Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation, conférences et formations, à Centre Inffo.
Apprentissage : le dilemme du juste prix
Entre mission d'intérêt général et logique de marché, le financement de l'apprentissage suscite des interrogations dans un contexte budgétaire contraint. Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation à Centre Inffo, propose une analyse juridique du juste prix d'une formation par apprentissage.
Par Fouzi Fethi - Le 17 février 2025.
L'apprentissage, selon le Code du travail[1], est une « formation initiale » qui s'inscrit dans le cadre d'une « éducation alternée » et vise à répondre aux « objectifs éducatifs de la nation ». Pourtant, ce même Code l'intègre dans un marché ouvert où toute personne peut ouvrir un centre de formation pour apprentis (CFA) sur simple déclaration d'activité[2].
D'un côté, les symboles républicains dans les CFA rappellent l'engagement de l'État en faveur de l'éducation civique, ancrée dans la devise républicaine et la déclaration des droits de l'homme et du citoyen[3]. De l'autre, les dividendes versés par certains CFA privés à but lucratif à leurs actionnaires incarnent la logique de marché et la quête de rentabilité, soulignant la liberté d'entreprendre.
Cette dualité entre valeurs éducatives et impératifs économiques soulève une question centrale : le prix doit-il refléter des critères marchands ou servir une mission d'intérêt général ? Existe-t-il un équilibre viable entre régulation étatique et dynamique de marché ?
Un prix de vente sans client ?
Dans un marché traditionnel, le prix est principalement déterminé par la perception de sa valeur par le client. Cependant, dans le cadre de l'apprentissage, cette logique se trouve déstabilisée par la multiplicité des acteurs impliqués, chacun ayant des intérêts et des responsabilités distincts. La question essentielle est : qui est réellement le client dans ce modèle ?
L'entreprise, bien que désignée contractuellement comme le client dans la convention de formation[4], supporte en réalité peu les coûts directs de la formation vendue par le CFA. Ceux-ci sont principalement pris en charge par les opérateurs de compétences (Opco), ce qui crée une déconnexion entre l'entreprise et la réalité économique de la formation. Ce financement externe limite considérablement l'incitation des entreprises à négocier les coûts ou à exiger un rapport qualité-prix optimal. L'introduction par la loi de finances pour 2025[5] d'un reste à charge pour les employeurs d'apprentis de niveau licence ou supérieur pourrait constituer une réponse partielle, mais ne changera que marginalement la situation. En effet, un simple « ticket modérateur » ne représente pas un levier suffisant pour inciter les entreprises à comparer rigoureusement les offres des CFA ou à privilégier la qualité.
De leur côté, les apprentis et leurs familles, bénéficiaires d'une formation gratuite[6], n'ont pas de réelle incitation à s'interroger sur le coût de celle-ci. Le choix de l'établissement se fait souvent en fonction de critères pratiques, tels que la proximité géographique ou la réputation de l'établissement, plutôt que sur une évaluation rigoureuse du rapport qualité-prix.
Quant aux Opco, leur rôle reste principalement exécutoire, appliquant les niveaux de prise en charge définis par les branches professionnelles sans réelle marge de négociation avec les CFA[7]. Cela contribue à un système où les prix des formations sont relativement rigides et non soumis à une véritable dynamique concurrentielle.
Un prix de vente fixé en fonction du NPEC
Ainsi, contrairement à un marché classique où le prix d'une formation est déterminé par l'offre et la demande, le prix d'une formation en CFA dépend du NPEC, fixé par la branche professionnelle concernée ou, à défaut, par l'État. Ce niveau repose sur les coûts moyens de préparation observé par diplôme ou titre et par domaine d'activité[8].
Avec ce système, tous les CFA préparant un même titre ou diplôme reçoivent un financement identique pour les apprentis dont les employeurs relèvent de la même branche.
Si une branche professionnelle peut rehausser le NPEC pour un diplôme ou un titre jugé prioritaire, elle ne peut cependant pas l'ajuster aux coûts réels spécifiques à chaque CFA.
Ainsi, pour une même certification professionnelle et un même secteur, le NPEC reste uniforme, bien que les coûts réels varient selon plusieurs facteurs : le prix des équipements, le profil des apprentis et leurs besoins d'accompagnement, la taille des effectifs, le type d'encadrement, les méthodes pédagogiques utilisées, et les disparités géographiques influant sur les dépenses. De plus, certains CFA bénéficient déjà de financements publics, accentuant encore ces écarts.
Vers une modulation plus poussée des NPEC ?
Face à cette réalité, la loi prévoit, à titre dérogatoire, la possibilité de moduler les NPEC notamment selon des critères définis par l'État.
À ce jour, quatre modulations[9] sont inscrites dans la loi, mais seules deux sont effectivement appliquées : la majoration accordée aux CFA accueillant des apprentis en situation de handicap[10] ; la majoration accordée aux CFA par les régions dans une perspective d'aménagement du territoire ou de soutien à certaines filières économiques[11].
En revanche, la minoration destinée aux CFA bénéficiant d'autres financements publics reste inapplicable, faute de décret d'application. Quant à celle introduite par la loi de finances 2025, qui concerne les CFA dispensant des formations à distance, son entrée en vigueur dépend également d'un décret, mais sa faisabilité suscite déjà des interrogations.
Pourtant, certains réseaux de CFA « historiques » plaident pour des différenciations encore plus poussées, intégrant même des critères qualitatifs. C'est d'ailleurs l'un des enjeux des concertations en cours menées par le ministère du Travail.
Cette position ne traduit pas une volonté de régulation par le marché, mais plutôt une attente d'une intervention plus affirmée de l'État pour définir le « juste prix » – non pas celui de la vente, mais du financement des CFA.
L'État doit-il devenir le véritable client des CFA ? Si tel est le cas, comment pourrait-il établir un cadre juridique permettant des différenciations de financement entre CFA préparant aux mêmes titres ou diplômes, sans créer de distorsions de concurrence ?
C'est là tout le dilemme du « juste prix » de l'apprentissage.
[1] Articles L6111-1, L6211-1 et L6211-2 du Code du travail
[2] Article L6231-1 du Code du travail
[3] Article L6231-7 du Code du travail
[4] Article L6351-1 A et L6353-1 du Code du travail
[5] Article L. 6332-14 (nouveau) du Code du travail
[6] Article L6211-1 du Code du travail
[7] Article L6332-14 du Code du travail
[8] Article D6332-78 et suivants du Code du travail
[9] Article L6332-14 du Code du travail