Lucy Sarasvati, holoformatrice

Lucy Sarasvati, une holoformatrice se souvient

Lucy Sarasvati est holoformatrice à l'École nationale d'intégration cognitive, centre de formation pluridisciplinaire. Des années 2010 à 2040, elle s'amuse de l'évolution de la formation

Par - Le 17 janvier 2025.

Article publié dans Skills Mag, magazine fiction créé dans le cadre du projet européen Erasmus+ Into-CVET[ 1 ]Continuing vocational education and training / Enseignement et formation professionnels continus. 2040 piloté par centre Inffo. Objectif ? Explorer des futurs imaginaires concernant la formation professionnelle continue en Europe, en plongeant dans un avenir fictionnel situé en 2040 !

De l'irruption de l'intelligence artificielle à la généralisation de l'HoloFormation[ 2 ]En 2040, la formation à distance se déploie dans des univers numériques tridimensionnels et les formateurs sont pour beaucoup devenus des holoformateurs, en charge de l'accompagnement à distance des apprenants par le biais de leur avatar. , Lucy Sarasvati questionne l'impact des technologies sur la formation. Derrière ce qu'elle perçoit comme une renaissance humaniste, perce le désir de mieux comprendre le sens des algorithmes.

J'ai occupé mon premier poste de formatrice avant le développement de l'HoloFormation, dans les années 2010. Après le développement du distanciel, et une place croissante des Technologies de l'information et de la communication pour la formation, l'irruption de l'intelligence artificielle a constitué une rupture majeure. Je me souviens encore de mon enthousiasme mêlé de crainte, la première fois que j'ai expérimenté les possibilités de Chat GPT. C'était fin 2023, une éternité me semble-t-il aujourd'hui.

Puis, tout s'est accéléré. En une demi-décennie, pas moins de 5 plans majeurs ont été déployés, au niveau européen et national, pour accompagner la transformation de l'appareil de formation et l'adapter aux innovations technologiques.
Je me suis toujours demandée si la volatilité des politiques publiques du moment n'était pas le reflet d'une société que beaucoup décrivaient comme accélérée par la succession des mutations technologiques. Si gouverner c'est prévoir, plus personne ne semblait en mesure de tenir sur le long terme le fil d'une décision.

De la crise de la compétence…

Qui pouvait d'ailleurs prétendre détenir la boussole quand ceux-là même qui lançaient sur le marché leurs intelligences artificielles génératives expliquaient qu'ils n'en comprenaient pas eux-mêmes tous les rouages ? « Regarde spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort se déroule avec lenteur tout le long d'une vie humaine, une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l'anéantissement mathématique d'un mortel. » Cet incipit de sa pièce de théâtre La machine infernale publiée en 1934, Jean Cocteau l'avait composé pour définir la tragédie grecque. N'est-ce pas ce que nous étions nombreux à ressentir devant la montée en puissance des algorithmes ?

Fascination versus répulsion, effroi devant le sentiment d'une perte de contrôle malgré la promesse d'un outil qui, comme les autres, ne serait rien sans l'Humain. La belle affaire, face à des humains qui décidément peinaient à progresser en Humanité, pour beaucoup, même remplacé par le terme d'innovation, le progrès technologique recommençait à faire peur. Aux utopies des années 1980 nourries de science-fiction avaient succédé les dystopies nées du chaos bien réel du nouveau millénaire. Même Alain Damasio, auteur français à succès de Science-Fiction, renonçait à puiser dans l'imagination pour constater à l'issue d'un de ces voyages apprenants alors en vogue : « la matérialité du monde est une nostalgie désormais. »

…à la compétence transhumaniste

Tout cela est vrai mais je veux dire aujourd'hui que dans le domaine de la compétence, la promesse d'une humanité augmentée n'est pas restée sans lendemain. Le passage à la HoloFormation n'a pas fait disparaître mon métier mais l'a transformé en profondeur. Le taux d'abandon des formations 100 % virtuelles le prouve, la médiation humaine n'a pas dit son dernier mot. Si nous n'avons plus le pouvoir du sachant, nous sommes devenus les garants du sens. Et je trouve à cet égard dommage que la recherche anthropologique ne se soit pas plus saisie du sujet. Nous ne mesurons toujours pas bien l'impact du développement de compétences de l'ère transhumaniste sur les processus de transmission. Il est certain que des progrès restent à faire.

Le rêve transdisciplinaire

Côté apprenant ? En cette année 2040, je reste admirative devant l'agilité des stagiaires que j'accompagne. Le plaidoyer du sociologue Edgar Morin en faveur d'un nouvel humanisme transdisciplinaire s'est longtemps heurté à l'émiettement des savoirs. Avec le concours des systèmes d'IA multi-agents, la jeune génération parvient à tisser des liens. Aucun d'entre eux n'est comptable à lui seul de sa compétence mais tous savent désormais bien plus que leurs prédécesseurs mettre en musique l'héritage de l'Humanité.

Que cette sapience retrouvée repose sur la science des algorithmes peut questionner. Mais les algorithmes ne sont pas d'origine divine. Ne seraient-ils pas le plus parfait outil jamais construit par l'Humanité pour l'augmentation cognitive de ses membres ?

😉

Notes   [ + ]

1. Continuing vocational education and training / Enseignement et formation professionnels continus.
2. En 2040, la formation à distance se déploie dans des univers numériques tridimensionnels et les formateurs sont pour beaucoup devenus des holoformateurs, en charge de l'accompagnement à distance des apprenants par le biais de leur avatar.