Francis Lévy, délégué général de la Fédération française des Groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (Geiq).
La « VAE inversée », une démarche « moins académique » (Francis Lévy)
Pour le délégué général de la Fédération française des Groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification (GEIQ), Francis Lévy, la VAE (validation des acquis de l'expérience) inversée qui va être expérimentée représente une chance pour les publics, en particulier les plus éloignés de l'emploi, et les entreprises. A condition toutefois de repenser aussi les conditions d'évaluation et les modalités d'organisation des jurys qui en seront chargés.
Par Sophie Massieu - Le 05 juin 2023.
Le Quotidien de la formation : Quel est, selon vous, l'intérêt du principe de la VAE inversée ?
Francis Lévy : Elle traduit une façon différente de penser. Précédemment, on partait d'un métier. On se demandait quel diplôme était requis. Puis on cherchait la formation en conséquence. Là, on part du poste de travail, et du candidat, pour construire un parcours adapté. On se demande quelles sont les compétences nécessaires. C'est l'idée que l'on apprend en travaillant, prise au pied de la lettre. Cela va nécessiter pour les organismes de formation une plus grande modularisation et cela permettra des parcours plus individualisés.
Q.D.F. : Outre cette individualisation, pourquoi, selon vous, ce dispositif sera-t-il particulièrement adapté aux publics les plus éloignés de l'emploi ?
F.L. : Cela ne vaudra pas que pour eux ni pour tous. Mais il me semble en effet que cet outil peut répondre à certaines de leurs situations puisque cela offre la possibilité d'obtenir des certifications de façon moins académique. Cela peut faciliter les choses pour les personnes dont le niveau de langue représente un obstacle, pour celles qui ne veulent plus avoir à faire avec des organismes de formation. Cela peut améliorer l'accès aux formations aussi par exemple pour les personnes, porteuses de handicap notamment, qui rencontrent des difficultés de mobilité, et pour atteindre des centres de formation.
Q.D.F. : Les Geiq entendent participer à l'expérimentation, qui espère voir, en 3 ans, la réalisation de 5 000 parcours. La fédération s'est-elle déjà fixé un objectif chiffré ?
F.L. : Pas encore. Mais il nous faudra sans doute en indiquer un dans l'appel à candidature. Pour l'établir, nous allons sonder nos adhérents. Pas de façon exhaustive mais dans plusieurs secteurs et diverses régions. Nous allons mettre en place un groupe de travail pour arrêter les outils à disposition du réseau et peaufiner les choses.
Q.D.F. : Avez-vous déjà une idée des secteurs d'activité qui se montreront les plus friands ?
F.L. : Le BTP sera très intéressé. L'industrie sans doute aussi. Certains secteurs posent davantage question. Ceux où un diplôme est requis, comme l'aide à domicile ou le secteur médico-social. Ces deux derniers secteurs comptent de nombreux faisant fonction. On pourrait imaginer la préparation des diplômes d'Etat en partie au travers de la VAE. Cela donne de la souplesse. Mais il est vrai que cela peut poser dans certains secteurs une forme de problème culturel, en cas de fort attachement à la façon traditionnelle d'obtenir un diplôme d'Etat.
Q.D.F. : Jusque-là, les dispositifs en faveur des reconversions professionnelles, et la VAE elle-même, ne rencontrent pas un franc succès. Selon vous, existe-t-il des raisons de croire que cette VAE inversée, elle, a davantage de chances de séduire ?
F.L. : Le pari n'est pas gagné en effet. Mais plusieurs éléments laissent penser que cela pourrait marcher. D'abord l'assouplissement des conditions d'entrée dans le dispositif. Ensuite la possibilité de ne préparer qu'une partie de la certification. Les allers-retours permanents aussi entre mises en situation de travail et temps réflexifs. Et puis cela correspond bien à des attentes, tant des employeurs que des publics. L'existence de fonds dédiés apporte aussi une raison d'espérer que ça pourra marcher.
Q.D.F. : Reste-t-il un frein, ou un point de vigilance ?
F.L. : Oui. La façon dont se dérouleront les évaluations. Cela doit évoluer. On ne peut conserver le processus actuel, d'épais dossiers… Mais les évaluations qui se dérouleraient exclusivement en milieu de travail sont aussi impossibles. Il convient donc de trouver un équilibre. L'évaluation doit devenir moins académique mais ne saurait se limiter à une mise en situation. Cela reste à construire, et de façon propre à chaque certification.
Q.D.F. : Certains pourraient voir dans la VAE inversée une occasion de plonger dans l'adéquationnisme. De ne former que pour des métiers en tension à l'instant T. Qu'en pensez-vous ?
F.L. : Il est important que cette VAE ne soit pas accessible en apprentissage. Pour continuer d'inviter les jeunes à accéder à un diplôme, afin qu'ils disposent d'un socle général. Pour le reste, cela dit, bien entendu, les parcours se trouveront corrélés aux besoins des entreprises. Il conviendra donc de travailler en lien étroit avec elles pour identifier les activités et les compétences qui seront développées sur le poste de travail, veiller à ce que soit bien mis en place un tutorat, peut-être permettre de changer de poste un temps au cours de la formation pour valider toutes les compétences de la certification… Les GEIQ sont à même de proposer cette collaboration de proximité.
Q.D.F. : Autre reproche possible : ce seront des formations au rabais…
F.L. : En aucun cas, cela ne sonne l'heure de la fin des formations en centre. C'est un processus complémentaire. On pourrait très bien imaginer des formations mixtes, avec des compétences acquises au travers de la VAE inversée et des acquisitions théoriques via des formations plus classiques.