Quel modèle économique pour les centres de formation d'apprentis ?
Les CFA (centres de formation d'apprentis) ont dû s'adapter aux nouvelles règles d'un marché libéralisé et concurrentiel. Selon la dernière étude publiée en fin d'année dernière par France compétences, les acteurs développent des stratégies d'optimisation des coûts dont certaines suscitent la vigilance. Ces modèles économiques auront à montrer leur résilience dans un contexte économique et budgétaire plus tendu.
Par Catherine Trocquemé - Le 12 février 2025.
Le marché de l'apprentissage vit de profondes transformations. Six ans après la loi « Avenir professionnel », les effets de la réforme se font sentir. France compétences dans sa mission d'observation suit les évolutions du modèle économique des CFA. Une récente enquête qualitative réalisée par le régulateur dresse les lignes de force des nouvelles stratégies adoptées par les centres de formation. « Nous observons une professionnalisation des CFA sur la connaissance et l'élaboration de leur modèle économique. Cette étude montre ainsi un développement des actions d''optimisation des coûts et de diversification de l'offre de formation », confirme Béatrice Delay, cheffe de projet à la direction observation et évaluation de France compétences. La libéralisation de l'apprentissage et le financement au coût contrat garanti pour chaque apprenti ont aiguisé la concurrence. D'à peine un millier avant le déploiement de la réforme, le nombre de CFA est passé à 3 800 en 2023. L'introduction des règles de marché, les obligations de la certification Qualiopi ou encore la remontée des comptabilité analytiques ont mis sous tension leurs pratiques de gestion. Avec l'arrivée de nouveaux entrants, les profils et stratégies des acteurs se sont diversifiées. La transformation encore timide observée lors de la première étude réalisée par France compétences il y a quatre ans, se précise au moment où la perspective d'une contraction des politiques publiques inquiète le secteur.
Une optimisation des coûts bien engagée
En cartographiant la structure de coûts des CFA, l'étude souligne l'hétérogénéité des situations. Certaines structures imputent aux dépenses pédagogiques 90% de leurs coûts, d'autres 50%. Mais tous enregistrent une hausse de leurs dépenses. En premières lignes de cette courbe inflationniste, celles liées à la communication et l'accompagnement. Dans un modèle où l'équilibre économique des CFA dépend de leur capacité à remplir leurs sessions et dans un contexte concurrentiel tendu, le sourcing (recrutement de candidats) génère de nouvelles charges. Il a fallu renforcer les équipes de nouvelles compétences en matière de marketing digital, avoir recours à des prestataires extérieurs pour la production de vidéos métiers ou encore engager des frais de participation à des salons. A noter que les tensions de recrutement sur les postes de formateurs ont davantage profité aux intervenants extérieurs dont les honoraires ont significativement augmenté qu'aux salariés des CFA.
Une logique de mutualisation encore émergente
Pour répondre à ces enjeux, les modèles économiques se structurent. Des stratégies d'optimisation des coûts et de diversification de l'offre de formation ont été mises en place, là aussi d'une manière différenciée selon les CFA. Les économies d'échelle y tiennent une place importante. L'effet du financement au contrat joue à plein. Les effectifs en apprentissage ont ainsi connu une augmentation sans précédent, de 44% et de 38% les deux premières années après la réforme. La dynamique s'essouffle à partir de 2022 et ne peut donc suffire à l'équilibre économique. D'autres leviers sont activés comme le déploiement du distanciel ou le développement de catalogues élargis dans une logique de filière, de spécialisation ou de formation continue. Encore balbutiantes, des stratégies de mutualisation et de synergies voient le jour au sein de réseaux constitués comme dans l'artisanat ou de groupes multisites.
Des zones de risques à surveiller
Avec cette étude qualitative le régulateur cherche également à identifier des clés de régulation. « Nous observons également de près les zones de risques qui émergent avec l'évolution des modèles économiques », confirme Béatrice Delay. Parmi les points de vigilance, les potentiels effets pervers d'une massification de l'apprentissage sur la qualité des parcours et l'accompagnement des jeunes. Autre source de déséquilibre, la pression des coûts et de la concurrence pourrait fragiliser des formations sur des métiers de niche. Enfin, la gestion financière des CFA qui enregistre des taux de marge entre 10 et 15% en 2023 suscite la prudence du régulateur. « La distribution de dividendes reste marginale mais il faudra suivre ce point qui pourrait prendre de l'ampleur », note Béatrice Delay. Cette étude sera complétée au premier trimestre 2025 par une étude quantitative qui mesurera l'ampleur de ces évolutions. Autant d'analyses pour nourrir le débat à venir sur la soutenabilité financière du système né en 2018.