Marie Dupuis-Courtes, vice présidente de la CPME en charge de la formation professionnelle. © David Morganti
« La loi du 5 septembre 2018 débouche sur une situation explosive pour les entreprises de 50-300 salariés » (Marie Dupuis-Courtes, CPME)
Que reste-t-il des principes des lois de 1971 ? Quelles ruptures après la réforme de 2018 ? Quelles perspectives se dégagent de ces 50 ans d'évolutions du dispositif de la formation professionnelle ? Plusieurs personnalités et experts du secteur de la formation professionnelle apportent leur éclairage sur ces questions. Décryptage avec Marie Dupuis-Courtes, vice-présidente de la Confédération des petites et moyennes entreprises, en charge de la formation professionnelle.
Par Laurent Gérard - Le 02 juin 2021.
Le Quotidien de la formation. Que doit-on à la loi Delors ?
Marie Dupuis-Courtes. D'avoir inscrit la formation professionnelle continue dans le champ professionnel, d'avoir fait passer le message que la formation initiale n'est pas l'alpha et l'oméga d'une vie entière, et que, dans un monde qui change de plus en plus vite, on doit se former tout au long de la vie.C'est aussi la marque de la volonté de l'Etat, à l'époque, de faire confiance aux partenaires sociaux, et pour nous, CPME, l'excellent souvenir d'une période particulière : celle de la création d'Agefos PME et de la mutualisation pour accompagner le développement de la formation continue dans les PME. Un outil performant, que nous avons fait évoluer, qui était devenu incontournable voire gênant pour certains. On se demande d'ailleurs s'il ne fallait pas casser l'Agefos PME [ 1 ]Feu l'organisme paritaire collecteur agréé interprofessionnel, disparu après la promulgation de la loi du 5 septembre 2018. pour faire la réforme de 2018.
QDF. Précisément, où en est-on aujourd'hui ?
MDC. 2018 est un tournant probablement majeur. La réforme a fait un bon job sur l'alternance et l'apprentissage. Certes il ne faut pas être dupe des résultats et reconnaître le poids des aides financières. Mais malgré tout le changement d'image de l'alternance est fondamental. C'est un vrai bon point. Il faudrait pouvoir écrire d'autres chapitres, dont celui de la formation professionnelle continue, avec le même satisfecit, mais ce n'est pas le cas. En effet, nous vivons un véritable recul sur la formation professionnelle continue : L'ANI (accord national interprofessionnel) rendu caduque par le Big bang de Muriel Pénicaud débouche sur une situation catastrophique et explosive pour les PME de 50-300 salariés. Elisabeth Borne semble en avoir conscience. De plus, nous constatons un recul des moyens financiers pour les entreprises de moins de 50 salariés, malgré l'affichage de « sanctuarisation ». En 2020, la dotation adressée par France compétences à Opco EP (entreprises de proximité) est en diminution de 30 % alors que la masse salariale n'a baissé que de 9,5 % ! Ainsi Opco EP attendait 220 millions d'euros, réduits à 180, puis finalement réduits à nouveau à 148 pour 2020 ! L'équilibre financier de la réforme ne peut pas se faire sur le dos de la formation dans les PME. Ce qui questionne le PIC (pacte d'investissement dans les compétences): 50 % de ses fonds provient de la captation des fonds d'entreprise. Et conséquence : 50 % des problèmes de financement de France compétences vient de cela. On ne pourra rétablir un équilibre dans la formation continue sans reprendre toutes les lignes de financement de France compétences.
QDF. Que faire désormais ?
MDC. Réinvestir le champ des entreprises. La formation professionnelle continue a quitté l'entreprise, les dépenses se font hors entreprises. Le 1 % est devenu une taxe externalisée, un impôt. Les grandes entreprises ont intégré la formation professionnelle continue, mais 98 % des entreprises sont des TPE-PME, et le besoin de conseil et d'ingénierie est immense dans toutes : c'est à cela surtout que sert la mutualisation.Aujourd'hui, France compétences ne simplifie rien, et, à notre sens, tous les financements doivent être rediscutés : CPF, TPE, PME, PIC... Il faut mettre le paquet sur l'investissement formation des PME, pour faire passer le taux d'accès à la formation des salariés de 15 % à 50 %. Cela implique d'être préventif et non curatif. PIC, CPF, alternance… devraient être pilotés par les branches et non les régions et Pole emploi. Il faut former pour un emploi disponible et organiser une alternance permanente. Ce qui est efficace en matière d'insertion des demandeurs d'emploi, ce sont les POE individuelles, dispositifs cousus mains, couplées à une entrée très rapide en entreprise.Quant au CPF, rendre les Français acteurs de leur formation est une très bonne idée, mais l'avenir du CPF ne peut passer que par le co-investissement et les abondements : de la branche, de l'entreprise et aussi du salarié! L'investissement du salarié doit se matérialiser quelque part, au besoin avec des coefficients différents selon la situation de chacun : travaillons ce point. Par ailleurs, le problème des abondements CPF est que la Caisse des dépôts est une boîte noire : pas de lisibilité, pas de clarté. Or, ce manque de sérénité handicape le jeu social. Ce qui est dramatique c'est que les Urssaf et l'Acoss, créations des partenaires sociaux, ont tendance à devenir elles aussi des boites noires qui font peur aux partenaires sociaux ! Le risque c'est un système hyper étatisé, sans confiance, sans politique partagée.Un dernier point : l'entretien professionnel. Il est à faire, et il est fait dans bon nombre de TPE et PME mais pas toujours normé, archivé. Un peu de souplesse est nécessaire. Le problème c'est la détection de la motivation des salariés. Certains salariés ne veulent pas d'un CDI ou d'un départ en formation. C'est un fait, il faut l'entendre. C'est parfois un combat pour un chef de PME de convaincre ses salariés de se former. Alors, incitation vaudrait mieux que contrainte pour faciliter la motivation.
Lire notre précédent décryptage avec Jean-François Foucard.
Notes
1. | ↑ | Feu l'organisme paritaire collecteur agréé interprofessionnel, disparu après la promulgation de la loi du 5 septembre 2018. |