Jérémy Lamri, dirigeant co-fondateur de Tomorrow Theory, le 24 janvier 2025 à la 19e université d'hiver de la formation professionnelle (Cannes).

Jérémy Lamri, dirigeant co-fondateur de Tomorrow Theory, le 24 janvier 2025 à la 19e université d’hiver de la formation professionnelle (Cannes).

Tomorrow Theory teste une « théorie intégrale de la compétence »

Présent à l'UHFP (Université d'hiver de la formation professionnelle) pour la deuxième fois, Jérémy Lamri, co-fondateur de Tomorrow Theory, est venu présenter une nouvelle approche de la compétence. Un outil d'ingénierie pédagogique assisté par IA (intelligence artificielle) est en cours de test chez trois grands comptes. En route vers une innovation systémique ?

Par - Le 29 janvier 2025.

Peut-être parce qu'il n'existe rien de moins consensuel que la définition de la compétence, Jérémy Lamri, contacté en amont de l'UHFP pour évoquer son atelier, n'avait pas alors caché s'attendre à une réception mitigée de sa « théorie intégrale de la compétence », fruit de 13 ans de recherche-action. Pas de quoi faire reculer le co-auteur d'Oser le courage (notre article), des Compétences du XXIe siècle [ 1 ]Les compétences du XXIe siècle – Comment faire la différence ?, par Jérémy Lamri, Dunod, 201 p., 2018 et du Défi des soft skills [ 2 ]Le défi des soft skills – Comment les développer au XXIe siècle ?, par Jérémy Lamri, Michel Barabel, Todd Lubart et Oliveir Meier, Dunod, 254 p., 2022..

Modéliser la compétence

Et si le XXè siècle s'était complètement fourvoyé en matière d'éducation et de formation, jusqu'à se trouver dans une impasse théorique rendant impossible de répondre aux besoins de compétences du XXIè ? Selon Jérémy Lamri, la distinction traditionnelle entre soft skills et hard skills est trop simpliste et une approche plus holistique des compétences est aujourd'hui nécessaire. Il n'y a pour lui pas de différence fondamentale entre les deux et il est possible de décomposer n'importe quelle compétence en plusieurs composantes génériques structurée en cinq grandes familles : la cognition, qui définit notre capacité à apprendre et réfléchir ; les connaissances, qui représentent le stock de savoirs acquis ; notre rapport aux émotions, qui impacte nos réactions face à des événements ; la conation, qui mobilise personnalité, motivation, appétence et valeurs ; le sensorimoteur, qui relie pensée et action concrète.

Puissance de l'IA

Au total, ces cinq familles peuvent elles-mêmes être décomposées en 60 sous-facteurs et quatre niveaux de maîtrise. C'est cette approche fine de la compétence qui permet à Tomorrow Theory de de proposer un nouvel outil de conception d'ingénierie pédagogique assisté par l'intelligence artificielle. Avec, d'un côté, un modèle de profilage de la compétence, de l'autre, un modèle de profilage de l'apprenant basé sur ses préférences et facilités.

Pour chaque compétence visée, l'IA identifie les cinq sous-facteurs les plus importants et propose des modalités pédagogiques adaptées en prenant en compte le contexte individuel (handicap, secteur, d'activité, …). « Grâce à l'IA, estime Jérémy Lamri, il est possible de créer des ingénieries pédagogiques bien plus pertinentes qu'avec les méthodes traditionnelles. » Radical, l'entrepreneur chercheur insiste, les concepts aujourd'hui enseignés dans les masters d'ingénierie pédagogique sont selon lui « complètement dépassés. »

France, championne de l'innovation pédagogique

La méthode développée par Tomorrow Theory, qui vise à créer des programmes de formation sur-mesure de développement de compétences ciblées, est aujourd'hui en cours de test chez Decathlon, Bouygues et au Crédit Mutuel. Objectif : « permettre à chaque concepteur de formation d'être aussi bon qu'un docteur en sciences de la pédagogie. » Manière de dire que s'il existe déjà des ingénieries pédagogiques de qualité, celles-ci sont aujourd'hui trop dépendantes d'un nombre limité de professionnels.

Avec la théorie intégrale de la compétence, qui propose un langage commun pour traiter le sujet, c'est le passage à l'échelle qui est visé. À terme, l'outil devrait être proposé en Open Source sous licence Creative Commons, avec l'ambition de « faire de la France, vraiment, le leader de l'innovation pédagogique au XXIe siècle. »

3 QUESTIONS À… JÉRÉMY LAMRI, CO-FONDATEUR DE TOMORROW THEORY

La conation est-elle de l'ordre de l'inné ou de l'acquis ?
Parce qu'elle renvoie à notre personnalité, à notre moteur de motivation et à nos valeurs, la conation est un peu notre identité. Or, l'identité est aussi une construction, qui peut se développer et se travailler. En tant que transformation personnelle, il faut être capable de challenger ses valeurs et de reconnaître ses biais. L'identité n'est pas quelque chose de nécessairement inné et peut être objet de formation.

En quoi le sensorimoteur est-il une composante de la compétence ?
Une compétence n'existe que si elle prend forme dans le monde réel. Toute compétence s'exprime par des comportements qui font le lien entre ce qui se passe dans votre tête et ce que vous produisez dans le monde réel. À l'exception de quelques modèles comme les écoles Montessori qui accordent une grande importance au toucher, le XXe siècle n'a pas assez fait le lien entre le corps et l'esprit dans la notion de compétence.

Votre approche de la compétence est-elle partagée ?
Nous avons encore en France une vision archaïque de la compétence, portée par une industrie de la formation elle-même archaïque, soucieuse de préserver ses propres financements. Il faut arrêter d'aborder le sujet comme des dinosaures et davantage s'appuyer sur les avancées de la science pour revoir notre notion de la compétence. La France a de très bons formateurs et chercheurs qui développent une compréhension plus nuancée et contextuelle de la compétence, mais l'enjeu est dans le passage à l'échelle.

En savoir plus

  • Reconciling Hard Skills and Soft Skills in a Common Framework: The Generic Skills Component Approach, article de recherche par Jérémy Lamri et Todd Lubart, LaPEA, Université Paris Cité & Université Gustave Eiffel :
    https://doi.org/10.3390/jintelligence11060107

Notes   [ + ]

1. Les compétences du XXIe siècle – Comment faire la différence ?, par Jérémy Lamri, Dunod, 201 p., 2018
2. Le défi des soft skills – Comment les développer au XXIe siècle ?, par Jérémy Lamri, Michel Barabel, Todd Lubart et Oliveir Meier, Dunod, 254 p., 2022.