Table ronde « La formation professionnelle en 2023 : enjeux et perspectives » – le 26 janvier 2023.
UHFP 2023
Une réforme de la formation professionnelle insaisissable (UHFP 2023)
Après trois jours d'UHFP (Université d'hiver de la formation professionnelle), du 25 au 27 janvier à Cannes, difficile de se faire une idée précise de la future loi sur la formation professionnelle. Sur le socle du "big bang" de 2018 (loi "avenir professionnel"), la nouvelle réforme promet un grand mercato des dispositifs au service des transitions professionnelles et un renforcement de la régulation par la qualité. La question de la soutenabilité financière reste, quant à elle, entière.
Par Catherine Trocquemé - Le 03 février 2023.
Après trois ans de crise sanitaire, la reprise de l'UHFP était très attendue. Cette année, une fois n'est pas coutume, une nouvelle réforme se profile. On ne parle plus de big bang, ni de revenir « au monde d'avant ». Le système créé en 2018 s'est imposé. La gouvernance dominée par l'Etat a été confortée par un investissement public inédit notamment dans l'apprentissage. En ouverture de cette UHFP, la ministre Carole Grandjean pose les grandes lignes de sa feuille de route et fait quelques annonces. La réhabilitation d'un contrat de professionnalisation rénové comme outil des transitions professionnelles, une VAE inversée, des dispositifs réinterrogés, une régulation par la qualité renforcée dessinent les contours d'une réforme protéiforme difficile à cerner. A Cannes, sur les plateaux des tables rondes, les ateliers et dans les coursives du Palais des festivals, les représentants du ministère du Travail, venus en force, vont aussi loin que possible dans le décryptage, soucieux de laisser à la concertation avec les partenaires sociaux toute sa place.
Un agenda percuté par la réforme des retraites
Après avoir été écartés du pilotage de la formation professionnelle, ces derniers peinent encore à se positionner dans le nouveau système. « On ne refait pas le match. On consolide les fondamentaux et on renforce la qualité. Sur le plan financier, les leviers de régulation sont insuffisants. Il faut discuter avec le ministère », déclare Yvan Ricordeau. Mobilisé par la réforme des retraites, la parole du secrétaire national de la CFDT reste contenue sur la formation professionnelle. « Le contexte a changé. Il faut laisser passer la séquence législative sur les retraites ». L'allongement des carrières s'invite dans le débat autour de l'emploi des seniors et des reconversions professionnelles liées à la pénibilité de certains métiers. Plus offensif, Eric Chevée pour la CPME réaffirme la nécessité « de disposer dans la gouvernance d'un outil de réflexion stratégique et d'une mutualisation des ressources pour les entreprises de 50 à 300 salariés ». Seule la CGT, par la voix d'Angéline Barth, plaide pour « sortir de la libéralisation en s'appuyant sur un service public de la formation ». Entre attentisme et volonté de peser sur le cours de la formation professionnelle, les partenaires sociaux sont restés en retrait. Le ministère du Travail temporise. « Nous prenons en compte le contexte et reculons le lancement des concertations qui auront lieu dans les prochaines semaines. Une convergence peut être trouvée sur la mise en place d'un espace stratégique. Tout pourra être mis sur la table », déclare Linda Debernardi, conseillère au sien du cabinet de Carole Grandjean.
Des dispositifs en sursis
Le ministère du Travail compte notamment évaluer les nombreux dispositifs de transitions professionnelles devenues, en trois ans, un enjeu critique. « Certains pourraient être supprimés, même les plus récents », confirme Linda Debernardi. En 2018, les partenaires sociaux avaient identifié les transitions professionnelles comme l'angle mort de la réforme. Ils avaient bataillé pour sauver les projets de transition professionnelle (PTP) et créer la ProA à la main des branches. Ces outils n'ont pas totalement convaincu. Selon Philippe Huguenin-Génie, délégué général d'Opcommerce la complexité administrative a tué dans l'œuf la ProA. « Nous avions comme objectif de mettre en place 10 000 ProA et n'avons réussi à en déployer que 4 000. Or, la première transition professionnelle se passe dans les entreprises ». Quant à TransCo conçu en urgence à la sortie de la crise sanitaire par les partenaires sociaux, les dossiers restent confidentiels. Ce dispositif innovant pour accompagner les transitions professionnelles de salariés issus d'une entreprise qui débauche vers une entreprise en pénurie de compétences a lui aussi souffert de la lourdeur de ses process. La simplification tant attendue passera-t-elle par la rénovation du contrat de professionnalisation ? Lors de l'UHFP, le ministère du Travail annonce vouloir faire de cet outil étouffé par le succès du contrat d'apprentissage le vecteur privilégié des transitions professionnelles sans entrer dans les détails techniques de cette métamorphose. Pour illustrer son potentiel, le gouvernement s'y appuie pour lancer une expérimentation sur les parcours d'une « VAE inversée ». Ce nouveau venu dans le paysage de la formation, aura besoin de pédagogie. Il ne s'agit plus de reconnaître à postériori des acquis d'expérience mais de se former en situation de travail pour monter en compétences et acquérir une certification professionnelle.
Une régulation qui se cherche encore
A l'UHFP, les grandes lignes du projet pour la formation professionnelle ont été posées. Mais certains sujets sont restés étrangement absents des débats. C'est le cas du déficit structurel de France compétences. Il rejoint celui de la régulation d'un marché libéralisé - à guichet ouvert pour l'apprentissage et le CPF- sur des fonds mutualisés et publics. Une équation délicate à trouver. Certains leviers déjà actionnés vont être renforcés autour du système Qualiopi et des certifications professionnelles. L'idée de conditionner les aides publiques ou les niveaux de prise en charge à des indicateurs de performance et de qualité circule. Le travail effectué sur les systèmes d'information et l'analyse des données ouvre le chemin de politiques de contrôles plus efficaces et des clés d'évaluation de la formation. Toutes les pistes seront explorées. Si les besoins en compétences inédits dans un contexte de grandes transitions peuvent justifier des investissements, comment continuer à libérer les initiatives tout en construisant un système financièrement viable et de qualité ? La question posée par le déploiement de la réforme de 2018 reste entière.
Le reste à charge enterré ?
Cela n'a échappé à personne. La question polémique du reste à charge au CPF voté mais en attente d'un décret d'application n'a pas été abordé lors de l'UHFP. Ce silence fait dire à certains que cette mesure ne verra pas le jour, en tout cas pas tout de suite, laissant une chance aux actions de régulation de la plateforme « mon compte formation » déployées ces derniers mois de faire leur preuve. Lors d'une conférence de presse organisée à l'UHFP, la CDC (Caisse des dépôts et consignations), de son côté, alerte sur les contraintes techniques qu'un reste à charge individualisé induit, risquant ainsi de rendre l'outil numérique moins fluide. |