IA et formation, entre fantasmes et réalité
La percée spectaculaire de l'intelligence artificielle dans les usages prend de court le monde de la formation et ouvre une nouvelle frontière aux contours vertigineux. La matinée organisée par le groupe AEF jeudi 16 novembre dernier sur ce sujet devenu incontournable invite à prendre du recul sur une technologie dont les impacts sont encore mal connus.
Par Catherine Trocquemé - Le 17 novembre 2023.
Les technologies nous ont habitués à de soudaines accélérations, parfois difficiles à distinguer du simple buzz. Mais depuis le lancement opportuniste par OpenAI de la version gratuite de son outil ChatGPT il y a un an, l'IA générative s'est imposée dans les usages professionnels avant même de susciter un débat autour de ses implications. A marche forcée, institutionnels, régulateurs et entreprises s'adaptent tant bien que mal à cette technologie en évolution rapide. Pas un jour ne passe sans qu'un de ses nouveaux outils vienne interroger nos métiers, notre cadre juridique, nos modèles économiques mais aussi nos principes éthiques voire ontologiques. Le monde de la formation n'échappe pas à cette course de vitesse tant l'IA questionne nos compétences en tant qu'humain. Lors de la matinée organisée par l'AEF le 16 novembre dernier sur l'IA et la formation, la vision de scientifiques et de chercheurs côtoie celle des organismes de formation, ouvrant des pistes de réflexion, ébauchant des opportunités et relevant des points de vigilance.
Intelligence artificielle ou artifice d'intelligence ?
L'IA va-t-elle remplacer l'humain ? Sans être posée aussi frontalement, cette question hante les imaginaires. Pour tenter d'y répondre, il nous faut mieux connaître le fonctionnement de notre intelligence. En ouverture de la matinée, Pierre-Marie Lledo, directeur du département des neurosciences de l'Institut Pasteur rappelle que notre Neocortex -cette large partie de notre cerveau à l'origine de nos fonctions cognitives- se développe depuis environ 200 millions d'années. « L'IA se développe depuis une soixantaine d'années sur un modèle mimétique en s'appuyant sur des algorithmes de l'IA et des théories inspirées par les linguistes. L'IA est une sorte d'externalisation de la puissance cognitive de l'humain ». Pour autant, nous possédons plusieurs formes d'intelligence et nous sommes mus par le désir d'agir en nous projetant dans un futur souhaitable. Selon le scientifique, nous développerons, avec l'IA, de nouvelles compétences comme nous l'avons fait avec les autres outils que nous avons créés tout au long de notre histoire. « Nous sommes dans une co-évolution ». Le chercheur Denis Cristol est plus circonspect. « L'IA pose des questions éthiques. Ce n'est pas un simple outil. C'est un univers dans lequel on se glisse naturellement sans l'avoir désiré. Dans ce contexte, le formateur doit rester un médiateur, non plus sur les contenus mais sur les process de pensée ».
La formation dépassée par l'IA ?
« Nous avons été surpris par l'ampleur de la vague », admet Joël Ruiz, président du Forum des acteurs de la formation digitale (FFFOD). Dans le même temps, le marché a vu fleurir de nombreuses offres de sensibilisation à l'IA suscitant un nouveau marché à l'instar de la transition écologique avec le danger que la qualité ne soit pas toujours au rendez-vous. Autre point sensible, l'IA accentue une tendance de fond des apprentissages qui change en profondeur l'approche des parcours de formation. « Nous avons besoin, plus que jamais, d'ancrer nos formations dans les situations de travail et d'expérimenter de nouveaux formats », déclare Guillaume Huot, membre du directoire du groupe Cegos. Sur les modèles économiques des organismes de formation, l'impact de l'IA reste encore incertain. Ces outils promettent une meilleure adéquation - et en temps réel-entre les besoins en compétences et l'offre, un levier d'engagement plus fort de la part des apprenants et de réels progrès dans l'évaluation des résultats d'une action de formation. Antoine Amiel, fondateur et dirigeant de Learn Assembly, alerte sur un piège à éviter lors du déploiement de l'IA dans les process de formation. « Il ne faut pas laisser à l'IA la pédagogie mais utiliser ses outils sur toutes les activités annexes et de back office afin de libérer du temps pour l'accompagnement ».