Communication de consignes de sécurité au travail.
Obligation de sécurité de l'employeur et manque de formation
Des décisions de justice de fin 2024 envisagent des manquements à l'obligation de sécurité d'employeurs au regard d'insuffisances alléguées de formation. L'occasion de rappels quant à ces obligations.
Par Eugénie Caillet - Le 20 janvier 2025.
Dans deux affaires, des salariés victimes d'accidents du travail ont cherché à faire reconnaître la faute inexcusable1 de leur employeur dans la survenance de leur accident.
Dans une espèce du 22 octobre 2024 (CA Lyon n° 22-02368), le salarié accidenté insistait sur les nombreux manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, constatés par un rapport de l'inspection du travail.
La cour rappelle que l'article L4121-1 du Code du travail impose à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de ses travailleurs, en ce compris notamment des actions d'information et de formation. Sur ce point, en l'occurrence :
- il n'est pas contesté que le salarié a reçu une formation pratique « au poste plasma » auprès d'un collègue, puis deux formations de 7 heures chacune aux fonctions de cariste et de pontier-élingueur. Néanmoins, le salarié faisait valoir que « la formation au bac de plasma » devait « être plus longue » ; qu'elle était suffisante pour « avancer le travail au mieux » mais trop courte pour lui pour apprendre et appliquer les préconisations de sécurité théoriques.
- sur une tâche précise de levage avec une pince et de vérification des moyens de levage, il est souligné par le responsable de production « l'absence de toute formation particulière dans le mode opératoire à utiliser pour la dépose de la plaque dans le bac plasma. Ce dernier « indique à ce sujet qu'il n'y a pas de formation prévue, mais il s'agit d'une transmission de savoir-faire d'opérateur confirmé à un nouvel entrant dans la société » ; ceci étant confirmé par le directeur de la société, qui précise que cette « ''transmission de savoir-faire'' a été prodiguée au salarié accidenté » par un homologue expérimenté « à son embauche, du 11 janvier au 19 février 2016 ».
La Cour n'apprécie pas exclusivement ces allégations quant au manque de formation, l'accident survenu n'ayant pas eu une cause unique. Néanmoins, elle relève à leur suite que l'employeur n'a pris « aucune mesure propre à prévenir les dangers […] dans l'opération particulière de déplacement des tôles jusqu'au bac plasma et, ce faisant, n'a pas suffisamment pris en compte le risque spécifique révélé par l'accident […] alors que le strict respect des textes lui aurait permis de le faire, ces manquements étant en lien direct avec l'accident ». Elle retient au total la faute inexcusable de l'employeur.
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Dans un jugement du 20 novembre 2024 (TJ de Strasbourg, n° 23-00703), une salariée invoque également un manquement à l'obligation de sécurité de son employeur en ce que, notamment, elle n'avait pas bénéficié de formations et de consignes de sécurité spécifique : « elle affirme ne pas avoir été formée à la sécurité ni au rattrapage des chiens dangereux et dans tous les cas, elle ne savait pas utiliser d'éventuels équipements vu qu'elle n'avait pas été formée sur l'utilisation de ces éventuels équipements ».
La juridiction considère en l'espèce que la salariée ne produit pas de fiche de poste et ne justifie pas qu'il entrait dans ses attributions de s'occuper des chiens dangereux (elle était également selon les juges à l'initiative du rendez-vous ayant conduit au déplacement au cours duquel l'accident du travail est survenu). Or, selon la Cour, les attributions étant inconnues, il ne peut être apprécié s'il y avait lieu de lui dispenser une formation aux chiens dangereux. La faute inexcusable est par conséquent rejetée.
La lecture de ces décisions est l'occasion de rappels utiles
A savoir :
- une importance à accorder quant à la teneur des formations dispensées dans le cadre du respect de l'obligation de sécurité des employeurs telle que prescrite par l'article L4121-1 précité du Code du travail, ce d'autant plus en cas de dangerosité avérée d'un travail. Rappelons ainsi que l'action de formation au sens du droit de la formation professionnelle doit correspondre à une action de développement des compétences (art. L6313-1 du Code du travail) : le salarié doit, au terme de l'action, acquérir des compétences spécifiques pour la réalisation, le cas échéant, d'une tâche professionnelle donnée ;
- que conformément à la définition légale de l'action de formation, celle-ci doit viser l'atteinte d'un objectif professionnel. Mais encore faut-il pour l'apprécier connaître les attributions professionnelles d'un salarié, selon les juges du tribunal judiciaire de Strasbourg. S'il avait été établi que la salariée avait pour attribution de s'occuper de chiens dangereux, et qu'elle n'a effectivement reçu aucune formation à cette fin, nul doute selon nous que le manquement à l'obligation de sécurité dans le cadre de l'article L4121-1 aurait été retenu et une faute inexcusable caractérisée. Il en serait allé de même si le déplacement avait été effectué sur ordre de l'employeur, indépendamment alors de la question des attributions de la salariée.
1 La faute inexcusable constitue un manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur. L'établissement d'une telle faute a pour conséquence une majoration de la rente de la victime le cas échéant ainsi qu'une indemnisation complémentaire spécifique (voir en ce sens article L 413-2 et s. du Code de la sécurité sociale et L452-1 du même code). Lorsque les juridictions ont à se prononcer sur une éventuelle faute inexcusable de l'employeur, celles-ci recherchent si un ou les éléments du dossier permet/tent de la retenir : les demandeurs avancent fréquemment plusieurs faits au soutien de leurs allégations.
CA Lyon du 22.10.24, n° 22-02368
TJ Strasbourg du 20.11.24, n° 23-00703
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