France compétences : un budget rectificatif en baisse de 505 millions

Le Conseil d'administration de France compétences a approuvé un budget rectificatif pour l'année 2024 en baisse de plus de 500 millions d'euros. Centre Inffo a interrogé plusieurs administrateurs, représentants des organisations patronales et syndicales ainsi que de Régions de France, pour recueillir leurs analyses… et revendications.

Par - Le 17 juin 2024.

Ce budget prévisionnel rectificatif a été approuvé lors du Conseil d'administration de l'instance, réuni le 16 mai, et publié début juin sur le site internet de France compétences. Il s'établit à 14,675 milliards d'euros de dépenses prévues, soit -505 millions d'euros par rapport au budget prévisionnel initial.

En toute logique, cette baisse des dépenses envisagées reflète une diminution des ressources qui seraient affectées à France compétences (-471 millions d'euros par rapport au budget initial). Celles-ci recouvrent d'abord une baisse des contributions à la formation des employeurs (- 109 millions d'euros, notamment, pour les contributions recouvrées par l'Urssaf et la MSA) et de la dotation exceptionnelle de l'Etat, qui passe à 2,05 milliards d'euros (soit - 312 millions d'euros).

Un Conseil d'administration contraint de « rendre de l'argent »

Les administrateurs interrogés par Centre Inffo, représentants des partenaires sociaux, regrettent sans surprise cette diminution de la dotation de l'Etat. Mais ils pointent dans le même temps l'impuissance du Conseil d'administration de France compétences face à une décision liée aux nouvelles mesures d'austérité. « France compétences, et donc les salariés et les alternants, subit les économies demandées par le Gouvernement. Il faut rendre de l'argent, donc on rend de l'argent », se désole Michel Beaugas, représentant de FO. Un constat que complète l'analyse de Laurent Munerot, représentant de l'U2P. « Le budget n'est que de l'arithmétique : le gouvernement a demandé de faire des économies et celles-ci ont été répercutées de manière algorithmique. On s'arrange pour faire entrer le ‘'moins'' dans une formule de calcul qui intègre cette somme », explique-t-il. Pour la représentante de la CPME Marie Dupuis-Courtes, « les grands équilibres ont [cependant] été respectés par rapport à ce qui avait été décidé en prévisionnel ». Mais celle-ci se dit très inquiète des conséquences de nouvelles mesures d'économies annoncées pour 2025. « On s'attend à ce que ce soit encore plus difficile l'an prochain », prévient-elle.

Régions de France adopte la politique de la chaise vide

Dans le détail des dépenses en baisse, on retrouve la diminution de 50 millions d'euros de l'enveloppe allouée aux Régions pour le soutien aux dépenses de fonctionnement des centres de formation d'apprentis (CFA). Celle-ci, actée par un arrêté du 13 mai, était attendue. A sa suite, Régions de France a tenu à marquer sa réprobation. Dans un communiqué du 6 juin, l'association a annoncé que son représentant David Margueritte ne participerait pas aux prochains rendez-vous des instances de France compétences.  « C'est une décision qui permet de prendre acte du mépris du gouvernement à l'égard [des Régions], et de dire que la brutalité à laquelle nous avons été confrontés en cours d'exercice budgétaire est inacceptable », réagit David Margueritte auprès de Centre Inffo.

Les organisations d'employeurs digèrent mal la baisse des NPEC

Dans la section des dépenses liées à l'alternance on trouve également, outre la baisse du soutien au fonctionnement des CFA, une diminution de 170 millions d'euros du budget dédié à la péréquation inter-branches. Le financement des dépenses des actions de l'alternance reste lui à un niveau identique à celui prévu au budget initial (3,6 milliards d'euros). Mais du côté des deux organisations professionnelles d'employeurs, les griefs portent sur la baisse des niveaux de prise en charge (NPEC) des contrats d'apprentissage – également à l'ordre du jour des délibérations du Conseil d'administration du 16 mai. « Il y a une méthode de détermination du coût contrat qui ne nous convient pas. Il faut arrêter de dire que ce sont les branches qui décident », insiste Laurent Munerot. « Le choix a été fait de ne toucher que les niveaux [des certifications] du supérieur, ce qui constitue le moins mauvais des arbitrages », reconnaît néanmoins Marie Dupuis-Courtes. Reste un motif de soulagement pour les représentants de l'U2P et de la CPME : celui du maintien des dépenses prévues au budget initial (550 millions d'euros) pour le financement du plan de compétences dans les entreprises de moins de 50 salariés.

Les syndicats regrettent des économies sur le dos des salariés

Les dernières baisses de dépenses significatives de ce budget rectificatif concernent le financement des projets de transition professionnelle (- 65 millions d'euros) et du CPF (- 145 millions d'euros). Deux reculs qui passent mal du côté des représentants des syndicats. « On s'attaque aux seuls dispositifs à la main des salariés », réagit Magali Bourdon, représentante de la CGT. Celle-ci craint en outre que cette baisse inattendue en cours d'année mette en difficulté les associations « ATPro », en charge du financement des projets de transition professionnelle. Sur la même ligne, Michel Beaugas estime « qu'on ne peut que mesurer l'effort demandé aux salariés et le regretter ». « Ce sont des sommes conséquentes et des formations qui n'auront pas lieux, car on ne pourra pas les financer », ajoute le représentant de FO.

Le déficit de France compétences reste à résorber

Un poste de baisse des dépenses de France compétences se place enfin à part. Celui des intérêts sur concours bancaires, qui diminuent de 31 millions d'euros par rapport au budget initial. « Mais c'est toujours trop. Pour nous, l'argent de la formation professionnelle ne doit pas être utilisé pour financer les banques », souligne Magali Bourdon. Le budget de France compétences prévoit en outre toujours un déficit de plus de 1 milliards d'euros. Une situation problématique pour tous les interlocuteurs interrogés, alors que le Conseil d'administration du 16 mai a également entériné la possibilité pour France compétences de solliciter jusqu'à 3 milliards d'euros d'emprunts auprès des banques pour 2024 et 2025. Mais les solutions envisagées sont différentes. Pour les représentants de FO et de la CGT, relever la contribution à la formation des employeurs est indispensable. « Revenir au taux d'avant 2014, passé de 1,6 %[ 1 ]Pour les entreprises de 20 salariés et plus. à 1 %[ 2 ]Pour les entreprises de 10 salariés et plus., permettrait de combler le déficit de France compétences », explique Magali Bourdon, qui préconise également de « tripler la taxe d'apprentissage pour qu'elle corresponde au montant engagé par France compétences sur ce dispositif ». Du côté des représentants de l'U2P et de la CPME, on milite plutôt pour la prise en charge par l'Etat d'une partie du financement de l'apprentissage, au titre de sa contribution à la formation initiale.

Revenir à un paritarisme de gestion

Au-delà, certains remettent en cause le fonctionnement même de France compétences. Particulièrement sévère, David Margueritte voit dans l'instance une simple chambre d'enregistrement des décisions du Gouvernement. « France compétences est une mascarade, une coquille vide de dialogue. Je pense que les partenaires sociaux en ont conscience. Tout cela ne sert à rien dans la mesure où la discussion est soumise à un vote où l'Etat est majoritaire », expose le représentant de Régions de France. Marie Dupuis-Courtes souhaiterait elle, à tout le moins, que le Conseil d'administration ne soit plus contraint de prendre ses décisions budgétaires dans le cadre de fourchettes imposées. Plus largement, celle-ci juge « qu'il faut avoir le courage de repartir d'une nouvelle feuille et ne pas s'en tenir à des considérations financières, à faire juste des arbitrages d'une enveloppe à l'autre ».

 

Notes   [ + ]

1. Pour les entreprises de 20 salariés et plus.
2. Pour les entreprises de 10 salariés et plus.