction.

En revanche, les organismes de formation doivent justifier sous peine d'une amende de 4 500 euros,  « des titres et qualités des personnels d'enseignement et d'encadrement qui interviennent à quelque titre que ce soit dans les prestations de formation qu'elle réalise, et de la relation entre ces titres et qualités et les prestations réalisées dans le champ de la formation professionnelle.[4] »

Ainsi, bien que la fonction de formateur ne soit pas encadrée par une réglementation spécifique, l'activité de formation, elle, est soumise à des règles strictes. Celles-ci exigent que les intervenants ou responsables d'actions de formation soient des professionnels qualifiés dans leur domaine d'intervention.

IA sans intervention humaine,  un simple outil pédagogique

Quoi qu'il en soit, et au-delà de cette subtilité juridique, l'encadrement humain demeure une composante centrale pour la réalisation d'une action de formation. Autrement dit, à ce jour, le droit français rejette catégoriquement l'idée de confier entièrement cette réalisation à une IA.

Un prestataire qui se limiterait à reproduire, à l'aide de l'IA, des interventions humaines pour les mettre à disposition des apprenants sur une plateforme numérique ne réaliserait pas une action de formation. Il fournirait, au mieux, une prestation de service. Bien que cette prestation puisse s'avérer pertinente, elle demeure insuffisante, d'un point de vue juridique, pour être qualifiée d'action de formation.

Cependant, le droit actuel ignore un phénomène en pleine expansion : l'écart croissant entre l'encadrement humain nécessaire à la réalisation des actions de formation et le nombre d'apprenants dans les environnements d'apprentissage numériques.

Le droit pris de court par l'IA

Alors que le nombre d'apprenants ne cesse d'augmenter, l'encadrement humain, lui, tend à se réduire. Grâce à l'IA, il est désormais possible de gérer des cohortes massives avec une intervention humaine minimale. Cela soulève une question fondamentale : quel est le seuil "raisonnable" d'encadrement humain en deçà duquel une prestation perdrait sa qualification juridique d'action de formation ? Ce seuil devrait-il être ajusté en fonction du nombre, du profil ou du niveau des apprenants ?

Le droit, souvent pris de court par ces avancées technologiques, se trouve confronté à un défi majeur : comment concilier des principes traditionnels, fondés sur un encadrement humain, avec une réalité où l'IA joue un rôle de plus en plus prépondérant ?

Les premières réponses juridiques, encore timides et empreintes de prudence, cherchent avant tout à limiter les risques associés à l'émergence de l'IA.

Des réponses juridiques encore en gestation

Dans le marché européen, les prestataires devront bientôt se conformer au règlement européen  « AI Act »[5], qui classe les systèmes d'IA utilisés dans l'éducation et la formation parmi les usages « à haut risque ». Les concepteurs et les utilisateurs de ces systèmes devront respecter des règles strictes en matière de sécurité, de transparence et de contrôle humain.

Mais cette régulation suffira-t-elle à instaurer la confiance nécessaire pour que ces technologies, encore récentes, soient pleinement admises dans le cadre juridique de la formation professionnelle en France ?

On pourrait envisager qu'un jour, cette confiance pousse le législateur français à envisager l'IA non plus comme une menace, mais comme une alliée dans le domaine de la formation.

Dans ce contexte, les prestataires de formation n'auraient plus à justifier des « titres et qualités des personnels d'enseignement et d'encadrement », mais devraient garantir la qualité des systèmes d'IA utilisés pour accompagner les apprenants.

Souvent à la traîne des avancées sociétales et technologiques, le droit de la formation ne ferait alors qu'entériner des pratiques déjà établies.

[1] Article L6313-2 du Code travail

[2] Article D6313-3-1 du Code du travail

[3] Article D6313-3-2 du Code du travail

[4] Articles L6352-1 et L6355-6 du Code du travail

[5] Règlement européen sur l'intelligence artificielle (IA) du 13 juin 2024, JO de l'Union européenne du 12 juillet

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