Un ouvrage pour construire une "histoire sociale des apprentis"
L'apprentissage étant remonté en haut de l'agenda politique, le Céreq et les éditions Octarès ont décidé d'y consacrer un ouvrage dont l'objet est de construire une histoire sociale des apprentis. Celle-ci est très éloignée des discours politiques sur le sujet.
Par Emmanuel Franck - Le 27 avril 2022.
A travers les contributions d'une vingtaine d'auteurs (chercheurs et chargés d'étude au Céreq) dirigées par Prisca Kergoat, maîtresse de conférences en sociologie à l'université de Toulouse Jean Jaurès, et Dominique Maillard, chargée d'étude au Céreq, « Garçons & filles en apprentissage », paru en février dernier aux éditions Octarès, entend « apporter des éléments à une histoire sociale » des apprentis. En général traitée à travers des dispositifs institutionnels, l'histoire de ce groupe social « reste encore à construire », estiment les auteurs. C'est pourquoi ils se sont intéressés aux apprentis eux-mêmes, en mobilisant des sources peu exploitées : récits autobiographiques, films documentaires, récompenses, dossiers de bourse, demandes de subvention de chambres consulaires, délibérations de chambres des métiers...
Concurrence historique entre formation en entreprise et à l'école
L'ouvrage démarre au début du XXème siècle et se termine dans les années 2000 en passant par les lois de 1936 et 1971. Dans l'intervalle, les auteurs dessinent, à travers les discours sur l'apprentissage, la figure sociale de l'apprenti au début du XXème siècle (où il semble quasiment disparaître) et après 1971 (groupe unifié par la statistique mais sociologiquement divers). Ils examinent ensuite la place que les entreprises réservent aux apprentis, à travers notamment l'exemple des grandes entreprises automobiles, dont les écoles d'apprentissage sont concurrencées par la formation professionnelle scolaire. A travers également les conditions d'apprentissage et le niveau de formation des apprentis dans l'artisanat.
Les auteurs abordent également l'expérience de l'apprentissage décrite du point de vue des intéressés. En examinant les candidatures de ceux qui ne parviennent pas à signer un contrat, ils soulignent l'importance de la sélection à l'entrée, qui évince les filles, les jeunes paupérisés et ceux issus de l'immigration. La socialisation professionnelle des apprentis est abordée à travers les exemples du BTP, de l'automobile et de la coiffure. Les derniers chapitres s'intéressent aux nouveaux apprentis, ceux de l'enseignement supérieur.
Politique de l'emploi versus apprentissage d'un métier
De cette étude sur le temps long, les auteurs tirent questions et constats qui divergent de la doxa ambiante sur les succès de l'apprentissage. La loi Blanquer de 2019 permettra-t-elle de revaloriser le lycée professionnel et de dépasser la concurrence historique entre formation en école et en entreprise ?, s'interrogent-ils. Le discours volontariste actuel sur l'apprentissage est en fait une poursuite des politiques formation depuis 40 ans qui « visent davantage à préparer à l'emploi une jeunesse récalcitrante aux formes scolaires que de former cette dernière à un métier », estiment-ils. Les aides à l'embauche relèvent selon eux d'une politique de l'emploi qui « fait courir le risque de minorer la dimension de la formation » et qui suggère « la faible valeur du travail de l'apprenti ». Au final, les dernières réformes poursuivent fondamentalement des choix anciens qui participent d'une « désouvriérisation » de l'apprentissage et d'une « disqualification de l'enseignement au métier ».