Claire Pfauwadel (Trajectoire formation) : le grand absent du moment, le management…
Cela fait à présent près de deux mois que la situation sanitaire du pays nous oblige au confinement et, pour beaucoup d'entre nous, au télétravail. Depuis, fleurissent nombre de recommandations du genre « 10 choses essentielles pour bien télétravailler », etc. Etonnamment, la question managériale, d'habitude si présente dans les préoccupations professionnelles, a disparu des radars !
Par Claire Pfauwadel - Le 06 mai 2020.
Le management n'aurait-il de réalité qu'en présentiel ? De ma place de directrice d'un organisme de formation, l'expérience inédite du « tous et tout à distance » réaffirme la fonction managériale dans ce qu'elle a de plus intéressant, de plus sensé. Cela m'a même donné envie de vous proposer ce petit écrit réflexif.
Les mots ont leur importance, ils disent les impensés. Le terme de « télétravail » ne dit rien sur ce qui se joue pour le salarié dans la réalisation de son activité professionnelle. Le préfixe télé signifie à distance. Le terme télétravail caractérise bien la situation actuelle, ce sont les outils numériques qui jusque-là n'étaient utilisés qu'en présentiel, il s'agit alors de les mobiliser avec la fonction à distance.
C'est bien la distance qui se joue, l'enjeu de la distance et du travail : travailler à distance au risque de mettre le travail à distance ? Et avec la distance s'imbrique la question du temps. Ce qu'on nomme par facilité « télétravail » fait voler en éclats les deux éléments constitutifs du travail contemporain : l'unité de lieu et de temps. Quand le manager a exercé sa fonction en référence aux lieux et aux temps des professionnels qu'ils encadre, il perd littéralement prise quand tous travaillent à distance de lui. Le travail à distance oblige le manager à penser et construire d'autres articulations des espaces et des temps dans une recherche de continuum, et non de continuité : comment transformer les pratiques professionnelles sans pour autant en changer la nature ? Empoigner cette question renvoie d'emblée aux rapports qu'entretient le manager avec l'action, avec l'activité réalisée par les professionnels de « son équipe ». En fait, en conditions « normales » d'activité, à quelle distance se situe le manager ? Loin, au-dessus, dedans, dehors, avec, à côté ? Revoilà, autrement, la question de la distance. A croire que manager renvoie nécessairement à construire-trouver la juste distance. Réussir à construire ce continuum d'activité suppose, à mon sens, une équipe de professionnels mais aussi un dirigeant installé dans le métier. C'est le métier qui garantit le sens de l'action, ainsi l'utilité du management à distance est de préserver, maintenir, reconstruire le sens de l'action des professionnels.
Cadre et liberté
A mon sens, la fonction managériale ne saurait s'exercer sans ce paradoxe « cadre et liberté », il est sans cesse en jeu autant pour le manager que pour l'équipe. Comment poser un cadre qui favorise la créativité, la liberté d'agir, l'initiative, l'envie de faire tout en protégeant et sécurisant l'action des professionnels ? Comment laisser la liberté qui favorise la créativité, la liberté d'agir, l'initiative, l'envie de faire tout en protégeant et sécurisant l'action des professionnels ?
Pas de liberté sans cadre, pas de cadre sans liberté ! Voilà tout à la fois le casse-tête et le terrain de jeu du manager. Voici ce qui va mobiliser son attention et sa créativité. Ainsi, le travail à distance remet l'ouvrage sur le métier… Dans le contexte de contrainte de la distance dans lequel s'exerce le travail depuis deux semaines, le management se doit de réaffirmer, réinventer, modifier, ajuster ce qui fait cadre individuel et collectif. Un cadre réinventé pour permettre et obliger, tous et chacun, à réaliser les actions professionnelles. Un cadre réinventé pour profiter des nouvelles libertés et contraintes de la distance afin d'affirmer les spécificités de son métier. Et alors, aussitôt, viennent s'inviter dans le jeu, les espaces : la distance multiplie les espaces de travail, réels et virtuels. Et alors, surgit un nouveau paradoxe : distance et espaces. Paradoxe très utile au manager pour concevoir le cadre de travail.
Parions que les semaines à venir nous fassent encore cheminer sur ces questions ! Pour autant, une évidence s'est déjà faite jour. La distance rend inopérant l'exercice du management par le pouvoir et le contrôle. Et si c'était l'essentiel pour retrouver sens à la fonction et aux pratiques managériales ?